Alain Guyard : "La philosophie est aussi un outil de domination masculine"
Le philosophe forain Alain Guyard revisite l'histoire de sa discipline avec "22 leçons de philosophie par et pour les mauvaises filles, les goudous, les travelos, les couires, les petits pédés et les grandes folles".
Comment est né le projet de parler de ces mauvaises filles ?
J’avais déjà écrit un bouquin de qui s’appelait 33 leçons de philosophie par et pour les mauvais garçons. Quand je l’ai sorti, j’ai fait la tournée des libraires. J’ai rencontré mon lectorat qui était extrêmement féminin. En général, les femmes lisent, les hommes ont honte de lire ou alors L’Equipe. La perspective n’était pas de faire l’apologie des bonshommes, mais des mauvais garçons, des crapules. Une ou deux leçons étaient consacrées à des gonzesses. Et mon public me disait mais que faites-vous des filles là-dedans ? Il y a aussi des mauvaises filles ! C’est vrai et j’ai commencé mon enquête en 2014.
Au début, je voulais faire le pendant et la réponse, en repérant des mauvaises filles en philosophie. Et puis, je me suis rendu compte que c’était plus compliqué. Des filles déjà, il y en a pas des tonnes en philo. Mais c’est plus grave, la philo n’est pas une matière neutre, qui a le souci de l’universel, qui est préoccupée par des grandes idées généreuses qui s’adresse à tous les êtres humains. En fait, la philo s’inscrit dans des rapports de force. Non seulement, elle a été confisquée par les bonshommes qui avaient le pouvoir économique, politique ou culturel, mais la philosophie est aussi un outil de domination.
Et ça, quand je l’ai découvert, cela m’a obligé à changer la nature du bouquin. Au début, je voulais juste faire un catalogue de bonnes femmes. Puis, je me suis vraiment interrogé sur la philosophie, sur ses limites. Cela m’a vraiment interrogé sur ma pratique.
En quoi, est-elle un outil de domination masculine ?
Quand tu es en terminale et que tu fais de la philosophie, tu essaies de trouver des définitions d’idées, le bien, la vertu, la justice, la morale, l’État, le droit. Le propre de la philosophie, c’est d’essayer de chercher l’essence, l’être. Toutes ces catégories sont des choses qui durent et qui résistent.
Deuxièmement, la philosophie met toujours l’accent sur la raison. Si tu veux avoir une bonne note en philo, il faut faire une dissertation avec des donc et des par conséquent.
Troisième point, elle est toujours préoccupée de la question politique. Le premier grand texte, c’est Platon qui écrit La République.
Ces trois qualifications de la philosophie sont celles qui qualifient le bonhomme : c’est celui qui a des responsabilités dans l’espace public alors que la femme est cantonnée à l’espace privé, il use de la raison alors que la femme travaille dans l’émotion, il pense l’essence, ce qui dure alors que la femme est consacrée aux taches subalternes, qui sont l’engendrement, le soin, la cuisine, le ménage, toutes les activités qui ont à voir avec le corps, avec ce qui s’use, ce qui est précaire.
Tout ce que glorifie la philosophie, ce sont des pratiques qui surqualifient les mecs et dont on estime, presque par nature, que les femmes en sont éloignées. C’est vachement troublant et ce n’est pas anodin.
Très rares sont les philosophes qui vont faire l’apologie de l’émotion, mais innombrables sont ceux qui vont la mépriser.
Et vous n’y aviez jamais pensé avant de vous pencher sur la question ?
Parole d’honneur. J’ai honte.
Ce qui m’a sauvé rétrospectivement, c’est que je me suis aperçu que les auteurs que j’aimais bien, même si c’étaient des mecs, cultivaient des valeurs qui sortaient des schémas traditionnels de la philosophie.
Au-delà de la présentation des penseuses, le livre est conçu comme un manuel de guerilla…
Absolument. J’aime bien. La philosophie s’inscrit toujours dans des rapports de force. Ce n’est pas vrai qu’elle est une spéculation loin du monde, séparée du réel. Elle ne peut pas échapper à des combats. Quand on regarde la vie des grands philosophes, on voit qu’ils charbonnaient, ils étaient pris dans des bagarres en permanence.
Je suis en train de lire une biographie de Descartes écrite par l’un de ses contemporains. Toute sa vie, il s’est bagarré contre des mecs qui voulaient sa peau, qui voulaient le dégommer. Il s’inscrivait dans les grandes querelles de son temps.
Un mec comme Spinoza signait certains textes BDS. Tout le monde pensait que c’était Bento de Spinoza. En fait, c’était les trois lettres d’un collectif. Il était associé à des traducteurs, des esprits libéraux de l’époque. Il voulait vraiment engager une réforme politique et ils étaient vraiment au combat.
Vous faites la critique des femmes qui veulent ressembler à des hommes ?
Un petit peu. J’ai essayé de faire un truc pédagogique, des grandes familles. Le premier féminisme, celui de Simone de Beauvoir, considérait qu’une femme émancipée était une femme qui avait le droit d’être un homme comme les autres. Avoir des responsabilités, être une femme de tête… Cela continue aujourd’hui. Quand les nanas disent « à travail égal, salaire égal », c’est louable, mais malgré tout, cela veut dire qu’elles acceptent un ordre social dans lequel elles veulent avoir les meilleures places qui étaient jusque-là réservées aux hommes. Mais c’est un ordre social qui reste hétérosexuel et masculin.
C’est une étape intéressante dans le cadre d’une lutte féministe, qui sort les femmes de leur invisibilisation mais en même temps, c’est limité. Cela ne remet pas en cause les cadres sociaux qui sont patriarcaux. Ok, il y a des équipes de foot masculines. Des femmes se disent, on va s’émanciper et monter une équipe de foot féminines. Est-ce que pour pour une femme, il n’y a pas plus intéressant que de singer les mecs et de descendre sur un terrain de foot et de mettre des crampons ?
Pour vraiment changer, il faut tout foutre en l’air ?
Je n’ai pas la prétention d’avoir la paternité ou la maternité du propos. Mais oui, c’est évident. Le système capitaliste dans lequel on évolue, repose fondamentalement sur une exploitation des femmes. On peut prendre le travail domestique, mais aussi le travail affectif et sexuel des femmes hétérosexuelles. Une femme a une relation dissymétrique avec un homme. Elle doit produire des services grâce à quoi l’homme est rafistolé, recomposé et peut retourner au charbon ou au combat.
Il n’est pas possible de penser aujourd’hui le féminisme sans l’associer à une lutte anticapitaliste. On peut même aller plus loin, un féminisme qui fait l’impasse sur la question du capitalisme, de l’écologie et de patriarcat est un faux féminisme, un féminisme réactionnaire qui sert les intérêts des hommes. Il dépolitise la question, en en faisant un problème individuel et éthique, alors que c’est d’abord et profondément une question politique. La distribution des rôles dans un société hétéronormée est inégalitaire et la femme est systématique en dessous.
Il faut s’émanciper de toute considération morale. Ce n’est pas la question, en fait ?
Ce n’est pas incompatible. Je ne dis pas qu’il faut écarter la morale. Le féminisme interroge la question du genre, du sexe, de l’hétérosexualité et plus largement les questions politiques et elles doivent être connectées à la question du capitalisme. Le capitalisme marche parce qu’il y a des prolétaires, mais les prolétaires marchent parce qu’il y a les prolétaires des prolétaires qui s’appellent les femmes. Les travaux les plus humiliants qui font tourner la planète, ce sont les femmes qui les font : ce sont les femmes qui mettent au jour les hommes, qui les nourrissent, qui les sucent, qui les font tenir debout, qui leur font croire qu’ils sont aimables. N’importe quel fieffé connard, il tient parce qu’il y a l’amour de sa mère, de sa femme, de sa fille, de ses sœurs.
Il y a un grand système de pensée que vous démontez, c’est Freud et le façon dont il considère les femmes…
C’est vachement emmerdant quand même. On peut toujours dire que ce sont les propos de l’époque, que tous les mecs qui portaient barbiche en 1900 étaient des affreux machistes. Mais c’est vrai qu’il y a une célèbre conférence où il dit que les femmes ne peuvent pas avoir accès à la culture, qu’il faut les cantonner aux travaux du filage et de la broderie, qu’elles s’y sentent à l’aise parce que ça évoque la caresse des toisons parce qu’elles ne sont bonnes qu’à se toucher. Super ! C’est quand même le sommet de l’élégance…
Quand on rentre en profondeur dans la pensée freudienne, on se rend compte qu’il y a des contradictions, des nuances, mais enfin. On peut pas nier le fait que chez Freud, le processus de sublimation par lequel tu te civilises nécessite pour la femme une capacité à déplacer sa jouissance, à en finir avec la jouissance clitoridienne et à la déplacer dans la zone vaginale. Et pour lui, le plaisir féminin est coupable en tant qu’il est plaisir féminin et il n’a de sens qu’à la condition qu’il soit au service du plaisir masculin, voire de la disposition à l’engendrement.
Le mérite de Lacan est d’avoir un peu dépasser tout ça quand même. Pour lui, la question de la fabrication du genre est totalement fluidifiée.
Et la psychanalyse aujourd’hui perpétue cette pensée ?
Non, je ne pense pas. Déjà, la psychanalyse n’est pas un dogme, mais un travail sur elle-même, une ouverture. Si chez Freud, il y avait la volonté de poser quelque chose qui s’approchait de la science, la psychanalyse, passée par l’épreuve lacanienne, se pense plus comme un art du langage, voire comme une poésie. C’est ce que dit Julia Kristeva, qui est féministe et lacanienne.
Cela l’émancipe d’un discours clos sur elle-même et lui permet de se nourrir de la mise à l’épreuve du réel, des interrogations et des évolutions. Même Lacan dira qu’une bonne méthode psychanalytique s’invente avec chaque patient. Mais je ne pouvais pas faire l’impasse sur le fait que chez Freud, il n’y a pas une jolie place qui est réservée aux bonnes femmes. Dans les années 70, il a des gens comme Luce Irigaray qui va montrer en quoi il faut dégenrer la psychanalyse. De l’eau a coulé sous les ponts depuis, mais il était important de rappeler ces étapes.
Le tabou du sexe, c’est vraiment ce qui fonde ce traitement inégalitaire des hommes et des femmes ?
Bien sûr. Dans les sociétés, telles qu’elles se développent depuis la sédentarité, il émerge des figures patriarcales. Cela apparaît au moment de la domestication des espèces animales. On met les animaux dans les enclos et dans le même temps, de la même façon qu’on met une vache dans une étable, on met sa femme dans une chambre. Et on découvre les règles de la génération. Le mâle va garder d’un œil très jaloux son troupeau, sa bonne femme, son cheptel de gonzesses. Et il voit le sexe féminin comme le coffre-fort dans lequel il va pouvoir mettre sa semence et assurer une nouvelle génération mâle à laquelle il pourra transmettre les troupeaux.
Levi-Strauss explique que dans les sociétés archaïques, la femme est monnaie d’échange. Tu vas donner la femme à la tribu de l’autre qui va te donner une femme de sa tribu. Ces mariages vont éviter la dégénérescence génétique. Cela fait aussi de la femme un patrimoine, au même titre que le foncier.
Il y a une figure qui revient sur le devant de la scène depuis quelques temps, c’est Valérie Solanas vue longtemps juste comme une fêlée qui a tenté de flinguer Warhol. Aujourd’hui, sa pensée ressurgit. Qu’est-ce qui vous intéresse chez elle ?
J’aime bien sa grande exigence littéraire. C’est une femme d’une très belle intégrité. Ma lecture, c’est que c’est une autrice, une femme de plume même si quasiment tous ses textes ont disparu. C’est super dur d’écrire en tant que femme parce que comme le disait Virginia Woolf, pour écrire, il faut une chambre à soi, un espace domestique. Dans les maisons, les femmes n’ont pas d’espaces pour elles-mêmes. Il faut du temps à soi.
Ce que j’aime bien aussi, c'est qu'elle pose, un peu comme Virginie Despentes mais une génération avant, la question de la prostitution. Elle dit, être salariée en tant que femme, c’est faire sa pute. Il n’y a pas une femme qui a la passion d’être caissière. Tous les gros connards vont prendre la parole en disant ma passion, c’est prendre des initiatives, être dans le feu, c’est pour ça que je suis chef d’entreprise et propriétaire d’une grosse chaîne, etc. Une femme ne passe pas la journée à foutre de la cire et à épiler des maillots parce que c’est sa passion d’arracher les poils des bourgeoises.
Valérie Solanas dit que le travail est une prostitution. Tu donnes ton corps à un patron et pendant quelques heures, ton corps ne t’appartient pas. Et en échange, tu as de quoi te sustenter. Elle dit, quitte à me prostituer, autant que je le fasse en gagnant plus d’argent en moins de temps. Et elle se fait prostituée, mais une vraie prostituée, pas une salariée qui ignore son statut de prostituée. Grâce à cela, elle a du temps libre et elle peut écrire. Je trouve que c’est d’une intégrité morale et intellectuelle extrêmement claire. Chapeau.
Ensuite très logiquement, elle écrit donc elle veut publier, mais c’est dur. Tout ça est vissé et verrouillé par les mecs. Aujourd’hui, on découvre avec les scandales comme l’histoire de Vanessa Springora, que le milieu de l’édition est tenu par des requins, des tueurs et des violeurs, que les 50 mecs qui font la pluie et le beau temps à Paris au niveau du travail de plume sont tous des gros mâles alpha. Valerie Solanas le découvre dès les années 60. On lui refuse, alors elle tire, c’est correct.
Est-ce qu’aujourd’hui les choses ont changé dans le monde de la philo ?
Oui, heureusement, la donne a changé et le rapport de force est aujourd’hui favorable aux femmes ou à celles et ceux qui ne veulent pas se reconnaître dans une étiquette masculine ou féminine. Et puis, cela a changé depuis 2016 et #Metoo. Cela a été une superbe révolution et ce n’est qu’un début. Tout le monde dit que la parole se libère. Mais quand une femme se fait violer et va dans un commissariat, à 99 % le mec ne sera pas puni. Donc, c’est qu’enfin les oreilles se débouchent.
Les femmes qui arrivent dans le monde de la philo, explorent-elles des sujets qui n’étaient pas traités par les hommes ?
Je ne suis pas en mesure de le dire parce que je suis complètement désinstitutionnalisé. J’attache beaucoup d’importance à être un vagabond, un maraudeur qui n’a pas sa place dans l’institution intellectuelle et universitaire.
De plus, je ne lis pas beaucoup la philosophie contemporaine. Je digère plutôt les vieux et les anciens. Je fais plutôt un travail d’exhumation des origines de la philosophie. Je ne me concentre pas beaucoup sur l’actualité.
Vous vous interrogez sur votre place d’homme pour parler du sujet ?
C’est la moindre des honnêtetés. Ce que j’essaie de défendre, c’est que le travail d’écriture, c’est un travail où tu cherches toujours à trahir ton identité. Et quand tu lis un bouquin, tu l’aimes quand tu t’identifies au héros. Fondamentalement, cela veut dire que tu ne respectes pas ton identité. Et le travail d’un auteur, c’est de faire la même chose. Quand tu t’appelles Shakespeare et que tu écris Macbeth, tu vas te dire mais ce n’est pas possible d’être aussi froide, glaciale et monstrueuse que Lady Macbeth. Et tu découvres cette monstruosité. Et le mérite de Macbeth, de l’oeuvre de Shakespeare, c’est de t’avoir fait rencontrer celle qui te répugne absolument, celle dont tu es aux antipodes. Pour moi, le travail de l’écriture, c’est le travail par lequel tu trahis l’identité de ton lecteur et ta propre identité. Cela peut aller très loin…
L’acte d’écrire, c’est de se mettre à la place de l’autre. Et l’acte de lire aussi. C’est profondément blasphématoire car cela te fait sortir de la place à laquelle tu es assigné. Toute lecture et toute écriture t’arrache à ta condition, te fait endosser le corps, la sensibilité, la vie intérieure, la subjectivité de celui qui n’est pas toi.
Votre travail depuis longtemps, c’est de donner du corps à la philosophie. C’était le sujet idéal pour cette ambition ?
Tout à fait, la philosophie a deux défauts. Le premier, c’est que la philosophie est décorporée, abstraite. D’ailleurs, en terminale, on est confronté au texte mais pas à l’auteur, le fait que le mec s’est bagarré. Descartes changeait de barraque tous les six mois parce qu’il était harcelé. Il a fait le vagabond, il s’est planqué en Hollande parce qu’il était poursuivi. Il faut "corporéiser", socialiser, collectiviser la philo.
D’autre part, non seulement, la philo oublie son corps mais elle se paye le luxe d’oublier son corps parce qu’elle a toujours eu un corps de bonhomme. Les hommes peuvent s’en foutre de leurs corps, parce que ce sont les femmes qui s’en occupent, qui les baisent, qui les remplissent, les nourrissent, les lavent. Le luxe du corps de l’homme, c’est qu’il peut oublier son corps, et à plus forte raison le philosophe.
Mon combat est de dire que non seulement la philosophie a un corps, elle s’incarne dans des histoires particulière et une Histoire. Mais en plus, elle a un corps masculin et donc, on peut la démasculiniser, jusqu’à la fin où je fais de la "xénosophie" pour dire que le corps du philosophe peut aussi être un corps hybride, transgenre, queer, fluide.
Et je vais continuer, j’ai envie de creuser cela, d’aller plus loin pour voir la philosophie des invisibles, les excentriques. La philosophie, c’est aussi le monopole des universitaires, des gens qui ont du diplôme, qui vivent en centre-ville, qui savent bien parler. Est-ce que pour autant, on ne peut pas discuter avec un immigré, un sans-papier ?
Sur la façon dont les femmes s’occupent du corps des hommes, vous rendez hommage aux aide-soignantes qui ont accompagné votre père à la fin de sa vie…
Pendant quatre ans, j’ai enseigné au CHU de Nîmes auprès des aides-soignantes. Cela a été une putain de leçon de vie. J’avais devant moi en majorité des femmes, d’une quarantaine d’années, issues de l’immigration, qui étaient plutôt en délicatesse avec les institutions scolaires, souvent des femmes qui avaient démarré en faisant les ménages dans les hôpitaux et qui avaient décidé de gravir les échelons. Elles n’ont pas le droit de faire des soins, mais ce sont elles qui prennent soin, qui vont nourrir, porter, laver, changer, caresser, très souvent ce sont elles qui vont être là dans les derniers instants. C’est vachement important. C’est chez elle que se joue le plus d’humanité.
Pour ce qui concerne mon père, quand il a été très malade, dans les dernières années de sa vie, il a eu une très grande reconnaissance pour ces femmes qui sont les dernières de corvée, mais elles ont une vraie sagesse de l’humanité. C’est le dernier secours et le dernier recours. Sans elle, tout s’effondre. L’humanité d’une société, c’est pas par rapport aux thunes qu’elle peut faire. La vérité de l’humanité d’une société, c’est le soin qu’elle accorde aux plus démunis, méprisés, faibles.
Quand tu veux savoir la qualité d’un restaurant, tu vas dans les chiottes et tu vois si elles sont propres. Tu veux savoir la qualité d’une société, tu regardes comment les agonisants sont accompagnés et qui les accompagnent. Dans notre société, ceux qui les accompagnent, ce sont celles qui les accompagnent. Et leurs boulots sont méprisés, à 80 % du temps partiel imposé, dans une absolue discrimination et une non reconnaissance de leurs véritables capacités à l’empathie, de leur savoir intuitif de ce qu’est la parole juste, la caresse juste. Quand après le confinement, le gouvernement a dit qu’il allait donner des sous supplémentaires, il a conditionné cela à des emplois à temps plein. Or la plupart sont à temps partiel...
Au début, vous disiez que ce sont les lectrices qui vous ont mis sur la piste des mauvaises filles. Comment ont-elles reçu le livre ?
Je suis malheureux comme un caillou. Le livre est sorti le jour où les librairies ont été fermées parce que ce gouvernement de salopards qui ne paye pas les aides soignantes a considéré que la lecture et la culture n’étaient pas essentielles. Donc, je n’ai pu faire aucune tournée et je ne sais pas. Je n’ai rencontré aucun lecteur, aucune lectrice.
"22 leçons de philosophie par et pour les mauvaises filles, les goudous, les travelos, les couires, les petits pédés et les grandes folles", d'Alain Guyard. Editions Le Dilettante, 250 pages. 20 €.
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