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Alex Beaupain : "Quand j’écris des chansons tristes, c’est que je vais mieux"

Avec l'album "Pas plus le jour que la nuit", le chanteur Alex Beaupain s'éloigne de l'autobiographie pour un disque aux sonorités électroniques, en prise avec l'époque.

Le chanteur Alex Beaupain. Photo Vincent Desailly.


Votre album s’appelle Pas plus le jour que la nuit. Qu’est-ce qui vous a frappé dans ces mots de Charlotte Brontë ?

C’est la phrase que je trouvais jolie, la phrase en entier : « Pas plus le jour que la nuit, je ne trouve le repos ni la paix ». Je trouve qu’il y a à la fois quelque chose de très musical et de très littéraire. Elle écrivait ces mots à un amant qui l’avait délaissée. Pour écrire une chanson sur l’inquiétude qu’on a quand on aime et qu’on n’est pas payé en retour, c’était assez chic. Et en plus c’est gratuit ! Comme elle est morte depuis longtemps, c’est libre de droit !


Vous avez ressenti quelque chose de personnel en lisant ces mots ?

Non, c’est très instinctif tout ça. J’ai l’impression que vous posez une question de psychanalyste, alors que quand j’entends cette phrase, je le trouve juste jolie. Je me dis qu’il y a un rythme qui pourrait être mis en musique, que c’est un joli refrain. Et j’en fais une chanson parce que c’est ce que je fais, mais cela vient très naturellement.

Sur cet album, on sent toujours une forme d’inquiétude devant le monde…

Peut-être que précédemment, dans mes albums, j’étais inquiet par rapport à moi, j’étais un peu plus autour de ma petite personne, de mes histoires sentimentales, avec quelquefois quelques échappées, quelques ouvertures.

Dans ce disque, volontairement, j’ai choisi de parler de ce qui se passe autour de moi. Et quand on regarde le monde, c’est quand même inquiétant. En fait, j’espère que l’album est inquiet mais pas inquiétant. Que malgré tout, même si des chansons pas parfois très dures, elles apportent du réconfort. Parce que je pense que c’est le rôle des chansons.


Vous avez l’impression d’être le chroniqueur d’une époque à travers ces chansons ?

Oui, c’est clair que ma position est plus celle d’un chroniqueur que d’un auteur engagé. Il y a l’idée de se raconter, plus que de se mettre en scène dans une posture où on donne des leçons. Les gens dont je me suis inspiré pour parler de l’état du monde viennent plutôt de la chanson, comme Alain Souchon qui a formidablement fait ça, que des rockers qui ont une façon plus combative qui me correspond moins. C’est une position dans laquelle je me sentirais mal à l’aise.

Cela semble terriblement prétentieux de dire que je suis le chroniqueur d’une époque. En tout cas, j’essaie d’écrire des chroniques sur ce qui m’entoure et sur ce que je ressens. Si tout ça n’était que journalistique, il n’y aurait pas l’émotion que peut apporter une chanson.


Vous êtes aussi le chroniqueur d’une génération ?

Si ça fonctionne tant mieux. Il y a forcément des expériences partagées qui font qu’on se retrouve dans les choses que j’évoque. Je ne suis pas un porte-parole. Il arrive qu’on se reconnaisse dans des choses que je raconte, dans la manière que j’ai de les raconter, mais ce n’est pas à moi à le dire. Ce serait très prétentieux. Si j’y arrivais, je serais très fier de moi. Mais je ne sais pas si j’y suis arrivé.

Dans cet album, il y a la chanson "Orlando", sur cette tuerie dans une discothèque gay en Floride. Comment est venue l’envie de s’emparer de ce sujet ?

En fait, c’est étrange. C’est un texte que j’avais écrit pour Julien Clerc au départ. Il avait envie de revenir à des chansons plus engagées. Finalement, il le l’a pas gardée. Il m’a dit, c’est terrible, ces événements-là, on les oublie et le temps que je sorte la chanson, on aura oublié. Je me suis dit qu’il avait peut-être raison et en même temps, peut-être qu’on peut réfléchir à l’envers et se dire que cette chanson permettra qu’on n’oublie pas. Quand l’attentat est arrivé, c’était après Charlie, après le Bataclan… Ces terroristes ciblaient les dessinateurs caricaturistes, des journalistes, des gens qui vont écouter de la musique, des femmes, des homosexuels puisqu’à Orlando, c’était une boîte gay. J’avais l’impression qu’ils avaient coché toutes les cases des gens que j’avais envie de défendre. Il y avait un sentiment de trop-plein, c’est peut-être pour ça que j’ai ressenti la nécessité d’écrire sur cet événement. Et puis, je ne peux pas dire que je suis très éloigné des préoccupations de la communauté homosexuelle.


Il y a également la chanson "Les Sirènes" sur les attentats à Paris. C’était délicat d’écrire sur un sujet aussi sensible ?

C’était difficile. Je voulais que cela reste une bonne chanson, c’est-à-dire que le but ce n’est pas seulement d’évoquer le sujet, mais aussi une chanson qui tienne debout. Et puis, je voulais rester digne. Déjà sur l’album précédent, j’avais écrit une chanson sur le sujet et je ne l’avais pas gardée parce que je ne la trouvais pas réussie et pas très digne.

Comment garder la bonne distance ? Comment écrire sur quelque chose d’aussi douloureux ? Sur des événements dans lesquels les gens ont beaucoup souffert ? Il ne faut pas se mettre en scène soi-même, éviter une douleur un peu obscène, ne pas donner de leçons. Il ne faut pas non plus que cela soit top sec et trop sobre, sinon il n’y a pas d’émotion et cela veut dire qu’on est indifférent. C’est totalement instinctif. À un moment donné, je me suis dit que ça marchait. Alors que sur d’autres chansons, j’étais trop en colère ou trop sobre ou trop descriptif et pas à la hauteur de l’événement. J’ai beaucoup pensé à Barbara quand j’ai écrit cette chanson. Je ne me compare pas du tout, mais pour une chanson comme Les Sirènes, j’avais Göttingen en tête. Je me disais que cette chanson permettait de raconter des choses à la fois en s’impliquant et à la fois en n’en faisant pas trop.

Dans cette chanson, il y a une formule très belle sur l’« universelle migraine ». Vous en souffrez ?

Oui. À un moment, il y a une espèce de sidération devant cette accumulation. La migraine, c’est métaphorique. Inconsciemment, cela vient de chanteurs que j’ai beaucoup écoutés. À nouveau, Souchon parlait d’ultramoderne solitude. Moi, je dis universelle migraine. On colle un adjectif et un mot qui normalement ne vont pas ensemble et tout à coup, cela décrit un sentiment un peu général. Peut-être que j’ai un peu réussi un truc, ça fait plaisir.


Vous dites d’ailleurs que vous êtes heureux d’écrire des chansons tristes…

En réalité, le vrai truc, c’est que je suis heureux d’écrire des chansons. Je suis heureux d’avoir réussi à être chanteur. On n’a jamais réussi car tout ça peut s’arrêter du jour au lendemain. À 8 ans, je voulais être chanteur et je pensais que je n’y arriverai jamais. Donc fatalement, à 45 ans aujourd’hui, rien que le fait qu’une maison de disques me permette de faire un album, que je puisse faire une tournée, que je joue mes chansons devant les gens qui viennent les écouter et m’applaudissent, cela me rend heureux. C’est ce que je voulais faire de ma vie. Et puis, je suis heureux d’écrire des chansons tristes parce que généralement, ce sont des chansons où il faut trouver la distance pour ne pas être dans la colère ou la douleur. Donc, quand j’écris ces chansons, c’est que je vais mieux, que la période de tristesse et de deuil est passée et que je peux enfin écrire dessus.


Quelle était votre envie en faisant appel à ces deux producteurs, Superpoze et Sage ?

Mes précédents albums, je les avais coréalisés. La première envie, c’était ne pas du tout m’impliquer dans la production. Je me suis dit d’abord, je vais en prendre deux, comme ça, il y aura un débat. Je les ai choisis très simplement parce que j’aime les choses qu’ils proposent à la fois dans leurs projets personnels et dans les productions pour d’autres. Sage a travaillé avec Woodkid, avec Clara Luciani. Superpoze, j’aime beaucoup son électro très lyrique, un peu cinémascope. Je me suis dit, je vais les laisser travailler ensemble, je serai là mais je ne vais pas intervenir.

Pour une fois, cela va peut-être permettre à mes chansons d’être habillées différemment. C’est intéressant d’essayer de proposer des choses différentes, de ne pas faire tout le temps le même album. Je les ai vraiment laissé faire complètement.


Comment vous présenteriez les sonorités avec lesquelles ils ont habillé vos chansons ?

Etrangement, c’est un disque extrêmement produit dans le sens. Curieusement, alors que j’ai fait appel à des producteurs qui sont plutôt pop et électro, c’est mon album le plus "chanson". La voix est très en avant, il y a une volonté d’aller à l’essentiel, d’arranger mais pas de sur-arranger. On entend vraiment ce qu’il faut entendre. L’album met les textes très en avant, tout en restant très musical. J’entends les choses mais je ne peux pas les expliquer. Les chanteurs sont un peu bêtes, sinon, ils ne seraient pas chanteurs.

Sur scène, vous aimez beaucoup intervenir entre les chansons, parler au public… D’où vient cette envie ?

Ça vient de gens que j’ai vus en concert et je me disais que c’était une bonne façon de proposer autre chose sur scène qu’un disque qu’on rejoue. Je crois que comme mes chansons sont un peu mélancoliques, c’est bien aussi de détendre l’atmosphère, de ne pas surjouer le personnage de veuf inconsolé. Il y aurait quelque chose de l’ordre de la messe qui sonnerait faux, qui serait ridicule. Et puis, simplement, il y a un objectif de sincérité : j’aime bien les gens drôles dans la vie. L’humour est une qualité essentielle pour moi. Cela crée un contraste avec les chansons qui parfois étonne les gens.


Vous dites que vous vivez les tournées comme des colonies de vacances ?

Oui, des colonies où ça se passe bien ! Les chanteurs disent souvent que c’est dur les tournées, qu’on s’implique vachement. En réalité, une fois qu’on a bien monté le spectacle, c’est génial. On est transporté, on est nourri, on est logé, on est vraiment traité comme des gros bébés. Le soir, on chante, on nous applaudit. On va manger, on boit. Moi, je ne suis qu’avec des gens que j’aime bien, des musiciens et des techniciens qui m’accompagnent depuis longtemps. La tournée, c’est le seul moment où je m’autorise à ne rien faire, à lire des livres, à regarder des films… C’est vraiment des vacances pour moi.


Plusieurs fois, vous avez parlé d’Alain Souchon. Qu’avez-vous pensé de son dernier album ?

Je le trouve formidable. Je suis épaté parce que j’ai cette idée un peu sinistre que malgré tout, quand on est artiste, plus on vieillit, moins on propose des choses intéressantes. Et je trouve que sur la musique, sur la société, sur lui-même avec Âme fifties avec ses souvenirs des années 50, il montre qu’il ne vieillit pas et me donne l’espoir que moi non plus, je ne vais pas m’affadir. Parce que ce qui est sûr, c’est que les artistes n’arrivent jamais à arrêter. Il me donne beaucoup d’espoir.


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