Arles : la fondation Luma, nouveau phare de la Camargue et de l'art contemporain
Une visite de la fondation Luma, créée par Maja Hoffman à Arles, dominée par la tour construite par l'architecte Frank O. Gehry.
C'est peu dire que l'ouverture de la fondation Luma à Arles était très attendue. Et la découverte des lieux tient toutes ses promesses, posant l'institution comme un incontournable de la scène contemporaine pour les prochaines décennies. Le chantier au long cours donne naissance à un projet totalement inédite pensé par la mécène suisse Maja Hoffman, où se croisent la création, la production d'oeuvres, la présentation d'expositions, mais aussi des programmes de recherche, d'éducation, de protection de l'environnement. Une partie des matériaux utilisés a d'ailleurs été pensée sur place dans les ateliers Luma, afin d'utiliser les matières premières locales, notamment le sel de la Méditerranée voisine. L'ancien parc des ateliers est totalement métamorphosé, dominé désormais par la tour construite par la star des architectes Frank O. Gehry, phare étincelant dominant la ville et la Camargue. Autour, tous les anciens bâtiments des atelieres SNCF ont été restaurés et le minéral a laissé la place à un gigantesque parc verdoyant, aménagé autour d'un étang pensé par Bas Smets.
Dès l'entrée dans la tour, l'impression est bluffante. L'acoustique est celle d'une cathédrale, les volumes sont gigantesques et harmonieux. Grâce aux transparences, le regard se perd dans un nombre impressionnant de perspectives où l'intérieur et l'extérieur communiquent avec bonheur.
Le bâtiment se compose de trois espaces. En sous-sol, des salles aux normes muséales accueillent les expositions et les programmes d'archives vivantes. Au-dessus, à 8 mètres du sol des ateliers, c'est-à-dire au niveau du boulevard, s'élève la tour en elle-même, haute de 56 mètres, avec ses 11 000 cubes de d'inox réfléchissant le soleil comme une multitude de touches, de rayons de soleil. Elle est entourée par une vaste verrière ouverte sur le ciel, baptisée le drum et baignée par la lumière naturelle.
Depuis les terrasses aux huitième et neuvième étages, la vue est panoramique, dominant le parc des ateliers, la ville et ses monuments antiques, puis la Camargue, la Crau jusqu'aux Alpilles et la mer.
Maja Hoffman a rencontré l'architecte Frank O. Gehry alors qu'elle produisait le documentaire que lui a consacré le cinéaste Sidney Pollack. Ensemble, ils ont réfléchi à ce nouveau phare, à matérialiser ce rêve de la mécène suisse, héritière des laboratoires pharmaceutiques Roche. Maja Hoffman a découvert la Camargue enfant quand son père, l'ornithologue Luc Hoffman est venu s'y installer. Dans les années 1950, ce pionnier de l'écologie a créé sur place la réserve de la tour du Valat, puis quelques années plus tard le WWF (World Wide Fund for Nature). Comme le rappelle Mustapha Bouhayati, directeur de la fondation, l'idée de Luc Hoffman était que pour protéger les oiseaux, il ne fallait pas sauver les animaux mais leur environnement. C'est un peu l'idée de Maja Hoffman, qui souhaite créer avec sa fondation un refuge pour les créateurs, les penseurs et les chercheurs, et peut-être aussi les esthètes.
La tour, porte d'entrée de la fondation, accueille assez peu d'oeuvres, mais elles sont à la mesure du projet. A l'escalier à double révolution, répond un grand toboggan de Carsten Höller, Isometric Slides, permettant de descendre directement du deuxième étage en accéléré à travers une oeuvre ludique à l'esthétique industrielle. Au-dessus de l'escalier, Olafur Eliasson installe un vaste miroir circulaire, le transformant en vertigineuse vis sans fin. Avec Laguna Gloria, Liam Gillick invite à se poser dans son jardin imaginaire. Dans l'auditorium, une vaste fresque en céramique de la peintre et poétesse libanaise Etel Adnan évoque le vent dans les arbres et le souvenir du passage de Van Gogh à Arles.
Un café est aménagé par Rirkrit Tiravanija, dont la pergola de bambou accueille déjà les visiteurs depuis plusieurs années aux forges. Au rez-de-chaussée, une marquise de Philippe Parenno invite à pénétrer dans une salle où il présente de façon permanente et immersive son travail, notamment un film unique monté à partir de ses différentes oeuvres. A l'extérieur, les gamins pourront glisser dans OooOoO, un skate park phosphorescent de l'artiste coréenne Koo Jeong A.
De temps en temps, résonne une étrange mélopée. Les personnels se figent et entonnent This Element, une mélodie de Tino Seghal composée spécialement pour cet espace. Selon l'artiste, entre pop et cérémonie païenne, la performance est une sorte d'ouverture des chakras de l'édifice.
Une première galerie permet de découvrir quelques pièces historiques. L'exposition "Trois générations : oeuvres issues de la collection de la fondation Emanuel Hoffmann" rassemble des artistes des avant-gardes des années 60 et 70 et des oeuvres plus récentes, habituellement hébergées au Kunstmuseum de Bâle. Une installation de Richard Long voisine avec des dessins rouges d'Alighiero Boetti, un impressionnant Cy Twombly créé en 1969 juste après le premier alunissage ou des dessins inspirés par le mythe d'Orphée, des photos de Duane Michals où se mélangent le corps et l'environnement ou une installation de Bruce Nauman.
Au sous-sol, une première grande exposition accueille la collection constituée par Maja Hoffman, la créatrice des lieux. "The Impermanent Display" rassemble des réflexions autour du temps, du monde en perpétuel changement, des bouleversements de la planète, des regards croisés sur l'évolution des sociétés. On retrouve Alighiero Boetti avec une magnifique carte du monde brodée en 1988 et 1989 dans une période de bouleversements des frontières, des paysages métaphysiques de la poétesse Etel Adnan.
A découvrir également un théâtre d'ombres de Hans-Peter Feldman, une visite sur la planète de Superman grâce à Mike Kelley, les Nefertiti éblouies de Katharina Fritsch, des miroirs de Michelangelo Pistoletto, des rochers peints de Franz West, des portraits bouleversants de Diane Arbus, une peinture sur aluminium de Christopher Wool et le fondant Enlèvement des sabines en cire d'Urs Fischer (le même que celui qui trône en ce moment au centre de la Collection Pinault à Paris, mais qui a été produit par Maja Hoffman pour la biennale de Venise en 2011).
Au coeur de l'expo, une série signée Rirkrit Tiravanija apparaît comme une clé pour comprendre le propos dans son ensemble. Sur de grandes toiles, il maroufle des journaux datant de la crise des subprimes de 2008. Alors que les bourses s'effondrent, que des familles se retrouvent au chômage et à la rue, l'actualité et la vie continue, potins des peoples, mode, sport... Comme pour souligner le décalage, mais aussi la pluralité d'approche du réel, l'artiste thaïlandais écrit un phrase avec une faute de syntaxe : The days of this society is numbered, littéralement Les jours de cette société est compté.
Le tout peut s'admirer, assis sur les sofas de Franz West, invitant les visiteurs à se poser pour regarder et penser. L'ensemble évolue dans des esthétiques très différentes, montrant la richesse d'une collection longtemps tenue à l'écart des regards. Cette galerie sera destinée à accueillir des expositions montées à partir de pièces appartenant à Maja Hoffman, des oeuvres souvent politiques, témoignant des questions sociales et des interrogations sur la marche du monde.
Une série de petites salles est ensuite consacrée au programme des archives vivantes. Par des partenariats noués avec des artistes, la fondation Luma change le regard sur la manière de présenter le processus de création. Destiné à la fois au public et aux chercheurs, cet espace montre des oeuvres encore en cours, qui s'enrichissent régulièrement. Cette nouvelle approche permet d'approcher l'artistique par son versant intime mais aussi de comprendre la relation que Maja Hoffman entretient avec les artistes. Ne se contentant pas de collectionner, elle souhaite s'engager dans la production, dans le soutien en créant non pas un musée mais un environnement, un écosystème.
L'exposition "La face cachée de l'archive" offre un premier regard sur ce projet en même temps qu'une passionnante réflexion sur l'idée de mémoire. Aux photos d'Annie Leibovitz, qui avait fait l'objet d'une magnifique exposition, s'ajoutent celles de Nan Goldin, les dialogues entre le penseur Edouard Glissant et le critique d'art Hans-Ulrich Obrist, mais aussi les archives d'artistes disparus comme la photographe Diane Arbus, le cinéaste Derek Jarman ou de la revue Parkett Magazine à laquelle collaborait Bice Curiger, directrice artistique de la fondation Van Gogh. Ces fonds sont appelés également à s'enrichir peu à peu, tout comme la bibliothèque de Martin Parr, déposée à Arles et qui n'est pas évoquée dans ce premier volet.
Avant de sortir de la tour, un détour s'impose par la salle de projection accueillant The Clock de Christian Marclay, oeuvre majeure permettant, comme l'exposition sur l'impermanence du monde, de saisir le goût de Maja Hoffman pour un art qui relève de l'expérience sensorielle, pour un art qui malgré sa monumentalité prend son temps pour permettre de regarder le monde autrement. Le film dure 24 heures, il s'agit d'un long montage d'extraits d'une minute où apparaissent des montres indiquant l'heure. En revisitant toute l'histoire du cinéma, cette vraie fausse fiction s'écoule dans un temps à la fois réel et mis en scène, interroge l'idée de suspense et de rebondissements dans un sablier visuel où chacun est confronté à sa mémoire personnelle.
La balade se poursuit vers les ateliers et le parc, où s'élève Krauses Gekröse, une sculpture monumentale de Franz West. L'ancienne cour en béton, dont la traversée estivale était souvent insoutenable, est métamorphosée. Les plantes, les fleurs, les arbres entourent un étang. L'ombre n'est pas encore là, mais la fraîcheur viendra... Les lieux semblent encore plus immenses qu'auparavant, invitant à la déambulation jusqu'à une troublante installation en miroirs de Carsten Höller.
En attendant les expositions que proposeront les Rencontres d'Arles dans l'atelier des forges, de nouvelles propositions sont encore à découvrir, "Life after BOB : The Chalice Study" du jeune artiste américain Ian Cheng, "Prélude", une exposition collective autour de l'idée de nature réunissant des oeuvres de Sophia Al Maris, Kapwani Kiwanga, Jakob Steensen et P. Staff, ainsi que l'éblouissante installation After UUmwelt de Pierre Huyghe. Nous y reviendrons dans un prochain article...
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