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Avignon : collectionner, un art d'aujourd'hui à la Collection Lambert

Une vision panoptique de l'art d'aujourd'hui à travers des oeuvres de l'Association pour la diffusion de l'art français à découvrir à la Collection Lambert à Avignon.

Que collectionnait-on en ce début de XXIe siècle à peine adulte ? C’est ce panorama que parcourt l’impressionnante exposition de la Collection Lambert à Avignon, née d’un partenariat avec l’Adiaf, l’Association pour la diffusion internationale de l’art français, connue pour décerner chaque année le prix Marcel-Duchamp. La récompense a été remise pour la première fois en l'an 2000, la Collection Lambert a ouvert la même année. L'occasion, non pas de dresser un premier bilan, mais de regarder de façon panoptique le monde, tel qu'il a été saisi par les plasticiens contemporains durant les deux dernières décennies. Habituellement les collectionneurs présentent les oeuvres acquises les trois dernières années. Pour l'événement avignonais, c'était l'occasion d'élargir le regard et la proposition.

Au départ le projet est un peu fou, « nous avons demandé aux collectionneurs leurs 10 chefs-d’œuvre, achetés durant les 20 dernières années à des artistes vivants », explique Stéphane Ibars, le commissaire. Le résultat était astronomiquement foisonnant. Parmi les 800 œuvres proposées, ont été sélectionnées 182 pièces, réalisées par 142 artistes, prêtées par 77 collectionneurs, pas aussi célèbres que ceux qui ouvrent leurs fondations, juste des passionnés, discrets et engagés dans la défense de la création.

Plusieurs fils peuvent être tirés à travers cette présentation, quasiment impossible à résumer. S’appuyant sur les écrits de l'auteur de science-fiction Philip K. Dick, notamment Si ce monde vous déplaît... et autres essais, Stéphane Ibars montre notamment comment les artistes, au sortir d’un XXe siècle qui avait promis d’être le meilleur, ont questionné l’histoire, l’héritage, pour interpréter le présent et tenter de penser l’avenir.

À côté de noms très connus, la vidéo Brises du Chilien Enrique Ramirez est une belle entrée en matière. Dans un long plan séquence, tout en douceur et en mélancolie, il évoque la violence de la dictature et sa mémoire familiale, les rapports entre l'histoire et l'intime, avec une pudeur et une poésie bouleversante. Cette violence de l’histoire est aussi présente chez Théo Mercier qui questionne l’héritage colonial avec son tas de masques africains au rebut, chez LaToya Ruby Frazier qui sonde la mémoire industrielle et sa dévastation sociale à Pittsburg aujourd’hui, chez Kader Attia qui interroge l’intégration en transformant une carcasse de scooter en objet précieux. Qu'a-t-on fait des messages universels et des promesses de progrès ? Avec We The People, Danh Vo disperse à travers le monde des morceaux de la statue de la Liberté. Qu'a-t-on fait avec la mémoire des combattants ? Le visage du dernier empereur aztèque Moctezuma a été transformé en souriant logo pour une marque de bière mexicaine que Cyprien Gaillard reproduit de façon grinçante sur un paysage bucolique européen.

L’héritage est aussi artistique. Comme un peintre minimal, Lawrence Abu Hamdan, récent lauréat du Turner Prize collectif, pose sur des toiles les courbes émotionnelles enregistrées par un détecteur de mensonges. Yann Serandour allonge les rayures de Daniel Buren sur des chaises longues. A partir de formes apparemment minimales, les empreintes Davide Balula réintroduisent la trace de la matière. La beauté étrange des formes simples de Katinka Bock évoque l'arte povera. Philippe Decrauzat réactive les illusions chères à l'art optique. Le collectif None Futbal Club s’amuse des tonsures de footballeurs en taillant l’étoile de Marcel Duchamp dans la chevelure de Djibril Cissé, dynamitant par la même occasion les frontières entre art élitiste et pratiques populaires.

Car en 20 ans, le monde a changé et les artistes, avec leur sensibilité, en sont les sismographes. Anri Sala filme un sans-abri dans un dénuement extrême au milieu des flux de touristes au Dôme de Milan. Bouchra Khalili fait retracer à un migrant son hallucinant voyage sur une carte. L’afro-américain Kehinde Wiley, star du marché depuis qu’il a fait le portrait d’Obama, présente un sportif israélien et un arabe se serrant la main, dans un mélange de kitsch, de références religieuses et politiques. Tout simplement, Mounir Fatmi pose des tapis de prières sur des skateboards et ouvre par son geste une foule de questions sur la société.


La problématique du genre, omniprésente dans la création contemporaine, est évoquée dans une salle comme un cabinet de curiosités, en dépassant les traditionnelles oppositions entre féminin et masculin. Omar Ba mélange les cultures. La peintre Françoise Pétrovitch, très collectionnée par les acheteurs français, crée un univers trouble aux personnages étranges, tout comme les gueules fracassées de Gaël Davrinche. Les oeuvres délirantes de Fabrice Hyber sont à l'image d'un monde où les frontières entre les disciplines s'effacent, se métissent.

Dans ces oeuvres invitant à la curiosité, les pièces appartenant à Antoine de Galbert, le créateur de la regrettée Maison rouge, prennent des chemins de traverse, cultivant un goût de l'étrange et de l'émerveillement. ACM (Alfred Corinne Marié) crée des architectures complexes, minutieuses et obsessionnelles, proche de l'art brut. Le Solitaire en spaghettis de Théo Mercier joue avec le mauvais goût et la pop culture. Elmar Trenkwalder mélange la préciosité de la céramique et l'érotisme...

Face au présent, certains choisissent aussi la poésie. David Horvitz, choisi par Yvon Lambert, imagine les nuages contenus dans l’eau de sa douche. Ange Leccia transforme le ressac de la mer en montagnes et Laure Prouvost, qui représentait la France à la dernière biennale de Venise, embarque le spectateur dans ses voyages sensoriels.

Mais le charme de cette présentation, où le name droping est inévitable, est qu'il est possible de rebrousser chemin et de voir une autre exposition...


Jusqu’au 15 mars. Mardi au dimanche, 11 h-18 h. Collection Lambert, 5 rue Violette, Avignon. 10 €, réduit 8 €, enfants 2 €. 04 90 16 56 20.


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