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Avignon : "Ecce homo" d'Ernest Pignon-Ernest au palais des Papes

Une passionnante traversée de l'oeuvre d'Ernest Pignon-Ernest au palais des Papes à Avignon.

"Ecce homo", la vaste rétrospective de l'oeuvre d'Ernest Pignon-Ernest au palais des Papes d'Avignon, est tout simplement d'une beauté saisissante. En réunissant plus de 400 pièces, dessins, sérigraphies, photos, documents, l'exposition traverse un demi-siècle de création poétique et engagée. L'artiste est souvent réduit à un précurseur du street-art, il suffit de lire les quelques lignes introductives à chacune des séries rédigées par l'artiste, pour se rendre compte que la question est infiniment plus complexe.

Les interventions ont beau avoir lieu en plein-air et laisser des traces éphémères, l'art d'Ernest Pignon-Ernest se situe dans un triple rencontre, entre un lieu, une histoire, un dessin. L'artiste ne colle pas ses papiers au hasard, en fonction des opportunités, comme un graffeur qui dégaine sa bombe. Il crée un moment, fait remonter à la surface un passé ou met au jour une situation. Chaque action d'Ernest Pignon-Ernest est pensée en fonction d'un contexte. Dès les années 60, il dénonce l'installation de missiles sur le plateau d'Albion, dans le Vaucluse.

Sans suivre de fil strictement chronologique, l'exposition montre toute l'ampleur d'une oeuvre à la richesse impressionnante. La densité de l'accrochage épouse d'ailleurs cette ampleur. Quelques parties sont particulièrement passionnantes. Dès le départ, les travaux pour les prisons Saint-Paul et Saint-Joseph montrent la profondeur de sa recherche. Ernest Pignon-Ernest évoque la Deuxième Guerre mondiale, en ressuscitant la mémoire des résistants embastillés sur place. Les linceuls évoquent les linges accrochés aux barbelés, de même que les bouteilles par lesquels les prisonniers échangent avec l'extérieur. Mais à l'intérieur des bouteilles que dessinent Ernest Pignon-Ernest, il n'y a pas que des boulettes de shit, mais aussi les serpents du pêché ou des allusions à l'histoire de l'art.

Dès les années 70, Ernest Pignon-Ernest s'intéresse à la situation sociale avec une acuité prémonitoire. Il s'empare des immeubles en voie de démolition, bien avant le gentrification des centre-villes. Dans les cabines téléphoniques, il accroche des figures errantes des sans-abris. A Paris, il fait remonter aussi à la surface des zones d'ombre de l'histoire sur les marches du Sacré-Coeur, construite sur le sang des Communards.

Cet art le porte autour du monde, à l'écoute des douleurs de la planète. A Soweto ou à Bethleem, il va au devant des tragédies de l'histoire, posant un regard à la fois sans détour et plein de sagesse. Ernest Pignon-Ernest n'est pas un incendiaire, il n'est jamais dans l'affrontement, il intervient toujours avec délicatesse. Et la vie qui entoure ses collages fait partie de son oeuvre, il l'intègre à son propos.

Au coeur de l'exposition, la partie consacrée à Naples est particulièrement spectaculaire. L'artiste a toujours entretenu avec la ville italienne une relation particulière. Dans ce décor baroque et déglingué, il dialogue avec l'art sacré et Le Caravage. Dans certaines niches, le visiteur peut découvrir grandeur nature les papiers que collait l'artiste. Au-delà de la politique, les séjours italiens montrent aussi l'importance d'une forme de classicisme dans son trait, à la puissance éblouissante. Ernest Pignon-Ernest n'est pas seulement un artiste fondamental par l'intelligence de ses interventions, il est aussi l'un des plus grands dessinateurs du monde.

L'exposition s'achève avec l'évocation des poètes qui traversent toute la carrière d'Ernest Pignon-Ernest. Récemment, une exposition centrée sur cette thématique était organisée au Méjan à Arles, accompagnant la publication du (très) beau livre Ceux de la poésie vécue avec André Velter. Son parcours Rimbaud entre Charleville et Paris, à la fin des années 70, est fondateur. Son hommage à Jean Genet sur le port de Brest dit toute la violence de son oeuvre. Sa lecture des poètes le pousse vers l'élaboration de dessins et vers des choix géographiques qui parviennent en une image qui résume une oeuvre. Le temps long, l'imprégnation sont aussi des matières premières que malaxe Ernest Pignon-Ernest.

Les dernières oeuvres autour de Pasolini sont sans aucun doute l'un des sommets de cette carrière. Le regard perçant, le poète et cinéaste porte son propre cadavre mutilé dans ses bras, à la manière d'une pietà moderne. Dans les quartiers pauvres de Naples, à Matera où il a tourné son Evangile selon saint Matthieu, à Rome, ville des vices qu'avait dénoncé le poète, Pasolini regarde les yeux dans les yeux les contemporains, qui savent aujourd'hui que les critiques et les prophéties de Pasolini étaient justes et visionnaires.

Jusqu'au 29 février. Tous les jours, 9 h 30-17 h 45. Palais des papes, Avignon. 12 €, 10 €. 04 32 74 32 74.




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