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Béatrice Fontanel : "Regarder la toile, jusqu'à ce qu'elle se mette à parler"

L'écrivaine Béatrice Fontanel a publié plusieurs livres d'histoire de l'art pour le jeune public. Avec "Toute une histoire dans un tableau", chez Gallimard, elle propose une série d'histoires pour les enfants à partir de 6 ans inspirés par quelques tableaux du musée d'Orsay à Paris. Ce projet de "Promenades imaginaires" se décline aussi en podcast, avec treize productions absolument délicieuses pour se plonger dans les tableaux de Renoir, Berthe Morisot ou Degas.


Le Bal du Moulin de la Galette, Auguste Renoir. Paris, musée d'Orsay.

Comment est née cette idée d'histoires pour enfants en podcast à partir de tableaux impressionnistes du musée d'Orsay ? C'est une idée du producteur Eric Le Rey, qui est un très fin connaisseur de l'univers du podcast. Il y a un an, je ne savais même pas de quoi il retournait. Je suis un écrivain extrêmement archaïque, je serais plutôt du genre à écrire à la plume d'oie et à me déplacer en calèche, je n'ai pas de téléphone portable... Donc, avec les podcasts, j'étais comme une poule devant un couteau.

Lui connaît très bien cet univers, il a proposé cette idée au musée d'Orsay qui a été tout de suite emballé. C'est vraiment un travail d'équipe. Même les conservateurs ont été très agréables, ils m'ont relu, proposé des corrections, mais avec une grande urbanité. Ce qui n'est pas toujours le cas... Souvent, les conservateurs ont travaillé toute leur vie sur un sujet et quand ils voient quelqu'un écrire sur leur domaine, parfois avec des petites inexactitudes, ils peuvent être secs. Là, la collaboration avec ce grand musée prestigieux a été extrêmement bienveillante et agréable. Eric Le Rey aime profondément le podcast. Il le voit comme une forme d'art, il travaille avec les meilleurs réalisateurs, notamment de France Culture. Créer des objets audio, il voit cela comme un recueil de poème, la musicalité, le côté littéraire du texte, le comédien qui va être la voix la plus adaptée, les bruitages. Ce sont vraiment des réalisations très fines. J'ai découvert tout cela, les enregistrements, les comédiens, la sélection des sons et des musiques, parfois enregistrées dans le cadre des concerts du musée d'Orsay.

Comment s'est fait le choix des tableaux ? Je suis également iconographe. Je suis une fanatique d'images, je participe souvent à des rencontres dans les classes, les médiathèques. J'ai beaucoup observé les enfants et je sais où va leur intérêt, ce qui les touche, la nature, les petites choses que parfois on ne remarque pas, les petites araignées, les détails parfois saugrenus mais que va repérer la curiosité d'un enfant.

J'adore observer la manière de réagir des enfants à ce que je leur montre. Par exemple, je leur montre des Soulages et je vois leurs grimaces. Evidemment, je réagis tout de suite et je leur demande pourquoi ça ne leur plaît pas. Pour la sélection, j'ai fait comme une gourmande dans une pâtisserie fabuleuse. J'ai choisi a priori ce qui me plaisait. Evidemment, ensuite, cela s'est compliqué car il fallait que ce soient des oeuvres de la collection qui ne partaient pas pour des expositions temporaires. Le musée m'a laissé assez libre, il fallait juste que les oeuvres soient visibles de façon permanente. Je voulais faire des histoires assez riches. Il fallait que ça dure au moins 7 minutes, ce qui est quand même assez long. Je voulais qu'on puisse avoir le temps de regarder longuement le tableau. On peut aussi regarder longuement un monochrome bleu d'Yves Klein, bien sûr. Mais pour des enfants, il fallait des toiles avec pas mal de choses à observer. Mon idée, c'était donc de choisir des tableaux avec beaucoup de personnages, qu'il y ait un enfant dans le décor et que cet enfant leur raconte son histoire. L'un des désirs du musée d'Orsay, c'était aussi qu'on apprenne des choses sur le tableau, sur le peintre, sur le contexte historique, sur le XIXe siècle...


L'écrivaine Béatrice Fontanel, photo C. Hélie.

Pour vous, le travail commence par un tête à tête avec le tableau. J'ai eu la chance de pouvoir passer beaucoup de temps au musée. Ça commence par un tête à tête divin, dans un musée à peu près désert, le lundi, le jour de fermeture. Je suis assise devant la toile, dans un silence total, il y a quand même des gardiens les jours de fermeture. Il fallait regarder la toile, jusqu'à ce qu'elle se mette à parler. C'était une expérience sensorielle assez amusante. Je voulais aussi trouver un personnage dans la toile, qui soit de préférence un enfant, mais pas exclusivement. Parfois, un autre point de vue était plus intéressant. Evidemment avec Julie Manet ou L'Enfant au chat d'Auguste Renoir, il y avait de chat merveilleux et c'était très amusant de le faire parler, c'était évident que c'était très riche au niveau littéraire. Mon idée était d'aller chercher un personnage qu'on ne trouve pas immédiatement, qu'il faille, en écoutant attentivement l'histoire, glaner des indices pour savoir quel personnage parle. Parfois, les enfants trouvent assez vite. Parfois, c'est plus difficile comme avec Le Bal du moulin de la Galette de Renoir. La petite fille qui raconte l'histoire est presque invisible. Il faut vraiment chercher et moi-même, je ne l'ai découverte qu'après avoir passé un très long moment devant cette toile absolument sublime, ce grand tableau avec la lumière qui passe à travers les arbres.

Il y a quelques années, il y avait les livres avec des images fractales qu'il fallait regarder et au bout d'un moment, une forme en 3D apparaissait. C'est un peu dans cet état que je me suis mise devant ces toiles. Après ce côté plaisant et personnel de rapport avec l'oeuvre, il fallait beaucoup lire pour raconter des histoires vivantes et avoir des sources sérieuses. A travers ces histoires, vous racontez l'histoire de l'art, mais aussi l'histoire d'une époque, toute la fin du XIXe siècle à hauteur d'enfant... C'est ce qui était difficile. J'aime beaucoup la poésie, la spontanéité. Mais je suis plutôt une besogneuse, une ancienne mauvaise élève, très dure avec moi-même. Je travaille toujours plus qu'il ne faudrait, comme une brute pour qu'à chaque ligne, on apprenne quelque chose et que ce ne soit pas lourd. C'est un danger quand on a une grosse documentation, de s'embourber dedans. Je viens de publier Dans la tête de mon maître, un roman sur la Révolution française et la vie de Lavoisier. J'ai fait trois années de recherche de documentation pour une année d'écriture. Les gens me font des compliments et me disent : quel travail ! Je ne suis pas sûr que ce soit un compliment, si on voit qu'il y a tant de travail, c'est peut-être que ce n'est pas assez enlevé. C'est comme une danseuse étoile. Elle a un travail de bagne, de souffrance, elle se martyrise les pieds, le corps et quand elle est sur scène, ça n'est que légèreté. J'ai eu de la chance aussi. En se donnant à corps perdu dans le travail, il arrive qu'on ait de la veine. Par exemple, pour le tableau de Félix Valloton, Le Dîner, effet de lampe, je suis passionnée par l'histoire des débuts du cinéma. Je me souvient avoir été frappée au musée de Turin par les collections de praxinoscopes et de toutes ces premières petites machines. Dans le tableau de Valloton, il y a une lampe sur la table avec un petit chat. Je me suis dit, c'est évidemment un praxinoscope. Il suffirait de faire tourner l'abat-jour de cette lampe et on aurait un effet optique de mouvement.

Et comme dans ce tableau, il y a un côté pesant de silence, on sent le dîner familial, avec des tensions, j'ai batifolé dans tout cela avec grand bonheur. Quand d'un coup, je trouve une idée comme ça, je suis limite à faire une danse apache dans ma chambre. C'est un bonheur de pouvoir raccorder ces tableaux à des thèmes qui m'intéressent. Je suis assez enfantine, très enthousiaste. Cela permet de se lancer, j'espère que ces petites histoires donneront un élan pour entrer dans ce tableau, comme dans Mary Poppins où les personnages sautent dans un dessin fait à la craie sur le trottoir et grâce à la magie, se retrouvent dans le dessin. C'est aussi une façon d'apprendre à regarder autrement. Il y a plein de zigzags dans vos histoires, on passe d'un détail à l'autre avant d'identifier un narrateur... Vous dites un mot que j'adore : zigzag. D'ailleurs, je crois que toute ma carrière est un grand zigzag. Ma bibliographie est un vaste bric-à-brac, comme une brocante. J'aime bien sauter du coq-à-l'âne. L'attention et l'oeil sont quelque chose de très étranges. Pourquoi regarde-t-on tel détail et pas tel autre ? On a intérêt à faire des zigzags, dans les musées, dans les tableaux, de ne pas rester au premier plan, d'aller chercher au deuxième, voire au troisième, ce qu'il y a de caché au fond d'un tableau, qui parfois a été peint par un pinceau à trois poils. Les enfants sont assez naturellement comme ça. Parfois, ils me font découvrir dans les dessins de mes albums des choses que je n'ai pas vues. Ils ont l'oeil américain, comme disait Jacques Tati. J'aime beaucoup les digressions. C'est riche. Je ne crois pas qu'un poète puisse aller en ligne droite. Comment les enfants reçoivent-ils vos histoires ? J'ai fait beaucoup de rencontres autour de ces promenades imaginaires, sous forme de jeu. Les enfants doivent trouver le narrateur. Mais ensuite, je leur demande de choisir un personnage et d'inventer une histoire. C'est intéressant que les enfants soient acteurs.

J'ai fait une rencontre récemment à Aix-en-Provence, une petite fille de six ans a inventé une histoire incroyable, d'une grande sensibilité sur Le Quai Saint-Michel, de Maximilien Luce qui aurait été sans doute charmé par l'interprétation de cette petite fille, car il était anarchiste, il avait été marqué par les événements de la Commune de Paris.

Dans ce tableau, on voit Notre-Dame, des gens assez chics avec des chapeaux à plume au bord de la Seine, tournés vers les bouquinistes et aussi des gens de peu, qui traînent des carrioles. Cette petite fille a imaginé d'une dame du peuple, qui porte des légumes et qui est très émue car elle s'aperçoit que les belles dames s'intéressent plus aux livres des bouquinistes qu'à un vieux monsieur âgé qui porte un gros tas de brique sur son dos. Dans ces ateliers, c'est moi qui apprend de mes petits lecteurs. C'est formidable, il faut accepter que les enfants apprennent quelque chose à leurs parents et il faut être à l'écoute de cela.

"Toute une histoire dans un tableau", de Béatrice Fontanel. Editions Gallimard jeunesse, 80 pages. 18 €.

Histoires à écouter en podcast sur le lien des Promenades imaginaires du musée d'Orsay.


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