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Christian Bobin en chemin vers Pierre, Soulages

Christian Bobin publie "Pierre,", chez Gallimard, un livre sublime sur son amitié avec le peintre Pierre Soulages.

Pierre, Pierre virgule. Chez Christian Bobin, chaque détail compte. Et cette virgule dans le titre est fondamentale. Pierre, un soupir. Pierre, un pas de côté. Pierre, un écart à l'égard de la marche du monde. Les livres de Christian Bobin font partie de ces textes où on a envie de s'arrêter après chaque phrase. Son dernier opus, où il raconte son chemin vers Pierre Soulages, vers le portail de la maison de Pierre Soulages, est un délice. Le 24 décembre 2018, comme un somnambule, il part du Creusot pour rendre visite à son ami sur les rives de la Méditerranée, à Sète, accompagné de ses fantômes personnels. Dans le train, il pense aux mots de Kafka qu'il est en train de lire, aux pensées de Pascal, à la vie de ses aïeux qui n'ont ni peint ni écrit, au mont Fuji et surtout à l'art de Soulages.


Dès la première page, évoquant à la fois Jean-Sébastien Bach, Arthur Rimbaud et Pierre Soulages, Christian Bobin écrit : « Je reconnais dans ces insensés ce qu'apprend avec effroi le nouveau né, chaque fois que le visage de sa mère lui réapparaît, crevant la toile de l'air comme le lion un cercle de feu : il y a une réalité infiniment plus grande que toute réalité, qui froisse et broie et enflamme toutes les apparences. » On pourrait s'arrêter là, fermer le livre et méditer jusqu'au lendemain, si ne venait la phrase suivante : « Il y a une présence qui a traversé les enfers avant de nous atteindre pour nous combler en nous tuant. »

Au fil de très courts chapitres, comme des petits poèmes en prose, l'auteur évoque à la fois la peinture et le peintre, avec un série de regards qui sondent à la fois les détails et les élève immédiatement vers des horizons lointains. « Je ne vois jamais photographiquement mais en esprit, ce qui est l'exacte façon de voir », dit-il. Voici donc un livre spirituel, sur une peinture qui relève étrangement à la fois de la matière et de la magie, sur une peinture qui donne à voir l'invisible. Avec Christian Bobin, la spiritualité est omniprésente, elle est la vie même, car « le divin est l'ordre lancé au cœur de battre et de se battre. »


Face aux tableaux de Soulages, Christian Bobin fait cette expérience toujours étrange : se retrouver face à soi-même. Dans ce monde devenu « l'enfer joyeux des vieilles nouvelles technologies », le colosse centenaire peint des tableaux devant lesquels Bobin se retrouve « devant l'impersonnel de la vie, la muraille muette de la première seconde de l'univers, avant que tout explose en milliards de nuances, de planètes, de visages et de fleurs. »


Quand Soulages parle de sa peinture, c'est toujours avec une extrême simplicité. Les titres qu'il donne à ses toiles se réduisent d'ailleurs à un format et à une date. Comme Dieu qui n'a pas de nom. Mais Christian Bobin transcende la matière et l'absence. « Le vide, comme tu sais, c'est quelque chose, ce n'est pas rien. »


Quelque chose ? « Une salve de résurrection. Rien de plus maigre que du noir ratissé à gauche, à droite, verticalement, en oblique. » Et pourtant... Et pourtant ! Et pourtant ?

Pierre, de Christian Bobin. Editions Gallimard, 104 pages. 14 €.


Pour aller plus loin :

Paris : le siècle de Soulages célébré au Louvre

Sur la piste... Les outrenoirs de Pierre Soulages au musée Fabre à Montpellier

Sur la piste... Conques, les vitraux de Soulages et la pureté romane


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