Jean Dubuffet et l'art brut pour les enfants
Un livre pour les enfants sur Jean Dubuffet, son art et sa collection d'art brut par Céline Delavaux, au Seuil Jeunesse.
S'il est un artiste passionnant pour les enfants, c'est bien Jean Dubuffet. Un parcours hors des sentiers battus, un affranchi, un cascadeur, une volonté incessante de s'affranchir des codes et d'explorer des nouvelles techniques, une curiosité pour les marges, un goût pour la liberté... Le livre pour enfants que lui consacre Céline Delavaux, au Seuil Jeunesse, est une mine pour inviter les plus petits à l'expérience artistique et leurs parents à élargir leur regard. Les enfants généralement - et Dubuffet le savait - n'en ont pas besoin !
Historienne de l'art travaillant pour la revue du Louvre Grande Galerie, Céline Delavaux connaît très bien le sujet. Elle a écrit une thèse sur Jean Dubuffet et plusieurs essais sur l'art brut, ainsi que quelques livres pour le jeune public. Avec Dubuffet, artiste et collectionneur d'art brut, livre joliment illustré, elle raconte de façon claire, vivante et très complète l'histoire de cet artiste qui voulait oublier l'histoire de l'art.
Avec de courts chapitres très pédagogiques, Céline Delavaux déroule d'abord le parcours de Jean Dubuffet, qui rêvait dès l'adolescence de devenir artiste mais s'ennuyait dans la tradition académique qu'on lui enseignait. Il débute donc en travaillant dans le négoce de vin comme son père. Mais la quarantaine venue, Dubuffet se lance et cette fois de manière incendiaire : « Cette fois-ci, plus rien de l'arrêtera. Il rêve de recommencer la peinture de zéro ». Comment faire ? En oubliant les maîtres, en s'intéressent à ce que les artistes ne regardent pas. Il peint la vie quotidienne, imite les enfants, il regarde le sol et ignore les règles et les politesses. Cela s'accompagne d'une exploration de la matière, de l'utilisation de sable, de gravier, de ficelle, de goudron...
Ainsi, Dubuffet crée, ce qui est le propre de tout vrai artiste : son propre monde. Un monde où la beauté est grimaçante, où le réel est métamorphosé, où la langue se tortille dans tous les sens. Ainsi, il écrit des textes dont l'orthographe devrait ravir les enfants : Envouaiaje, par in nimbesil, avec de zimage ou Plu kifekler mouinkon ni voua. Derrière ce qui pourrait passer pour de la provocation, se cache une farouche volonté d'ignorer les obligations d'un monde où les artistes ont plongé dans une servitude volontaire, d'imitation des anciens au dépens de la création, de la pensée, de l'innovation. L'art de Dubuffet, pour les enfants comme pour les grands, c'est une leçon de liberté. Mais aussi une leçon de dignité, qui accorde sa place à chacun.
La période la plus connue est sans doute celle de l'Hourloupe, que Céline Delavaux introduit par une anecdote : « Un jour alors qu'il est au téléphone, Jean Dubuffet trace des formes, machinalement avec des style-billes. De ces lignes et ces rayures de couleurs bleue et rouge, il résulte d'étranges figures qu'il découpe et colle sur fond noir ». C'est le début d'un travail qui va se prolonger pendant plus d'une décennie, jusqu'à devenir architecture avec la géniale Closerie Falbala, de Périgny-sur-Yerres.
Le livre s'achève par l'histoire de sa collection d'art brut. Loin de toute théorie abstraite, l'historienne définit très simplement ce concept fondamental forgé par Jean Dubuffet. « Les peintres professionnels ne font que répéter l'art du passé, parce que leur savoir bloque leur imagination. (...) Mais il fait le pari qu'une autre manière de faire de l'art existe quelque part (...) et se met en quête de personnes qui créent sans connaître l'histoire de l'art, sans souci d'être exposées, appréciées, sans même savoir qu'elles sont en train de faire de l'art. C'est Jean Dubuffet qui, en trouvant et en collectionnant leurs créations, va faire de ces inconnus des artistes ».
Céline Delavaux présente alors les vies et les oeuvres des plus connus de ces artistes inconnus, des marginaux, des prisonniers ou des fous, exposés aujourd'hui à Lausanne. Avec la même simplicité et toujours le goût du récit vivant, elle montre les créations d'Aloïse Corbaz qui rêvait de fêtes avec des princesses et des rois charmants, de Fleury-Joseph Crépin qui voulait faire 300 toiles pour arrêter la Seconde Guerre mondiale et a terminé son projet le 7 mai 1945, d'André Robillard qui sculpte des fusils n'ayant jamais tué personne ou de l'étonnant et timide Oswald Tschirtner qui dessinait si on le lui demandait des oeuvres minimalistes.
Informations pratiques
"Dubuffet, artiste et collectionneur d'art brut", de Céline Delavaux. Editions Seuil Jeunesse, 64 pages. 15,90 €.
Pour aller plus loin
Uzès : la collection d'art brut d'Alain Bouillet à la galerie Deleuze-Rochetin
Marseille : le regard dévastateur de Dubuffet au Mucem
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