Joël Alessandra sur les traces du voyage d'Ibn Battûta
Le dessinateur de bande dessinée Joël Alessandra publie un magnifique volume consacré aux voyages d'Ibn Battûta.
« Au XIVe siècle, un homme pouvait partir de Grenade et traverser le monde jusqu’en Chine sans être inquiété. Il y avait des brigands, des naufrages, des pestes mais un musulman trouvait partout l’hospitalité de sa communauté », s’émerveille le dessinateur de bande dessinée Joël Alessandra qui publie un gros volume consacré aux voyages d’Ibn Battûta, incroyable aventure de près de 30 ans depuis le Maroc jusqu’à l’Asie.
« C’est un personnage peu connu en France et en Occident. Je m’intéresse depuis toujours aux écrivains voyageurs et à Ibn Battûta », poursuit Joël Alessandra, installé à Arpaillargues près d’Uzès et lui-même grand voyageur. Il y a très longtemps, il avait commencé à débroussailler le sujet, l’avait proposé à un petit éditeur. « La Rihla, la relation de voyage dictée au XIVe siècle, c’est un monument ». L’aventure avait été abandonnée. Et puis, il y a deux ans, à Alger, il a rencontré José Louis Bocquet, l’éditeur de la collection Aire Libre chez Dupuis. « Il m’a dit : pourquoi tu m’envoies pas un projet ? Et il me dit qu’il me verrait bien dans un projet, mais qu’il faut connaître, que c’est monumental… Et il me parle d’Ibn Battûta. Je suis tombé des nues et on est parti signer le contrat à Tanger, avec Lofti Akalay, romancier marocain qui avait adapté la Rilha », se souvient Joël Alessandra.
L’écrivain marocain est malheureusment mort avant de voir le projet terminé et aujourd’hui paraît un album de 250 pages, « profondément inspiré de son travail » et complété par le regard personnel de Joël Alessandra, qui imagine Ibn Battûta en dessinateur et adepte du soufisme, « où on peut représenter la figure humaine, où dessiner permet de se rapprocher de Dieu ».
Préfacé par Ali Benmakhlouf, professeur d’université à Paris-est Créteil, spécialiste de philosophie arabe, l’opus débute quand Ibn Battûta, de retour au Maroc après 29 ans de voyage, commence à dicter ses souvenirs au scribe du sultan. Les différents chapitres permettent de parcourir l’Orient médiéval, le Maghreb, l’Égypte, la Syrie, la Palestine, la péninsule arabique, l’Irak et la Perse, l’Asie mineure, l’Inde, les Seychelles, la Chine…
Dans son récit, le témoignage, les anecdotes et les affabulations se mélangent. « Il raconte, mais il raconte aussi ce qu’on lui a raconté. C’est un récit un peu merveilleux, il arrange beaucoup. On pense qu’il a pris des notes, il pioche dans sa mémoire, mais l’imagination prend parfois le pas sur la réalité », précise Joël Alessandra. La distance temporelle entre la période du voyage et l’écriture des souvenirs peut aussi expliquer le flou. Ainsi, il se souvient avoir vu des pyramides coniques près du Caire...
« C’est le premier touriste de l’histoire. On peut le comparer à Marco Polo, mais il était commerçant. Ibn Battûta à une formation de juriste, mais il part pour jouir de ses voyages, visiter des mosquées et des lieux saints », poursuit l’auteur, qui sans s’engager sur le terrain des comparaisons et des anachronismes admire ce parcours. « C’est un musulman convaincu, qui a fait quatre fois le pèlerinage à La Mecque. La curiosité, l’ouverture, la tolérance sont ancrées en lui », explique Joël Alessandra qui reprend aussi les idées de Lofti Akalay, qui en font un infatigable coureur de jupons.
Pour ce livre, Joël Alessandra s’est également nourri de ses propres voyages. « J’ai visité une trentaine de pays parmi la totalité du voyage d’Ibn Battûta. J’ai privilégié les pays où je suis moi-même allé. Je suis passé plus rapidement sur la Mongolie ou les steppes russes. Par contre, pour l’Afrique orientale, l’Inde ou le Sri Lanka où j’ai vécu, j’étais plus à l’aise dans les descriptions, j’ai pu piocher dans mes propres carnets ». Encore l’été dernier, Joël Alessandra était dans le Kerala, dessinant la mosquée de Calicut où Ibn Battûta avait prié.
Le récit de ce périple épouse naturellement le style et la personnalité de l’auteur, qui insère dans les pages des objets personnels glanés autour du monde, des pages de carnet, des grandes aquarelles panoramiques. À l’atelier comme en voyage, Joël Alessandra utilise la même trousse de couleurs. Il travaille d’abord avec un crayonné très vif, sans ancrage, puis rehausse à l’aquarelle et au café. « C’est pratique. C’est un médium hypersimple, Même en voyage, on en trouve partout », sourit l’auteur. Cela lui permet aussi une infinité de nuances d’ocres, très orientales.
"Les Voyages d'Ibn Battûta", de Joël Alessandra et Lofty Akalay. Editions Dupuis, collection Aire Libre, 248 pages. 29,90 €.
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