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ORLAN, une autobiographie en forme de strip-tease

La plasticienne ORLAN publie une passionnante autobiographie, chez Gallimard. L'inventeuse de l'art charnel revient sur les grandes étapes de sa carrière, guidée par le féminisme, le goût de la liberté et la curiosité de l'avenir.

Se souvenant d'une peinture qu'elle regardait, enfant, quand elle allait aux toilettes, ORLAN confie : « En la contemplant, je me demandais (...) pourquoi le peintre avait mis autant de peinture sur la toile, et en secret, je la touchais, je la caressais. Je suis une toucheuse, j'aime les contacts physiques, ils sont concrets et apportent d'heureuses sensations. » Chantre de l'art charnel, ORLAN est une artiste qui aime les technologies, la vidéo, la robotique, la génétique, la chirurgie ou l'intelligence artificielle. Mais les souvenirs qu'elle partage dans son autobiographie ORLAN, strip-tease, tout sur ma vie, tout sur mon art montrent un rapport au corps sensuel, qui parcourt toute son œuvre baroque et contemporaine.


« On n'échappe pas à son enfance. » De ses premières années dans les années 50 près de Saint-Etienne, qui ont forgé sa sensibilité et son envie d’ailleurs, ORLAN se souvient de la saveur des prunes et des champignons, des nuits étoilées, des coulisses de l'Eden Théâtre où son père travaillait le soir, mais aussi des gestes déplacés d'un drôle de docteur qui entraîne le père de la petite fille dans ses errements. « On veut coûte que coûte retrouver la main caressante, oublier absolument la main qui a frappé. C'est comme si l'on arrivait pas à croire que cette douce main puisse faire mal et aussi mal. » De cette vie, ORLAN a fait une œuvre et c'est ce qui est passionnant dans le livre, car son œuvre n'est pas autobiographique, elle est inspirée par sa biographie que la plasticienne transcende. Et au fil du récit, ORLAN fait le lien entre les événements et les œuvres à naître, les échos, les indices à retrouver... Comme le titre du livre l'indique, elle se met à nue, mais elle met aussi son œuvre à nue, la regarde avec distance, la remet en perspective, montre les liens secrets qui existent entre ses souvenirs, ses sensations, ses amours, ses rencontres, ses voyages et sa création… Elle ne cache rien, de son avortement à une époque où c’était interdit aux déprimes qui vont jusqu’aux idées suicidaires, en passant par les histoires d’amour ou les relations conflictuelles avec certaines galeries.


Comme un fil conducteur, ORLAN clame à chaque page sa soif de liberté et son féminisme. Avant même d’être reconnue, par ses choix personnels, comme dans son œuvre, elle brave les interdits et les assignations, résumées par Benoîte Groult, dont elle cite la pensée : « Il faut enfin guérir d'être femme. Non pas d'être née femme mais d'avoir été élevée femme dans un univers d'homme, d'avoir vécu chaque étape et chaque acte de notre vie avec les yeux des hommes et les critères des hommes ? Et ce n'est pas en continuant à écouter ce qu'ils disent, eux, en notre nom ou pour notre bien, que nous pourrons guérir. » Et ORLAN d'enfoncer le clou : « Toute notre éducation dans la plupart des cas est faite pour que l'on n'ait pas d'ambition professionnelle, que l'on n'occupe jamais le premier plan, que l'on devienne sage, gentille et discrète, assujettie à un second rôle de l'épouse de son futur mari comme dans le langage où le masculin l'emporte. »


Bien sûr, ORLAN revient sur le moment sans doute le plus connu de sa vie, le fameux Baiser de l’artiste lors de la Fiac de 1977. Aujourd’hui, l’œuvre est un classique de la performance. On oublie qu'il n’était pas au programme officiel de la foire d’art contemporain. Sans être invitée, elle parvient à créer l’événement. Mais l’œuvre n’était pas du goût de tout le monde, y compris dans le frileux milieu de l’art. A la suite de la performance, ORLAN est virée de l’école où elle enseigne. Les temps sont durs pour une femme artiste, surtout si elle parle du corps et du sexe… Mais ORLAN déborde d’un appétit de vivre et de créer. Les deux ne vont pas l’un sans l’autre.


« Seul.e.s les artistes qui font de l'art savent ce qu'est l'art », dit-elle. « Mes œuvres se sont mêlées à mon existence. A chaque œuvre, c’est refaire une entrée, son entrée, se réenvisager en utilisant la vie comme un phénomène esthétique récupérable, c’est aussi créer des moments d'intensité pour soi-même et autrui en considérant la vie comme une scène, comme un théâtre et/ou un film. »


Elle s’attarde aussi longuement sur l’aventure des opérations chirurgicales, opérations par lesquels selon Paul Virilio, ORLAN passe de l'autoportrait à l'« outreportrait » : « Mes opérations-chirurgicales-performances nous obligent, vous comme moi, à regarder des images qui, dans la plupart des cas, nous rendent aveugles. (…) Les yeux deviennent des trous noirs dans lesquels l'image est absorbée comme de gré ou de force, ces images s'engouffrent et viennent taper directement là où ça fait mal, sans passer par les habituels filtres, comme si les yeux n'avaient plus de connexions avec le cerveau. »


Et c'est bien la puissance de l'œuvre d'ORLAN de dévoiler l'humanité, d'interroger sa beauté et sa laideur. Livre de mémoire, ce strip-tease est aussi un manifeste. ORLAN y affirme avec puissance son féminisme, elle rend des femmages à celles qu'elle admire, elle s'élève contre les diktats de l'époque, du monde masculin et chrétien et de la nature. « Mon travail et ses idées incarnées dans ma chair posent des questions sur le statut du corps dans notre société et son devenir dans les générations futures via les nouvelles technologies et les manipulations génétiques. » Selon elle, « nous sommes à la charnière d'un monde pour lequel nous ne sommes pas prêts ni mentalement, ni psychiquement. La psychanalyse et la religion s'accordent pour dire : "Il ne faut pas attaquer le corps", il faut s'accepter soi-même. Ces pensées paraissent primitives, ancestrales, anachroniques, sommes-nous persuadé.e.s que le ciel va nous tomber sur la tête ni nous touchons au corps (..) Sommes-nous persuadé.e.s que nous devons nous plier aux décisions de la nature ? Cette loterie des gênes distribués arbitrairement ? »


Face aux craintes bioéthiques que peut provoquer le transhumanisme ou les progrès de la génétique, ORLAN affiche un optimisme qui est une forme d'esthétique nouvelle, fondée sur l'hybridation, la mobilité, le nomadisme des identités, la réinvention permanente. Il est permis de ne pas partager systématiquement son enthousiasme, mais ses réflexions sont stimulantes, invitant à douter, à remettre en question les habitudes, qui deviennent facilement des certitudes par une sorte de conformisme de la pensée qu'elle récuse. En entrant et en sortant du bloc opératoire, elle donne à voir d'autres possibles, basés sur un choix réfléchi, délibéré et qui peut évoluer. On est ce que l'on décide d'être, mentalement, physiquement, artistiquement. Librement. Et peut-être même ad vitam eternam, si sa pétition contre la mort trouve enfin une issue favorable !


"Strip-tease. Tout sur ma vie, tout sur mon art", ORLAN. Editions Gallimard, collection Témoins de l'art. 352 pages. 29 €.


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