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Paris : Boltanski, la mémoire et les ombres au centre Pompidou

Au centre Pompidou à Paris, "Faire son temps", spectaculaire et bouleversante exposition du plasticien français Christian Boltanski.

Grosse claque. Très grosse claque. Énorme claque. L’exposition "Faire son temps" de Christian Boltanski au centre Pompidou à Paris est monumentale, une plongée bouleversante dans une œuvre intime et universelle, stupéfiante par sa puissance, sa justesse et l’élégante modestie des moyens mis en œuvre. Car même quand Boltanski fait dans le spectaculaire, il reste toujours à hauteur d’homme. Son art n’écrase pas, il engage.


Entre les ampoules dessinant le mot "Départ" et le mot "Arrivée", l'exposition est bien plus qu'une rétrospective, mais une oeuvre en soi, servie par une scénographie réunissant toutes les pièces en une vaste installation. Pensée par l'artiste lui-même, cette déambulation traverse plus de trois décennies, comme une suite de séquences en fondu enchaîné. Dans la pénombre, les oeuvres dessinent une longue recherche autour de la mémoire, de l'oubli. Les visages défilent, ils nous regardent. Qui sont-ils ? Nos ancêtres, nos contemporains, nos enfants ? Nos semblables, nos égaux. Ils sont nous, avec nos peurs, nos peines, nos morts.

Boltanski est à la fois un mémorialiste qui enregistre les traces intimes et collectives du siècle, un alchimiste qui transforme l'anodin en objet riche de sens multiples, un romancier aux narrations complexes et pourtant absorbantes, un plasticien à l'intelligence supérieure qui crée des images et des mises en scène qui touchent le coeur et l'esprit, l'âme et le corps.


Il y a maintes façons de traverser cette exposition, sans doute autant qu'il existe de regards, peut-être plus. Aucun cartel n'accompagne les oeuvres, un guide de visite présentant en quelques lignes chaque pièce.


Dès le départ, apparaissent quelques souvenirs intimes de l'artiste. Avec Essai de reconstitution (1970-1971), Boltanski se remémore quelques objets de son enfance, sculptés en pâte à modeler et réduits en poussière par le temps. En 2007, avec 27 possibilités d'autoportraits, il propose toutes les combinaisons possibles à partir de portions de photos reconstituées pour évoquer ses multiples facettes à travers les temps. Non loin, l'Album de photos de la famille D. 1939-1964 illustre la démarche de l'artiste qui mélange à son histoire celle des autres, qui s'approprie des images rendues floues pour leur donner une valeur universelle et hors du temps.

Puis les visiteurs sont invités à passer à travers Entre-temps, un rideau de cordes où sont projetés les visages de Christian Boltanski à différents âges. Le temps s'écoule avec douceur, dans un cycle en boucle qui échappe à son écoulement naturel.


Les yeux dans les yeux, c'est une rencontre avec les vivants et les morts qui se met en place. Parfois, l'image est totalement absente comme dans les Miroirs noirs, qui évoquent par leur présentation les galeries de portraits mais ne sont peuplés que de reflets et de fantômes. Les traces peuvent être évanescentes comme avec les Véroniques où les visages de femmes sont tirés sur papier calque et posés sur des tissus. La figure de sainte Véronique correspond totalement à l'art de Boltanski. Selon le Nouveau Testament, la pieuse femme donna un voile à Jésus alors qu'il portait la croix sur le Golgotha. Il s'essuya avec, imprimant miraculeusement la trace de son visage sur l'étoffe. Plus récemment, avec Les Regards, il réunit des photos d'anonymes sur des grands voiles pour une installation immersive, les visiteurs plongés au milieu des tissus flottants, agités par des ventilateurs.

Que reste-t-il d'une personne, d'une personnalité ? Même dans les reliquaires ou les autels, célébrant une présence, le trouble est omniprésent. En avançant, en revenant sur ses pas au sein de l'exposition, chacun vit ou revit une expérience personnelle, avec toujours, sans que ce soit dit, l'ombre portée de la Shoah, l'anéantissement qui a tenté d'effacer à la fois les corps, la culture, l'Histoire. Les Reliquaires ont précisément pour origine la photo de fin d'étude d'un lycée juif de Vienne. Mais Boltanski n'affirme jamais, il suggère. Son histoire personnelle est marquée par les drames du nazisme et de l'Occupation. Né d'un père juif et d'une mère chrétienne, il a grandi avec ce traumatisme, métamorphosé grâce à son art en profonde réflexion sur la mémoire et le présent.

Parfois, les images s'accumulent comme avec la célèbre Réserve des Suisses morts où Boltanski collecte les photographies d'avis de décès parues dans la presse, comme une immense vanité où se mélangent sans distinction les visages hors de tout contexte biographique, sans éléments distinctifs. Une ampoule met en lumière chaque regard, sans pour autant les sauver de l'anonymat où ils ont sombré. Le projet se prolonge de façon spectaculaire avec une installation où Boltanski colle les photos sur des boîtes de métal oxydées, l'un des éléments omniprésents dans son vocabulaire plastique. L'accumulation, l'empilement dressent un paysage sans cesse au bord de l'effondrement. Le risque de la disparition est toujours proche...


Avec Les Portants, il poursuit ce mélange de visages traités indistinctement. A partir de photos parues dans le magazine spécialiste des faits-divers Détective, Boltanski dispose sur des portants deux portraits, à la fois la victime et l'assassin, éclairés par des tubes fluorescents. Qui est qui ? Où est le bon ? Où est le mauvais ?

Face à cet oubli qui guette, Boltanski a le pouvoir de ramener dans l'aujourd'hui les disparus. Avec Les Registres du Grand-Hornu, il lutte contre l'oubli, réunissant et présentant les documents d'archives des ouvriers de mines belges. Les milliers de fiches et parfois de photos de ces hommes et ces femmes marquent la volonté de donner une voix, un visage aux petits. L'ampleur de l'installation et le terril créé avec des manteaux noirs et une lampe montre la masse noyant l'individu. Mais il s'agissait d'êtres humains avec leurs combats, leurs rêves, leurs désirs, leurs craintes, leurs espoirs...

L'exposition s'achève avec un peu plus de légèreté. L'absence peut prendre de nombreuses formes. Avec Misterios, il évoque les baleines de Patagonie. Avec l'aide d'acousticien, Boltanski a créé des trompes qui reproduisent le chant des cétacés, installés aux confins du monde. De part et d'autre de la vidéo, des écrans montrent à la fois le vide désertique du paysage et l'image de la mort à travers un squelette de baleine. La série des Animatas prolonge ce questionnement, qui dépasse la présence humaine pour embrasser l'immensité de l'univers, avec des clochettes accrochées à des tiges dans le désert d'Atacama au Chili qui sonnent au rythme du vent comme des lieux de communion avec la terre, la nature, les éléments. Ce qui restera quand l'homme et ses représentations auront définitivement disparu...

Jusqu'au 16 mars 2020. Mercredi au lundi, 11 h-21 h. Nocturne jeudi jusqu'à 23 h. Centre Pompidou, place Georges-Pompidou, Paris. 14 €, 11 €. 01 44 78 12 33.


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