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Paris : Francis Bacon, peintre et lecteur au centre Pompidou

Au centre Pompidou à Paris, une vaste exposition de Francis Bacon où les toiles sont mises en relation avec ses passions littéraires.

Depuis longtemps, l'oeuvre de Francis Bacon était vue à travers le regard des écrivains, des penseurs, de Michel Leiris ou Gilles Deleuze. Avec l'exposition que propose le centre Pompidou à Paris, c'est une inversion qui a lieu en creusant la façon dont Francis Bacon, peintre et grand lecteur, s'est nourri des livres.

"Bacon en toutes lettres" se présente de façon inédite. Hormis une courte introduction, aucun texte de salle n'accompagne le visiteur, invité à un corps à corps avec la chair de la peinture. Le regard est guidé par l'écoute. Dans des salles isolées, des lecteurs donnent à entendre des extraits de textes d'oeuvres figurant au panthéon intime de Francis Bacon. Dominique Raymond dit quelques vers de L'Orestie d'Eschyle. Suivent La vision dyonisiaque du monde, extrait de La Naissance de la tragédie de Nietzsche par Hippolyte Girardot, le poème La Terre vaine de T.S. Eliot par Carlo Brandt, Miroir de la tauromachie de Michel Leiris par Valérie Dréville, Au coeur des ténèbres de Joseph Conrad par André Wilms et l'article Abattoir du Dictionnaire de Georges Bataille. L'ensemble des lectures est disponible sur le site du centre Pompidou pour prolonger la visite.

L'art de Francis Bacon n'est pas narratif et ses peintures ne sont en rien des illustrations de ces textes. Et l'exposition n'éclaire d'ailleurs pas vraiment la relation entre le peintre et ses auteurs de chevet, laissant libre court à l'imagination pour tisser des liens, selon la sensibilité de chacun. Les propos de Georges Bataille sur les abattoirs résonnent de façon incroyable avec les toiles de l'artiste :

« ABATTOIR. – L’abattoir relève de la religion en ce sens que des temples des époques reculées (...) étaient à double usage, servant en même temps aux implorations et aux tueries. Il en résultait sans aucun doute (...) une coïncidence bouleversante entre les mystères mythologiques et la grandeur lugubre caractéristique des lieux où le sang coule. (...) De nos jours l’abattoir est maudit et mis en quarantaine comme un bateau portant le choléra. or les victimes de cette malédiction ne sont pas les bouchers ou les animaux, mais les braves gens eux-mêmes qui en sont arrivés à ne pouvoir supporter que leur propre laideur répondant en effet à un besoin maladif de propreté, de petitesse bilieuse et d’ennui : la malédiction (...) les amène à végéter aussi loin que possible des abattoirs, à s’exiler par correction dans un monde amorphe, où il n’y a plus rien d’horrible et où, subissant l’obsession indélébile de l’ignominie, ils sont réduits à manger du fromage. »

Tout est dit ! L'atelier de Francis Bacon est sans doute un vaste abattoir, l'artiste maniant autant les pigments et les pinceaux que le hachoir et le bistouri. Il donne à voir ce que la sensiblerie, qui se prend pour de la sensibilité, préfère écarter. L'homme y est réduit à de la viande comme le montrent cette sélection d'une soixantaine de toiles peintes entre 1971 et sa mort en 1992. 1971, c'est la date de sa grande rétrospective au Grand Palais, à la fois consécration et drame intime puisque son amant George Dyer s'est donné la mort la veille du vernissage.

Dès la première salle, trois grands triptyques présentent toute la dimension tragique de l'oeuvre de Bacon. Un ensemble, peint en 1971, In memory of George Dyer évoque cette histoire d'amour et de mort. Les deux autres, datés de 1972 et 1973, tout aussi violents, montrent la cruelle vision de l'existence de Bacon. Ensuite, les toiles sont présentées sans suivre de fil chronologique ou thématique, invitant le regard à passer de l'une à l'autre dans une confrontation pleine de vérité avec l'autre et avec soi-même. Le corps dans les tableaux de Bacon, c'est de la chair, des os, du sang, du foutre. Et il s'applique les mêmes règles : le visage de Francis Bacon revient souvent, au fil des autoportraits qui rythment son questionnement, mais aussi avec des tableaux accrochés dans le décor. Il ne triche pas, se livre à cru, tout entier, intérieur et extérieur.

Parfois apparaissent des allusions à la tauromachie ou des portraits, mais la question de Bacon, c'est l'homme brisé, déchiqueté, blessé, prisonnier d'un univers carcéral, l'homme anéanti par l'absurdité du monde moderne qui a pensé la solution finale et inventé la bombe atomique. Le peintre n'a peur de rien, ni des couleurs vives qui seraient chez d'autres de mauvais goût, ni d'aller au devant du dégoût, ni de flirter avec la démesure destructrice. Il réunit à la fois Apollon et Dionysos, « double source » de l'art grec selon Nietzsche, car selon le philosophe, l'homme « atteint la volupté d'exister dans deux états, le rêve et l'ivresse. » Comme dans le monde hellénique, les deux éléments sont omniprésents dans l'oeuvre de Bacon, même si le rêve tourne souvent au cauchemar...

Curieusement, la peinture de Bacon est très physique, plus encore en l'absence de textes destinés à la médiation, à l'interprétation, à la contextualisation. Cela tient d'abord à la répétition des formats, qui font de chaque toile une variation sur un même thème. Cela tient aussi à la crudité du traitement, à cette boucherie impressionnante jetée à la face du monde. Mais elle est aussi métaphysique, une réflexion profonde sur l'essence de l'être humain, une oeuvre qui creuse, sonde les âmes et les reins, le désir et la répulsion, le plaisir et la souffrance, le sacré et le profane.


Jusqu'au 20 janvier. Mercredi au lundi, 11 h-21 h. Nocturne jeudi jusqu'à 23 h. Centre Pompidou, place Georges-Pompidou, Paris. 14 €, 11 €. 01 44 78 12 33.

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