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Paris : la passion Christo et Jeanne-Claude au centre Pompidou

Retour sur la relation entre Paris et Christo et Jeanne-Claude au centre Pompidou à travers les oeuvres du début des années 60 et une exposition-dossier sur le mémorable projet pour le Pont Neuf.

Ville de liberté, ville de création et ville d'amour, Paris tient une place particulière dans la vie et l'oeuvre de Christo et Jeanne-Claude. C'est ici qu'ils se sont rencontrés, c'est ici qu'il a commencé à élaborer son vocabulaire plastique, c'est ici qu'aura lieu l'an prochain le dernier projet de Christo pour l'Arc de triomphe, posthume car l'artiste mort en mai dernier.


Quand Christo Vladimiroff Javacheff quitte sa Bulgarie natale, il passe par Vienne en 1956, puis arrive apatride à Paris en 1958 où il s'établit jusqu'en 1964 avant de partir pour New York. Pour gagner sa vie, il peint des portraits bourgeois, qu'il considère comme des « romans policiers. » Mais en secret, dans sa petite chambre de bonne, il développe un art plus personnel, couvrant des boîtes de conserve de tissu, enduites de peinture, de laque, de ficelles, se lançant dans ce qui va faire sa griffe.

L'artiste n'appartient à aucun groupe, malgré son rapprochement éphémère avec les Nouveaux Réalistes et le regard attentif que portera bientôt Pierre Restany sur son travail. S'il existe une parenté dans ces premières oeuvres, elle est peut-être à chercher du côté de Jean Dubuffet. Cela est particulièrement net avec les surfaces d'empaquetage. Christo ne se contente pas de couvrir des objets, il expose aussi ces tissus imprégnés de peinture qu'il tend comme des peaux à la manière d'un tanneur ou dont il fait des tableaux. A la surface, rigidifié, le tissu ou le papier est froissé, plié, mélangé à du sable, à de la poussière pour des pièces radicales et sombres. L'exposition présente pour la première fois une impressionnante série de cratères, où la matière semble éclater à la surface de la toile.

Dans les mêmes années, il change d'échelle passant de la boîte de conserve au baril, qu'il empile. Même s'il n'est pas assimilable ni à l'ironie ni à la critique de la société industrielle qui préoccupe de nombreux artistes à l'époque des deux côtés de l'Atlantique, les deux semblent symboliser la société de consommation qui éclot en Occident, remplissant les réfrigérateurs comme les réservoirs des bagnoles. L'exilé n'oublie pas ses origines de l'autre côté du rideau de fer et en juin 1962, en réaction à la construction du mur de Berlin l'année précédente, il barre la rue Visconti, dans le quartier de Saint-Germain-des-Près avec des barils. Oeuvre fondatrice et éphémère qui en annonce d'autres dans les paysages urbains comme naturels...

Peu à peu, il épure son style et s'il continue à empaqueter des objets, il abandonne les effets de surface, se contentant de serrer le mobilier avec de plus en plus de cordages. Le contenu est parfois mystérieux, parfois encore reconnaissable. Chariot, cheval à roulette, poussette, meubles, panneaux de signalisation dans du tissu ou dans du plastique...

L'ancien portraitiste figure aussi Brigitte Bardot ou sa compagne Jeanne-Claude Denat de Guillebon, rencontrée à Paris et avec laquelle il va former un duo fusionnel, lui à la création, elle à l'organisation et à la communication. Mais les tableaux ne sont pas encadrés de doré, ils sont pliés dans un film plastique et entourés d'une corde nouée. Avec ce polyéthylène transparent, il empaquette aussi des objets, cachant et révélant à la fois.

Avant de quitter Paris, Christo se lance dans un nouveau projet autour des vitrines. D'abord avec des maquettes puis à la taille réelle, il occulte les devantures de magasins reconstitués. Le geste ne change, il s'agit toujours de masquer, de troubler le regard. Mais cela ouvre le travail des artistes vers d'autres dimensions. D'abord, les vitrines sont accompagnées de ces dessins préparatoires qui vont accompagner le reste de sa carrière, qui ne sont pas des archives mais des oeuvres propres aussi belles que les réalisations finales avec la justesse du trait, la recherche sur la perspective, le mélange de dessin, de fil et de tissus. Cela oriente aussi Christo vers une dimension architecturale et urbaine, aux frontières du land art.

En 1964, le couple part s'installer à New York. Mais avant de partir, Christo a déjà pensé à empaqueter un bâtiment public dans la capitale. A l'époque, il habitait une chambre de bonne près de l'Arc de triomphe et un dessin témoigne d'un projet du début des années 1960. Finalement, l'an prochain 25 000 mètres carrés de tissu argent bleuté viendront couvrir le monument. Mais les artistes ont songé aussi à d'autres oeuvres, notamment pour le pont Alexandre III dont la silhouette hérissée de statues n'était pas adaptée. Un autre projet concernait l'avenue des Champs-Elysées, avec l'empaquetage des arbres au long de la perspective magique. Jusqu'ici, un seul rêve avait été réalisé, la Structure de 112 barils de pétrole, sur l'esplanade du Palais de Tokyo, pour le salon de Mai en 1968.

Il faudra attendre les années 1980 pour découvrir une oeuvre monumentale de Christo et Jeanne-Claude à Paris. Du 22 septembre au 7 octobre 1985, ils habillent le Pont Neuf, le plus vieux pont de Paris de 40 000 mètres carrés de tissus couleur "Pierre de Paris", un sublime blond doré. C'est l'objet de toute le deuxième partie de l'exposition qui relate l'histoire de ce projet, avec photos de Wolfgang Volz, archives, vidéos, matériels et outils d'époque, faisant revivre cette longue aventure.

Pour financer le projet, Christo accumule les dessins préparatoires et collages où le trait et les couleurs de l'artiste se mélangent au tissu, aux plans, aux mesures et aux indications technique avec une fabuleuse poésie et une puissance plastique fascinantes. Souvent construites en diptyque, les oeuvres produites en amont sont aujourd'hui une mémoire de l'événement, unique et éphémère par principe.

L'exposition s'achève par une vaste maquette du quartier, présentée en son temps à la Samaritaine voisine, permettant de s'approcher de cette oeuvre qui occulte et révèle, qui montre l'ampleur du projet mais aussi l'esprit de Christo, pour qui « l'urgence d'être vu est d'autant plus grande que demain tout aura disparu… Personne ne peut acheter ces œuvres, personne ne peut les posséder, personne ne peut les commercialiser, personne ne peut vendre des billets pour les voir… Notre travail parle de liberté ».


Jusqu'au 19 octobre. Du mercredi au lundi, de 11 h à 21 h. Centre Pompidou, rue Beaubourg, Paris. 14 €, 11 €.

 

Le projet pour l'Arc de triomphe


Christo, en collaboration avec le Centre des monuments nationaux (CMN) et le Centre Pompidou, créera une œuvre temporaire à Paris intitulée L’Arc de Triomphe empaqueté (Projet pour Paris, Place de l’Étoile-Charles de Gaulle). Prévu au départ au printemps 2020, le projet a été reporté une première fois pour permettre la nidification des faucons crécerelles, puis une deuxième fois en raison de la crise sanitaire du Covid-19. Il faudra patienter jusqu'à l'an prochain pour admirer le projet, présenté du samedi 18 septembre au dimanche 3 octobre 2021. Le projet sera posthume, en effet Christo est décédé à New York le 31 mai dernier à l'âge de 85 ans.


L'Arc de triomphe sera empaqueté de 25 000 mètres carrés de tissu recyclable en polypropylène argent bleuté et de 7 000 mètres de corde rouge. Comme pour ses projets précédents, l'oeuvre éphémère sera entièrement autofinancée par Christo grâce à la vente de ses études préparatoires, dessins, collages du projet ainsi que des maquettes, œuvres des années cinquante-soixante et des lithographies originales dédiés à d’autres sujets. Il ne bénéficiera d’aucun financement public ou privé.


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