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Richard Galliano : "La religion et la musique de Piazzolla, c'était la musique !"

L'accordéoniste RIchard Galliano publie une nouvelle version de son disque "Piazzolla Fo Ever", un disque en hommage à son ami compositeur de tango .

Richard Galliano, photo Wally Perusset.


Vous rendez hommage au compositeur Astor Piazzolla. Comment l’avez-vous rencontré ?

Nous étions très amis. Avec Astor, nous nous sommes rencontrés au début des années 80. C’était une belle surprise. A l’époque, je dirigeais l’orchestre de Claude Nougaro à l’Olympia. A l’entracte, Astor est venu dans les coulisses. Et c’est là qu’a commencé une grande amitié entre nous. J’avais écrit une chanson pour Claude qui s’appelait Des voiliers, qui était un tango jazz en chanson. A partir de ce moment et jusqu’à sa mort, c’était comme mon deuxième père.

Il m’a donné beaucoup de conseils pour que j’écrive ma musique. Un jour, il m’a dit, moi j’ai fait le new tango, vous, vous devez faire le new musette, c’est-à-dire jouer la musique de votre terre, l’accordéon, la France… C’est ce qu’il avait fait avec le bandonéon, le tango et l’Argentine. C’est le conseil le plus important qu’il m’a donné.

Chaque fois qu’il venait à Paris, on se voyait et il me donnait des conseils. A l’époque, j’accompagnais beaucoup de chanteurs. La dernière, cela fut Juliette Gréco, mais il y avait eu aussi Barbara. Il me disait qu’il fallait que sur l’affiche, mon nom soit aussi grand que l’artiste accompagné. Il m’a poussé à sortir de ce monde de l’accompagnement et du studio où j’étais depuis une dizaine d’années, depuis que j’étais arrivé à Paris.


Au-delà du musicien, quel style d’homme était Piazzolla ?

Humainement, c’était quelqu’un de très attachant, avec beaucoup d’humour, un caractère bien trempé, un côté très latin. On avait les mêmes racines italiennes. La famille Piazzolla est originaire du Sud de l’Italie, de Trani. Ma famille est aussi italienne. On avait ce point commun.

Astor avait par dessus tout un amour pour la musique, en général, tous styles confondus. D’ailleurs, un jour, il m’avait dit qu’il adorait sa femme Laura, mais que la musique était encore au-dessus. L’une des dernières phrases qu’il m’a dite, il était assez triste, c’est que les gens ne comprenaient pas sa musique. A l’époque, souvent, les gens voyaient la musique d’Astor de l’extérieur, les riffs comme dans Libertango… C’est sa marque de fabrique, mais si on creuse, il y a quelque-chose de beaucoup plus profond, non pas triste, même si on tendance à le dire. Ce n’est jamais triste, c’est de la beauté comme dans Oblivion ou Adios Nonino. C’est la beauté qui vous serre la gorge, pas un sentiment de tristesse.


Il y a pas de tristesse, mais il y a de la nostalgie ?

La nostalgie par rapport à quoi ? Il a toujours cherché à être au contraire très à l’écoute de la musique actuelle. Il m’a raconté un jour qu’il était allé écouté les Pink Floyd. C’est le bandonéon ou l’accordéon. Une note de bandonéon ou d’accordéon est tellement chargée en harmoniques. Et puis, il y a la façon de jouer. C’est la sonorité qui peut tirer des larmes. Quand on entend un passage qui émeut, on ne sait pas l’expliquer, on ne peut pas résumer cela à de la nostalgie. Le blues, ce n’est pas de la nostalgie. Quand on écoute Chopin, ce n’est pas la nostalgie qui touche, mais la beauté des phrases, la beauté des harmonies.


Vous disiez qu’il était mal compris. C’était particulièrement le cas en Argentine ?

Parfois, on crie au génie du vivant des musiciens. Moi, je n’y crois pas du tout. Regardez Jean-Sébastien Bach, on a redécouvert sa musique 300 ans après sa mort. J’étais très proche d’Astor. A la fin de sa vie, il est resté deux ans dans le coma. Il a eu un accident cérébral à Paris et il a été rapatrié en Argentine. Avec mon épouse, nous étions présents jusqu’au dernier moment.

Dans le monde musical, comme dans le monde politique ou dans la vie, il y a toujours les gens qui vous jalousent. C’est vrai que ses confrères argentins ne lui ont pas fait de cadeaux, notamment les musiciens argentins de Paris. Il lui ont fait une réputation terrible. Politiquement, c’est vrai qu’il était de droite. Mais être de droite, ne veut pas dire être fasciste. Entre nous, la politique, il s’en foutait. Sa religion et sa politique, c’était la musique.

Encore aujourd’hui, en Argentine, il y a le tango traditionnel pour les touristes. Mais quand on évoque Piazzolla, il y a toujours, non pas une réticence, mais une jalousie. Grâce à lui, le tango a continué à vivre, parce qu’il s’est inspiré de toutes les autres musiques. Par contre, il avait l’admiration et la considération des musiciens de jazz et de classique, cela va de Rostropovitch, en passant par Gerry Mulligan, Chick Corea ou Gil Evans avec qui il était très ami. Nul n’est prophète en son pays…


Ce mélange des styles et des genres, c’est quelque chose que vous avez pratiqué vous aussi. C’est essentiel pour vous, ce métissage, cette circulation ?

J’admire les véritables mélomanes qui souvent ont un amour plus profond de la musique que certains musiciens. Chez moi, il n’y a pas de frontières. Pour Astor, c’était pareil. On parlait de jazz, de musique classique… Il disait qu’un musicien devait jouer la musique de sa terre, parce qu’il aimait aussi toutes les musiques folkloriques, de l’Est, du Brésil, de Colombie…

Contrairement à la politique qui sépare les êtres, le musique rassemble. Un concert est une communion, tout le monde vibre à la même écoute d’un moment d’émotion. La chose la plus importante chez les artistes, chez Nougaro, Barbara ou Piazzolla, c’est l’émotion qui se dégage de leur interprétation. Nougaro disait souvent que la musique qui l’intéressait était celle qui véhiculait des sentiments.


Dans vos musiques à tous les deux, il y a aussi un rapport très important à la danse…

Tout à fait. Astor n’aimait pas le tango carte postale. Il a accompagné des chanteuses comme Mina ou Milva. Mais il y a toujours un mouvement très prononcé de chorégraphie dans ses interprétations. Pour moi, c’est pareil. Avant de prendre un tempo, j’essaie de réfléchir si les gens pourraient danser par rapport à sa vitesse. Et ma référence, c’est le bal, le dancing. Je regrette cette époque. Cela existe encore au Brésil. Chez nous, cela a disparu… Mon père était un bon professeur et aussi un musicien de dancing. Il avait un métier pour animer un bal, pour enchaîner les morceaux. J’ai travaillé aussi avec Roland Petit et Zizi Jeanmaire. Et ce rapport à la danse est primordial. Je mets la mélodie en premier, puis la danse. Ensuite viennent les arrangements, les harmonies, les couleurs.


Durant ce long compagnonnage personnel et musical, comment ont évolué votre regard et votre plaisir à jouer sa musique ?

Je parlais de tous les conseils qu’il m’a donnés. Il ne m’a jamais conseillé de jouer sa musique ! Tous les conseils étaient pour que je me réalise moi, que je sorte de ce milieu des musiciens de studios. Aussitôt après sa disparition, j’ai enregistré un disque en solo, des morceaux qu’il m’avait dédié comme Ballet tango. A l’aube des années 2000, j’ai monté une formation Piazzolla Forever, un septet avec des musiciens magnifiques, Henri Demarquette au violoncelle, Jean-Marc Philips au violon, Hervé Sellin qui est un pianiste jazz… On a fait 300 ou 400 concerts, on a joué dans toute l’Europe, en Chine, au Japon, au Kremlin à Moscou…

Là, je suis vraiment entré dans sa musique, j’ai disséqué les arrangements. La chose la plus importante pour Piazzolla, c’était le style. Il disait quelque soit la musique que l’on joue, il faut avoir le style. J’y suis vraiment entré, à tel point que j’ai failli me noyer dans sa musique. Cela m’a vraiment nourri, fait progresser. Ma façon de jouer l’accordéon a complètement changé, la dynamique, la manière d’attaquer les notes, de se placer dans le tempo.

Ce disque va ressortir. C’était vraiment un concert magnifique. J’avais dû beaucoup lutter pour l’enregistrement de ce disque. Ce qui ressort, c’est la partie audio du DVD. Il y avait vraiment une énergie magnifique. C’était à l’apogée du groupe. Quand je l’ai réécouté, j’ai pris un choc. C’est du bebop tango. Astor disait que sa musique devait être jouée avec rage. Et là, on sent vraiment la rage. A tel point, que je monte une autre formation, en trio, car je pense qu’on ne retrouvera pas l’énergie de ce septet, il faut aller ailleurs, continuer ailleurs.


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