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Saint-Etienne : Robert Morris, le corps face l'art minimal

Magnifique exposition de l'artiste minimal américain Robert Morris au musée d'art et contemporain de Saint-Etienne Métropole.

Pour comprendre le rapport au corps des oeuvres de l'artiste minimal américain Robert Morris, il suffit d'observer les enfants. Dès la première salle de l'exposition que lui consacre le musée d'art moderne de Saint-Etienne, les petits veulent passer dessus, dessous, à l'intérieur des trois grands L posés au sol. Ils ne veulent pas les toucher, ils veulent s'y mesurer.


Le lien au corps de l'art minimal avait déjà été exploré par Marcella Lista avec "A different way to move" à Carré d'art à Nîmes en 2017, en mettant en avant les relations des plasticiens américains des années 60 et des chorégraphes de la postmodern dance. Comme son titre l'indique, "Robert Morris. The Perceiving Body/Le corps perceptif", l'exposition de Saint-Etienne continue à tirer ce fil. Loin d'être austère et rigoriste, l'art minimal est au contraire une libération, invitant chacun, mobilisant directement les émotions, les sensations, sans filtre, sans virtuosité, sans académisme. A hauteur d'homme tout simplement. C'est ce qu'invite à expérimenter l'exposition vive et remarquablement conçue autour de quelques gestes de Robert Morris, des gestes paradoxalement à la fois modestes et spectaculaires.


« Créés par l'artiste à partir de matériaux et de méthodes empruntés à l'industrie du bâtiment et reposant sur des principes de répétition, de permutation et de hasard, ces objets s'affranchissent formellement des normes de composition de l'abstraction moderniste. Conçus à la même échelle que le corps de l'artiste et de l'observateur - "le corps perceptif" -, ils privilégient une relation physique directe. L'accent mis sur la rencontre entre le sujet et l'objet est inspiré par les mondes de la danse et de la performance, dans lesquels Morris s'est également impliqué. Sans être monumentaux, ses objets disposés à même le sol sont suffisamment imposants pour mobiliser l'espace de la pièce : ils confrontent, obstruent, entravent », expliquent les commissaires Jeffrey Weiss et Alexandre Quoi.


Dès l'entrée, Untitled (3Ls), 1965-1970 montre comment Robert Morris redéfinit les contours de la sculpture. En contreplaqué, il conçoit trois grandes formes en L, peintes avec un gris assez neutre. Puis par un système de permutation, le même objet prend trois positions différentes, trois postures évoquant la silhouette, assise, debout et couchée, bien que le propos ne soit bien entendu ni narratif, ni figuratif.

Dans les mêmes années, Robert Morris taille d'épaisses pièces de feutre, un matériau souple qui trouve sa forme grâce à la pesanteur, selon un principe recherché d'anti-forme. Accrochées, suspendues, elles transforment des coupes géométriques en mouvements souples, qui ignorent les frontières entre le tableau et la sculpture. L'oeuvre naît d'elle-même, soumise aux variations de l'espace, fidèle à une forme de sagesse de Robert Morris selon laquelle « exister est un processus. »

Dans cette démarche de remise à plat, les règles de présentation et de représentation sont aussi abolies. Non seulement, les oeuvres ne sont ni figuratives, ni abstraites, mais elles ne sont pas posées sur des socles, des présentoirs, enfermées dans des vitrines. Les objets sont posés au sol, dans le même espace que celui où vit le visiteur. Ils sont là, des présences débarrassées de toute histoire et de toute hiérarchie héritée, dans des matériaux qui ne clament ni leur noblesse, ni leur préciosité. Ils occupent le musée ou la galerie, renvoient ou absorbent la lumière, se laissent observer.

Ce refus des hiérarchies esthétiques est poussé à son paroxysme avec la spectaculaire et chaotique Scatter Piece de 1968-1969. Le mot "scatter" signifie disperser, éparpiller. Et c'est exactement de cela qu'il s'agit. L'oeuvre est constituée de 200 éléments, composés pour moitié de six différents métaux et pour l'autre de pièces de feutre. Chaque élément adopte une forme déterminée, plat, plié une fois, plié deux fois. Ensuite a lieu la dispersion selon un processus aléatoire appelé "chance operations", inspiré par le compositeur John Cage. La configuration n'est pas fixe : chaque fois, les notes donnent lieu à une nouvelle partition, créent un nouveau paysage jouant entre l'identique et le différent, les mêmes éléments étant éparpillés au sol ou appuyés contre le mur selon une nouvelle présentation. Dans la grande salle du musée de Saint-Etienne, le visiteur traverse cette sculpture d'un nouveau type, qui questionne l'idée même d'oeuvre unique, conservée et exposée comme telle.

Dans les mêmes années, Robert Morris utilise le miroir pour créer des oeuvres impliquant physiquement le visiteur. Avec Untitled (Mirrored Cubes), 1965-1971, tout en conservant l'idée de formes simples, l'oeuvre mobilise l’environnement et le visiteur à travers les reflets et les reflets des reflets, jouant avec la lumière, la perception pour dessiner un espace aux frontières mouvantes.

La recherche est encore plus poussée avec Untitled (Portland Mirrors), 1977, que les enfants - et les plus grands - peuvent enfin toucher ! De longues poutres sont posées au sol, rejoignant quatre miroirs. On doit enjamber, on peut s'asseoir au sein d'un espace troublant où les géométries se complexifient en fonction des mouvements des visiteurs, grâce aux miroirs, pour allonger les perspectives ou démultiplier les formes. Le réel se mélange à l'imaginaire, le physique au poétique, la règle au jeu, la ligne à l'angle, l'humain à l'infini.


Informations pratiques :

Jusqu'au 1er novembre. Mercredi au lundi, 10 h à 18 h. Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole, rue Fernand-Léger, Saint-Priest-en-Jarez. 6,50 €, 5 €, gratuit - 25 ans. 04 77 79 52 52.


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