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A la recherche de l'actrice Tina Aumont, "une princesse noyée"

L'écrivain Jean Azarel publie un livre très personnel sur l'actrice Tina Aumont, icône du cinéma indépendant des années 70.

Qu’est-ce qui vous a fasciné chez l’actrice Tina Aumont ? Tous les écrivains, un peu poètes sur les bords, sont fascinés par des muses. Quand je l’ai découverte, j’avais 20 ans, elle en avait bien sûr un peu plus. J’ai toujours été marqué par cette femme. J’ai suivi sa carrière de loin en loin. Elle est décédée en 2006, cela a fait quelques lignes dans les journaux.

Quand je me suis vraiment remis à écrire à l’orée des années 2000, j’avais envie de témoigner sur cette période qui m’a fortement marqué en matière de cinéma, de musique, de littérature… Je me suis rendu compte qu’il ne sortait rien sur elle, qu’il n’y avait rien à part la trace dans les magazines car à une époque, c’était une icône de la mode qui faisait la une. Je me suis lancé, partant de la page blanche. J’ai commencé en 2009. Cela a mis beaucoup de temps, pour rencontrer, de fil en aiguille, beaucoup de gens. C’est à la fois un livre hommage et un témoignage.

Son nom est un peu oublié aujourd’hui. Qui était Tina Aumont ? C’est d’abord la fille de deux icônes du cinéma, surtout sa mère, María Montez, une star qui a tourné dans des films hollywoodiens de la fin des années 1940 qu’on trouve aujourd’hui certainement très kitsch. Et de Jean-Pierre Aumont, qui a rencontré María Montez, parce qu’il avait fui la France en raison de ses origines juives. C’est "une fille de" qui malheureusement a mal tourné au fil du temps. Il y a beaucoup de gens qui l’ont connue, qui sont touchés par le livre et qui me disent, comme le réalisateur Jacques Richard, que c’était « une princesse noyée ». C’est exactement ça, c’était une fille superbe, très fragile, très marquée par la mort de sa mère quand elle avait 5 ans, un père absent qui s’est remarié avec une autre actrice. Elle a cru retrouver une deuxième maman mais évidemment, ça ne marche pas comme ça.

À partir de là, elle a plongé dans la drogue qui était certainement pour elle une façon de se protéger et de fuir des fantômes, mais elle a saccagé sa carrière. Elle était partie pour une vraie carrière, puis ensuite elle ne tournait plus que des petits bouts, tout en laissant toujours un très beau souvenir. C’est toujours une apparition étonnante, son port, sa voix grave.

Jean-Pierre Aumont, à l’époque, était une très grande star. Finalement en France, on a un peu oublié sa carrière hollywoodienne. On pense plus à La Nuit américaine de Truffaut… Il a fait énormément de films, dans un registre de séducteur. Mais il a fait aussi des films de guerre, des films romantiques comme Lili. Avec sa deuxième femme Marisa Pavan, il était très détaché de Tina, il lui envoyait un peu d’argent. Mais Marisa a eu deux enfants avec lui, Patrick et Jean-Claude (que j’ai rencontré), mais elle ne voulait pas que Tina, qui était très dépendante à la drogue, vienne débaucher ses fils. Cela n’a pas facilité les relations qui de toute façon étaient très conflictuelles parce que Tina Aumont était une fille libre, qui n'en faisait qu’à sa tête et Marisa venait d’une famille sarde, rigoriste, croyante.

Maria Montez est toujours une icône dans son pays, la République Dominicaine. L’aéroport de Barahona porte son nom ! C’est un petit pays, qui n’a pas beaucoup de stars. Elle meurt dans des circonstances étranges quand Tina Aumont a 5 ans. Vraisemblablement, elle a eu un malaise dans son bain. Il y a toujours eu des suspicions de suicide. En plus, sa mort a longtemps été cachée à Tina. Vers la fin du livre, il y a un moment très émouvant où je cite les mémoires de Jean-Pierre Aumont. Dans un texte, Tina s’adresse au Bon Dieu en lui disant de faire revenir sa maman. On lui a remis une lettre à sa majorité, que je n’ai pas lue, mais où visiblement elle disait que tout n’allait pas aussi bien dans sa vie. María Montez était quand même quelqu’un de très excentrique. Elle vivait en suivant les conseils de son astrologue… C’était la grande époque hollywoodienne. Il y a toujours des vedettes qui font des frasques, mais dans les années 1940 et 1950, c’était vraiment énorme.

Dans cette série de rencontres, l'acteur Octavio Escali vous dit « le plus beau film de Tina, le plus tragique, c’est sa vie ». Oui, c’est juste. Elle fait partie de ces gens qui avaient les couverts en argent dans la bouche et elle n’a pas été capable de faire la carrière qu’elle méritait de mannequin, d’actrice… C’est une fille qui avait une sensibilité extraordinaire et surtout, c’est ce qui ressort de toutes les interviews, qui était d’une vraie bonté, d’une vraie gentillesse, ce qui n’est pas toujours évident dans les milieux du cinéma. Elle avait le cœur ouvert et certains, notamment les hommes, en ont abusé. Ses compagnons n’ont pas été forcément très tendres. Les gens qui vivaient avec elles étaient dans l’ensemble des gens qui se droguaient. C’est pour cela que ça faisait des étincelles. Mais ceux qui l’aimaient vraiment comme Ivan Gallietti ne pouvaient pas vivre avec elle, c’est invivable d’être avec quelqu’un qui est dépendant. Ce qui est étonnant, c’est qu’avec tout ce qu’elle s’enfilait, elle restait relativement belle, lisse. Ça avait l’air de glisser sur elle. Même dans les dernières vidéos tournées deux ou trois ans avec sa mort, elle est un peu affaissée, mais elle est magnifique. En plus, pour échapper au carcan de sa deuxième famille, elle s’est mariée très jeune à 17 ans, avec Christian Marquand, de la bande à Roger Vadim, qui n’était certainement pas fait pour être un mari ou un père de famille.

Ses histoires d’amour sont toutes malheureuses… Et pourtant Ivan Gallietti, Thierry Lefebure l’ont aimé profondément. Et je pense qu’elle les aimait, même si ça restait platonique. Elle était dépendante et en même temps détachée du monde, capable de s’abstraire de tout un tas de contingence. Elle était racée, bien habillée, maquillée et en même temps, elle vivait dans des appartements pourris. Et ça glissait sur elle… Il reste une part de mystère. C’est ce qui alimente la légende, mais c’est aussi la réalité.

On a l’impression d’une enfant qui n’a pas voulu grandir ! Exactement, elle n’a pas voulu. Teresa, la deuxième femme de Frédéric Pardo, le dit très bien. Il y a des gens qui portent un poids familial, ce qui était son cas, mais qui ont la force et la volonté de s’en sortir. Elle, elle ne l’a pas eu. Nadine Trintignant me dit à peu près la même chose d’ailleurs. Elle avait ce tempérament des filles pour qui ça roule…

Sauf que ça ne roule pas… Oui. Peu à peu, elle a tourné de moins en moins, dans des plus petits rôles. Les producteurs limitaient les risques. Elle en était très malheureuse. Jacques Richard m’a dit qu’elle en pleurait.

Parce qu’elle était vraiment passionnée par le cinéma ! Elle vivait pour le cinéma. C’était son premier grand amour. Je pense qu’elle cherchait à travers le cinéma à retrouver sa mère. Sa mère a été une star en Italie, elle est allée tourner en Italie où elle a fait l’essentiel de sa carrière avant d’en être chassée pour une histoire de drogue cachée dans une statuette. Après quand, elle est revenue en France, c’était très compliqué.

Tout le monde dit qu’elle était très libre. Mais est-ce vraiment de la liberté ? On peut se poser la question. C’était une femme libre, mais il y a le bémol très clair de l’addiction. Elle n’était pas dans un enfermement personnel, schizophrène ou paranoïaque. C’est une fille qui aimait faire la fête, sortir, elle aimait les gens. Et elle pouvait fréquenter tout le monde, des gens simples comme des stars.

Vous rencontrez énormément de monde qui a connu Tina Aumont. Mais malgré tout, cela reste assez flou. Beaucoup ne disent pas grand-chose ou ne veulent pas parler… C’est vrai, notamment avec Viva qui était l’une des égéries de Warhol à la Factory. Mais je pense que cela tient à l’époque. Les gens vivaient un peu de l’air du temps. Zouzou était une égérie de Rohmer avant de traverser une période très difficile, elle a fait de la taule, a vendu Le Réverbère dans le métro. Elle le dit, on rencontrait les gens, on les suivait, on était nourri, on était logé, on buvait du champagne, on sniffait de la poudre et puis, le temps passait comme ça et rien n’avait trop d’importance. Il y avait une forme de superficialité dans les rapports et je crois que cela ressort du livre. C’était très typique des années 1960 et 1970. Les gens faisaient des films comme ça, il y avait des mécènes, des gens qui culpabilisaient après Mai-68 parce qu’ils avaient du fric. Philippe Garrel tournait des films avec l’équipe Zanzibar grâce à une mécène qui filait du fric, qu’ils n’utilisaient pas que pour faire les films d’ailleurs.

En partant sur sa piste, au-delà du portrait de Tina Aumont, vous faites le portrait d’une époque… Elle croise toutes les stars de l’époque. J’ai essayé d’en interroger quelques-unes, mais j’ai aussi voulu donner la parole à des personnes plus anonymes ou moins connues. Cela me paraissait important, cela correspondait aussi à sa vie, elle adorait les plateaux, les tournages, mais aussi fréquenter les gens naturellement. Elle a tourné dans des films mauvais ou chiants. Elle adorait les films en costume. Elle a tourné avec Bolognini ou dans le Casanova de Fellini où elle est merveilleuse. Mais elle aimait aussi les petits films de série Z, un peu fantastique, un peu horreur… C’est une fille qui aurait pu être une star, mais qui n’avait pas dans la tête de se comporter, d’agir et de se donner les moyens de le devenir.

Il a eu des hauts et des bas. Dans les bas, elle fait des photos érotiques… Il y a une période où pour gagner de l’argent, elle fait deux séries pour le magazine Le Ore, des romans-photos érotiques. Maintenant avec les vidéos d’aujourd’hui, ça fait rigoler. Mais pour l'époque, c'était assez hard.

C’était pour se payer de la came… Oui, c’est pour cela que j’ai fait ce chapitre sur la chute de toutes ces actrices italiennes. Il y en a une pléiade et pour certaines, elles ont plongé beaucoup plus bas. Parce que Tina Aumont avait toujours une espèce d’instinct de survie, de rester toujours belle.

Dans toutes ces relations, il y a un personnage particulier, c’est Alain Pacadis. C’était un copain de virée. Il a été le chantre des années Palace, à l’époque Fabrice Emaer, dont il était le chroniqueur pour le journal Libération. On voit le glissement qui se produit dans son bouquin Nightclubbing. Au début, c’est un mec pointu sur la culture hippie, underground. Et puis, à la fin, il déjante, il dérive complètement et finit par des interviews d’Enrico Macias et de Rika Zarai, même s’il prend ça à la rigolade. Je raconte une virée à Cannes. C’est incroyable. Ils partent avec Tina Aumont et Jean-François Ferriol, son second mari, qui était un allumé de première. Ils partent en bagnole, c’est vraiment les Pieds Nickelés sur la Côte d’Azur. Partout où ils passent, ils créent des scandales, ils boivent, ils saccagent les chambres d’hôtel. La bagnole tombe en panne, ils se font déloger par la maréchaussée et ils finissent par rentrer à Paris. Pacadis dit, après une telle semaine, on avait bien besoin d’un peu de repos. C’est surréaliste. Elle faisait vraiment partie de la bande du Palace, avec Maria Schneider qui a eu elle aussi un destin compliqué.

Au-delà de Tina Aumont, on a l’impression que ce livre est pour vous une aventure personnelle… Oui, c’est une façon de rendre hommage et de témoigner d’une génération qui m’a marqué. Même si je n’en ai pas épousé toutes les théories, je suis un enfant de l’après 68. C’est la période de mon adolescence où j’ai découvert des auteurs, des cinéastes, évidemment des musiciens. Ça ne m’a jamais vraiment quitté.

En plus, vous écrivez avec un ton très personnel. J’ai beaucoup écrit de poésie au début. Mais la poésie, c’est un exercice très solitaire. Ce qui a été extraordinaire pour moi avec ce livre, c’est que c’est une aventure humaine. Il y a une évidemment une quête personnelle, mais c’est aussi traduire ce que m’ont dit d’autres personnes et qui n’ont pas forcément les moyens de les dire. J’ai essayé de traduire et de ne trahir personne. C’est un puzzle, alors il y a des pièces qui s’assemblent mais je ne suis pas sûr de dire la vérité absolue de Tina Aumont.

À un moment, vous avez Bertolucci au téléphone et il vous demande si vous êtes amoureux de Tina Aumont. J’étais un peu ému de l’avoir au téléphone et il me dit bien entendu on ne va pas se voir uniquement pour dire qu’elle avait un beau cul. Et il me demande si je ne suis pas amoureux d’elle. Alors lui, il a été très amoureux de ces actrices françaises, Dominique Sanda, Tina Aumont, Maria Schneider. Elles lui tournaient un peu la tête, il a été très amoureux de Zouzou sans jamais le lui dire. Pour mon cas, je ne sais pas. Oui sans doute, quand on dédie autant de temps à quelqu’un, c’est une forme d’amour. De toute façon, je ne l’ai jamais rencontrée. Mais c’est une bonne question. Je ne répondrai pas non, ce serait malhonnête mais je n’ai pas un portrait de Tina Aumont sur ma table de nuit.

Pour finir, pour les gens qui ne la connaissent pas, quels films vous conseilleriez de voir ? Il y en a plusieurs. Dans les débuts, le western L’homme, l’orgueil et la vengeance où elle joue avec Klaus Kinski et Franco Nero. C’est une adaptation western de Carmen. Il y a un film typique de l’époque, c’est Le Cri de Tinto Brass, un film underground où elle a un grand rôle.

Il y a bien sûr le Casanova de Fellini même si elle n’a qu’un quart d’heure. Dans Metello de Bolognini, elle est vraiment ravissante, superbe. Il l’a fait tourner deux fois, ensuite dans La Grande Bourgeoise qui est aussi un très beau film. Il y a aussi Le Secret de la vie, un film fantastique d’Alexander Whitelaw, à nouveau avec Klaus Kinski. Elle a quand même tourné avec Alain Delon, Lino Ventura, Donald Sutherland, Dean Martin, avec des grands réalisateurs. Elle est magnifique dans Les Hautes Solitudes de Garrel, le film est plus centré sur Jean Seberg, il faut aimer le cinéma de Garrel de l’époque, qui tourne en noir et blanc et muet. Malheureusement, ce sont des films qu’on a du mal à voir, soit il y a des problèmes de droits et ils ne sont pas redistribués, soit ils ont été tournés en 35 mm et les salles de cinéma n’ont plus de projecteurs.

Wainting for Tina, à la recherche de Tina Aumont, de Jean Azarel. Editions Un autre Reg'art, 502 pages. 18 €.


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