Biennale de Venise : Faust, la performance choc d'Anne Imhof
Avec son installation performative "Faust", l'Allemande Anne Imhof a obtenu le Lion d'or de la 57e Biennale de Venise.
Dès les premiers jours de la Biennale de Venise au printemps dernier, la rumeur autour du pavillon allemand et de la performance Faust d'Anne Imhof s'est enflammée. Et pas pour rien... La plasticienne a obtenu le Lion d'or pour son oeuvre choc. Le jury couronnait « une installation puissance et dérangeante qui soulève des questions urgentes sur notre époque ». Depuis des mois, le pavillon ne désemplit pas aux heures de la performance, plongée en apnée dans une certaine psyché contemporaine dont on peine à sortir, une fois l'expérience terminée.
Difficile d'ignorer l'histoire... Le pavillon allemand est marqué, il a été inauguré en plein IIIe Reich. Vaste, lumineux, situé en plein coeur des Giardini, à côté des pavillons français et britannique, l'endroit est totalement transformé par Anne Imhof. Dehors, des dobermans et des grilles de métal gardent cette nouvelle prison. A l'intérieur, un dispositif impressionnant avec des dalles de verre situées à un mètre du sol, à travers lesquelles le visiteur distingue quelques objets, matériel électronique, petite cuillère et coton, diverses attaches en cuir... Fermées aux regards par des miroirs sans tain, les deux pièces latérales conservent cette même froideur désincarnée. L'ambiance malsaine est partout... La tension est permanente, silencieuse, sous-jacente, prête à tout faire péter.
Et ce n'est rien face à l'intensité de ce qui attend les visiteurs. Chaque jour, pendant des heures, les interprètes de Faust se lancent dans un étrange ballet. Les corps sont tourmentés, contraints par ce dispositif carcéral. Les visages sont pales, les esprits reliés aux smartphones, les regards dans le vague, les looks sombres... Accrochés aux murs comme des statues, ils se présentent avec des mines grises, comme des robots sans genre. Les gestes sont quotidiens, mais ralentis. Puis les performers se mélangent au monde des visiteurs, fendent cette foule agglutinée. Ils parcourent le pavillon en tout sens, se lancent dans une série de gestes absurdes, marchent, s'enlacent, se bousculent, s'entrechoquent, s'arrosent, tentent d'évacuer l'eau, lavent les vitres. Ils s'immobilisent, prennent la pause, au sol, au sous-sol, grimpent aux murs, s'élèvent pour surplomber l'assemblée... Ils semblent ne pas réellement se voir les uns les autres, ne pas se connaître, être isolés en eux-même. Parfois, quelques rencontres - ou plutôt quelques connexions - ont lieu. Mais le corps est triste dans ce zoo humain, il échappe à tout lien social, n'est qu'une ombre qui survit dans un univers atomisé, esclave d'une société où il semble réduit à l'obéissance.
Dans ce décor réfrigérant et largement ouvert sur l'extérieur, dans cet univers à la transparence glacée, ils passent sous le parquet de verre, rampent, allument du feu, jouent, lancent des objets. Ils viennent respirer à la limite du verre, leur haleine troublant le sol, sous les pieds des visiteurs... Le public est au-dessus, curieux et gêné, fasciné et hypnotisé. Il se déplace dans le bâtiment pour suivre la performance, pour laisser passer les artistes, il s'écarte pour voir les scènes dérangeantes. Car c'est aussi la force de la performance, sa puissance impressionnante. En raison du monde présent dans le pavillon, il faut se faufiler, se hisser sur la pointe des pieds, regarder entre les autres pour assister à un événement dont on est plus le voyeur que le spectateur.
Jusqu'au 26 novembre, performance tous les jours à 11 h. Pavillon allemand, Giardini, Venise.