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"Le facteur Cheval est un héros de cinéma"


Nils Tavernier signe à la fois un livre et un film consacrés au facteur Cheval et à son palais idéal.

Le facteur Cheval est un artiste hors norme, un original solitaire. L'homme parcourait 32 kilomètres par jour pour ses tournées quotidiennes. Au fil de sa carrière pour les postes, il a marché plus de 220 000 kilomètres, parcourant cinq fois le tour de la terre sans quitter la Drôme. Et parallèlement, il a passé plus de trente ans à construire son palais idéal à Hauterives, une gigantesque architecture admirée par les surréalistes et classée Monument historique depuis 1969 grâce à l'intervention d'André Malraux. Dans son film L'Incroyable histoire du Facteur Cheval avec Jacques Gamblin, le réalisateur Nils Tavernier met en scène la construction de ce chef-d'œuvre naïf et publie également chez Flammarion une biographie qui replace cette aventure dans son époque.

Qu'est-ce qui vous a séduit chez ce personnage ?

Plein de choses, d’abord c’est une histoire qui m’a été proposée par la productrice de cinéma Alexandra Fechner. Je suis allé voir le palais. C'était un matin, très tôt, il neigeait… Et je me suis immédiatement demandé ce qui avait pu se passer dans la tête d’un homme pour que pendant 30 ans, avec des cailloux, il construise ce lieu stupéfiant. C’est un formidable terrain de jeux pour les enfants, une grosse cabane magnifique. Cela pouvait donner un film totalement romantique.

Il est pris pour un fou, mais il continue d’avancer pour accéder à son rêve. Cela m’interroge aussi sur ma liberté.

Lui est totalement libre…

J’ai l’impression… Il fait ce qu’il veut sans tenir compte des a priori. Il ne répond pas à la demande sociétale. Ce qu’il construit n’a pas de valeur financière, ce n’est pas un truc capitaliste.

Pour comprendre le facteur Cheval, le lieu et l'époque sont importants. Dans quel monde vivait-il ?

Il était probablement seul la plupart de la journée. Il marchait 10 heures par jour à une époque où l’espérance de vie était de 55 ans. Lui meurt tard, à 88 ans, il survit à ses proches. Il a vécu l’arrivée de l’électricité, la guerre, le début de la psychanalyse même s’il ne l’a pas subi. Sa relation avec sa femme est aussi différente pour l’époque.

La biographie paraît parallèlement au film. Comment s'articulent les deux projets ?

Le livre m’a été proposé aussi par Marie Leroy qui m’a beaucoup aidé à faire toutes les recherches. Dans le film, je ne peux pas, à moins de faire une saga, partir de la naissance du facteur Cheval et raconter sa vie. J’étais obligé de choisir. J’ai pensé que le moment phare, le plus cinématographique, était un peu avant le début de la construction de ce palais, le moment où il passe à la décision. Quels sont les éléments déclencheurs d’un être qui passe à l’action, d’un entêté absolu ?

Le livre a-t-il été écrit avant ou après la réalisation du film ?

Le livre a été écrit après. C'est mieux ainsi, cela m’a permis d’être plus romantique, plus cinématographique. Sinon j’aurais été trop submergé d’informations. Je n’avais pas envie de faire un film comme un livre d’histoire.

Comment avez-vous choisi Jacques Gamblin pour interpréter le rôle du facteur Cheval ?

J’ai écrit le film en passant à lui. Il fallait un acteur de composition qui se donne à fond. Le facteur Cheval, c’est un roc, il marchait 10 heures par jour, construisait son palais 10 heures par nuit. Il fallait quelqu’un qui puisse avoir ce rythme de langage et de mouvement différents. On ne peut pas imaginer que cet homme qui a fait ce modelage gigantesque n’était pas un être extraordinaire, différent des autres.

Comment l’avez-vous dirigé dans ce rôle d’un personnage mutique avec les autres ?

Il n'est pas bavard ! Jacques arrive à faire passer des émotions et des phrases sans texte. J’aime un cinéma où on comprend ce qui se passe entre deux êtres et où on n’a pas besoin de mots. Jacques est très fort et c’est un truc qu’il aime faire. Le personnage est mystérieux, on ne peut pas comprendre la structure de cet homme.

Après tout ce travail, il reste mystérieux pour vous ?

Toujours ! Je ne comprends pas comment on peut être aussi acharné. Même si je peux me dire, il y un lien avec sa fille, l’arrivée de sa femme, les petits illustrés, il y a des aidants dans le passage à l’acte. Mais construire ce truc qui ne sert à rien, mis à part être une œuvre d’art ! On ne peut pas y faire la cuisine, on ne peut pas y dormir… Comme un enfant différent, il faut accepter qu’on ne le comprenne pas.

Vous avez tourné une partie du film à Hauterives à l'intérieur du vrai palais. Quelle était l'ambiance ?

C’était super, nous avons été bien accueillis. C'est un lieu fort, c’est émouvant de se dire qu’un seul homme a construit tout ça.

D'après vous, où a-t-il trouvé l'énergie à ce projet titanesque ?

C’est un héros de cinéma, un cheval de guerre, un tank. Il a une résistance physique hors norme, il n’est jamais malade et contre vents et marées, il continue à bosser. Il a une grande force intérieure psychologique et physique. D’où ça vient ? Je n’en sais rien. Cela fait partie du mystère qui continue à m’habiter. C’est la résilience dont parle Boris Cyrulnik, il rebondit tout le temps.

Car sa vie est marquée par les deuils...

Il vit 88 ans, dans une période où l’espérance de vie était bien moindre. Il vit la mort des gens qui l’environnent et continue d’avancer. Quand sa fille Alice meurt, il continue à travailler 15 ans sur le palais.

Vous le voyez comme un grand mystique...

Jacques Gamblin dit que son personnage a la tête dans les étoiles et les pieds dans la terre. Dans son palais, il fait fraterniser les fées de l’Occident et de l’Orient. Il a un rapport au spirituel énorme. Ce n’est pas un catholique intégriste, il a fréquenté des Francs-Maçons. Il croit à un au-delà du réel sans être enfermé. Il dit que les arbres et les oiseaux l’encouragent. Il a un rapport aux énergies spirituelles très fort. Il dit être guidé par un génie. C’est qui ce génie, c’est Dieu ?

Il y a aussi une grande curiosité pour le monde et les civilisations lointaines...

Il connaissait les découvertes d’Angkor, il avait des cartes postales des temples d’Egypte, il s’est instruit tout seul. Il a lu le Coran ! Il apprend et réapprend à écrire toute sa vie. Il a un rapport à l’extérieur largement fantasmé. Dans son palais, il y a un château du XIVe siècle, un temple indien, une espèce de minaret… C’est étonnant. Il se cultive toute sa vie et il dit quelque chose d’important : ce que tu vois est l’œuvre d’un paysan. Il vient d’un milieu ordinaire mais il a accès à la caste extraordinaire des artistes et il va y aller à fond. Cela interroge aussi sur la lutte des classes !

Il est considéré comme farfelu par son voisinage. Mais en même temps, il est connu de son vivant. Il y avait beaucoup de visiteurs au palais...

Il y a eu beaucoup d’articles de presse sur son aventure. Il accède à une reconnaissance de son vivant. Il fait visiter son palais en faisant payer le droit d’entrée. Ce n’est pas encore la reconnaissance officielle de Malraux qui viendra plus tard. A l’époque de Malraux, il y avait des petits bourgeois initiés qui ne voulaient pas s’intéresser à ce pauvre petit paysan, qui ne voulaient pas le faire entrer dans la sphère des gens bien élevés. Il y a toujours en France ce petit milieu d’initiés qui ont envie de dire du mal des autres pour exister. Ce sont les pires…

"Le Facteur Cheval, jusqu'au bout du rêve", de Nils Tavernier. Editions Flammarion. 352 pages. 19 €.

Le film "L'Incroyable Histoire du Facteur Cheval" est disponible en VOD sur les plateformes Canal VOD, UniversCiné, FilmoTV et Orange.


Pour aller plus loin :

Sur la piste... Banteay Srei, le temple khmer pillé par André Malraux

Sur la piste... Le Bayon, sommet de l'art khmer bouddhiste

Sur la piste... Ta Prohm, un temple dans la jungle


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