Arles : Pirosmani, promeneur entre les mondes à la fondation Van Gogh
Redécouverte du peintre géorgien Niko Pirosmani à la fondation Van Gogh à Arles, poétiquement mis en regard avec des artistes modernes et contemporains.
Son nom est assez peu connu en Europe de l’ouest. En Géorgie, il est pourtant considéré comme un trésor national. Nikolos Pirosmanachvili, alias Niko Pirosmani, est né en 1862 dans un village de Kakhétie et mort pauvre en 1918 à Tbilissi, sans qu’on sache où il est enterré. Entre temps, il a mené une vie de vagabond, d’ivrogne et de peintre que l'on découvre à la fondation Van Gogh d’Arles, avec un mélange de fascination, de tendresse et d’émerveillement.
En réunissant 29 toiles, principalement prêtées par le musée national de Géorgie, l’exposition donne à voir une œuvre étonnante. Pour Pirosmani, les toiles étaient peintes au départ non pas pour être accrochée dans les musées, mais pour manger et dormir.
Bice Curiger récuse pour autant le terme de naïf et sa « condescendance ». D’autant que l’exposition - à l’accrochage sublime avec ses murs couverts de tulle de théâtre coloré - est pensée en relation avec l’œuvre de Van Gogh, également autodidacte, et pose réellement des questions de peinture. « Ce sont des images très fortes, produites par quelqu’un qui cherchait aussi un langage visuel avec vitesse et aplomb », selon les mots donnés à la présentation d’une nouvelle sélection de toiles de Van Gogh.
« Ces tableaux, poursuit Bice Curiger, sont faits pour des tavernes sombres et populaires, d’où la luminosité et le rayonnement de l’image pour toucher de loin ». Niko Pirosmani utilise « la toile cirée noire et développe une technique où il fait sortir le noir du fond pour donner une plasticité aux contours ».
Avec cette force visuelle frappante, il peint la vie rurale qu’il a sous les yeux, les tavernes qu’il fréquente avec assiduité, les fêtes de village, les cours de ferme, les travaux des champs, les musiciens des rues, les pêcheurs et les chasseurs, tout un bestiaire local, cochons, chevrette, âne, chevreuil, renard, lièvre...
Mais aussi tout un monde rêvé et fantasmé, l’actrice française Margarita dont il était tombé amoureux après un passage en Géorgie ou des animaux exotiques qu'il n'a jamais vus, une girafe, un lion ou un chameau, peints d’après des descriptions.
L’œuvre a tôt fasciné les avant-gardes du XXe siècle. Même si Pirosmani est mort dans la misère et dans des conditions qui restent floues, quatre de ses toiles étaient accrochées dès 1913 aux côtés de celles de Malevitch à la fameuse exposition "La Cible", organisée par Michel Larionov et Nathalie Gontcharova à Moscou... Le catalogue raisonné, établi en 1985, compte environ 200 numéros qui ont miraculeusement traversé le siècle.
En regard des toiles du peintre, Bice Curiger introduit des hommages, des dialogues, des clins d’œil adressés par les artistes à ce Douanier Rousseau du Caucase, notamment la gravure Portrait de Niko Pirosmani réalisée par Pablo Picasso, à la toute fin de sa vie en 1972 pour un livre d'artiste chez Iliazd. Georg Baselitz rend un hommage parallèle à Pirosmani et au graveur japonais Hokusai, avec ses portraits renversés.
Mais la conversation se noue aussi avec de jeunes artistes comme la Japonaise Yoshitomo Nara qui reprend certaines figures de Pirosmani. Le Roumain Adrian Ghenie présente aussi un portrait de Niko Pirosmani, variation expressionniste pleine d’énergie, entre approche et distance. L’Allemande Raphaela Vogel, récemment sélectionnée par le magazine Beaux-arts parmi les 10 artistes star de demain, présente une impressionnante tête de chien comme une dépouille fantomatique étalée au mur avec une puissance plastique impressionnante. Avec l’installation Hochbett, elle évoque également le deuil et un voyage en Géorgie.
Enfin l’exposition s’achève une œuvre inédite de Tadao Ando. Niko Pirosmani n’a pas de pierre tombale. L’architecte japonais, autodidacte lui-aussi après une carrière de boxeur, compose un tombeau symbolique pour l’artiste géorgien, une table monolithe monumentale peuplée de roses bleues, une œuvre d’une beauté à couper le souffle, à la fois spectaculaire et d’une infinie délicatesse.
Van Gogh, vitesse et aplomb
Comme chaque année, la fondation accueille quelques toiles de Van Gogh, six plus précisément, réunies sous le titre "vitesse et aplomb", beau résumé de l'ambition de l'artiste. Le musée d'Amsterdam a prêté Chauve-souris, peinte en Hollande à l'automne 1884.
Mais la présentation vaut surtout pour L'Arlésienne, fascinant portrait de la patronne de bar Mme Ginoux, peint durant son séjour à Saint-Rémy, d'après des dessins de Paul Gauguin. Le tableau est exceptionnellement prêté par le musée d'art moderne de Rome.
Jusqu’au 20 octobre. Tous les jours, 11 h-19 h. Fondation Van Gogh, 35 ter rue du Docteur-Fanton, Arles. 9 €, 7 €, gratuit - 12 ans, pass famille 15 €. Visites guidées tous les jours, 11 h 30 et 15 h, 4 €. 04 90 93 08 08.