Arles : Picasso, Van Gogh, le soleil et la modernité
Une variation solaire autour de Van Gogh, Picasso et la modernité, magistralement orchestrée par Bice Curiger, de la fondation Van Gogh Arles.
Quand Van Gogh débarque en Provence en 1888, sa palette explose immédiatement de soleil. Cette découverte, ce voyage appartiennent à la légende, mais aussi à l’histoire de la modernité en peinture. En explorant cette thématique, Bice Curiger, directrice artistique de la fondation Van Gogh à Arles livre une variation lumineuse, l’une des propositions les plus singulières du vaste projet Picasso Méditerranée qui se décline en une quarantaine d’expositions jusqu’en 2019.
Chez Van Gogh comme chez Picasso, le soleil est essentiel. Il permet aussi de regarder d’un œil singulier l’œuvre tardive. Quand il débarque dans le Midi, Van Gogh vient chercher un Japon fantasmé, mais aussi la lumière qu’il admire dans les peintures d'Adolphe Monticelli, Marseillais un peu oublié par la grande histoire de l’art et qui annonce la grande période provençale de Van Gogh par la chaleur chromatique et l’abondance de la matière, brutalisée à la surface de la toile. Mais quand le Hollandais affronte le soleil du Midi, c’est une autre histoire !
Les tableaux réunis, hormis un crâne peint pendant son passage à Paris, sont tous peints à Arles ou à Saint-Rémy. Avec une liberté éclatante, il s’intéresse à la vie des champs dans des toiles inondées d’un bonheur de peindre et d'une lumière éclatante. Il portraiture les petites gens, immortalise les travaux des paysans ou les trains en gare d’Arles avec une fougue, une audace que l’on retrouve dans l’œuvre tardive de Pablo Picasso.
La transition avec L’homme au chapeau peint en 1971 fait partie des miracles de cet accrochage poétique. L’artiste a 90 ans, il a abandonné depuis longtemps toute forme de politesse pour achever un art qu’il a toujours conçu comme affranchi. La présentation des dernières toiles de Picasso au début des années 1970 à Avignon avait été assassinée par la critique qui n'y voyait que les errances d'un vieillard, un peu gâteux, un peu lubrique. Il y reprenait des thèmes anciens, nus, musiciens, paysages revisités de façon impulsive et spontanée. Quelques années plus tard, la jeune génération avait redécouvert avec bonheur et gourmandise cette dernière période foisonnante et qui interroge la modernité, qui remet tout en question jusqu'à la dernière minute.
Dans ses premiers tableaux, notamment son fameux Moderne Kunst, l’Allemand Sigmar Polke utilise des clins d'oeil à ses aînés pour se moquer de la peinture de ses prédécesseurs. La relation entre cette toile et des signes apparaissant dans un paysage peint à Mougins par Picasso est d'ailleurs l'un des points de départ de l'exposition. Aujourd'hui, la confrontation entre les deux montre qu'aucun des deux n'avaient raison contre l'autre. Dans une attitude postmoderne, Sigmar Polke se confronte à l'art des générations précédentes, le déconstruisant par le menu. C'est notamment le cas avec un tableau abstrait en lapis-lazuli, le pigment précieux des manteaux bleus des Vierges de la Renaissance ou avec une série éblouissante de photos tirées à partir de négatifs irradiés à l’uranium, le soleil de l’apocalypse.
Dans ce dialogue, Bice Curiger promène aussi les créatures méditerranéennes de la sculptrice Germaine Richier ou les dernières gouaches cosmiques d’Alexander Calder, les paysages abstraits de la poétesse Etel Adnan ou les délirantes prestations solaires du musicien Sun Ra, débarqué d’une autre planète avec un free-jazz, mélange de new age et de références mythologiques qui fit les grandes heures des nuits de la fondation Maeght. En regard, les œuvres tardives de Chirico montrent un soleil déclinant. Après avoir révolutionné la peinture dans les années 1910, il finit sa carrière en singeant ses premières œuvres ou avec des autoportraits baroques.
Presque en clôture de l’exposition, l’accrochage propose l’un des chocs les plus percutants avec l’œuvre de Van Gogh. La peintre Joan Mitchell est une figure de l’abstraction américaine, dont l’œuvre dialogue sans cesse avec l’art des impressionnistes. A sa manière jouissive et gestuelle, elle peint des tournesols ou évoque avec No Birds les corbeaux flottant au-dessus d’un champ de blé dans l’une des dernières toiles peintes par Van Gogh à Auvers-sur-Oise. La confrontation est tellement explosive, interrogeant et séduisant le regard avec une telle acuité, qu’elle mériterait une nouvelle exposition uniquement consacrée à ce dialogue entre la plus impressionniste des expressionnistes et le plus expressionniste des impressionnistes.
Informations pratiques
Jusqu’au 28 octobre. Tous les jours, 11 h-19 h. A partir de 10 h en juillet et en août. Fondation Van Gogh, 35ter rue Docteur-Fanton, Arles. 9 €, 7 €, 4 €, pass famille 15 €. 04 90 93 08 08.
Pour aller plus loin
L'art est la matière sur France Culture, rencontre avec Bice Curiger.
Tout le programme du cycle Picasso Méditerranée.
Exposition Paul Nash, à voir aux mêmes dates à la fondation Van Gogh.