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"Basquiat était un poète en même temps qu'un peintre"


Le 12 août 1988, mourait le peintre américain Jean-Michel Basquiat. Trente ans plus tard, il est unanimement considéré comme le peintre phare des années 1980. Revoici un entretien avec Michel Nuridsany, son biographe, recueilli à l'occasion du Festival de la biographie à Nîmes en 2015.

Après Salvador Dali, Le Caravage et Andy Warhol, pourquoi avez-vous eu envie d'écrire une biographie de Basquiat ?

C'est un peu dans la lignée du livre sur Warhol. Ensemble ils ont eu une relation très forte. Il y aussi un lien avec Dali qui avec Duchamp sont un peu le père et la mère de Warhol, qui serait comme le grand frère de Basquiat. Le Caravage aussi est très proche par le caractère emporté, radieux et cynique. Tous ces personnages sont en apparence très différents, mais quand on creuse, il y a quelque chose de proche.

Basquiat est un artiste légendaire. Sa vie est devenue légendaire. Tous ceux qui l'ont croisé ont témoigné. Comment faire pour échapper à la mythologie ?

La mythologie fait partie de la réalité. J'ai multiplié les entretiens. Je suis journaliste et écrivain. Il y a d'abord une part d'enquête très importante. J'ai rencontré ses anciennes petites amies, les directeurs de musées, des galeries. Je suis allé souvent à New York à la fin des années 70 et dans les années 80. Pour retrouver la réalité, il faut faire des recoupements, et parfois donner les deux ou trois versions différentes.

Mais le plus important, c'est l'oeuvre qui parle, qui dit des choses plus vraies que certains témoins : son inquiétude, sa fébrilité, son côté radieux, déchiré, son identité éparpillée. Il aimait les mots, c'est un poète en même temps qu'un peintre. Il y a aussi le côté enfantin.

Contrairement à ce qu'il laissait croire, il a grandi dans une famille de la petite bourgeoisie. Mais dans un contexte assez difficile...

Ses copains étaient très étonnés de découvrir son père en costume trois pièces et avec sa raquette de tennis. Ses rapports avec son père l'ont beaucoup détruit. C'est l'une des raisons de son addiction à la drogue. Son père, d'après les amis de Basquiat qui ne l'aimaient pas et qu'il n'aimait pas, était très distant, très froid avec son fils. Il le rabaissait sans arrêt.

Ses rapports avec sa mère, qu'il adorait, étaient aussi difficiles. Mais elle est à l'origine de son goût pour l'art, elle l'emmenait au musée. A 6 ans, il avait sa carte d'abonné au musée de Brooklyn.

Un aspect important de son enfance est aussi son hospitalisation. Sa mère lui offre le livre Gray's anatomy. On en trouve trace dans toute son œuvre future. A cette occasion, il subit une ablation de la rate. J'en ai parlé avec des médecins, cela a un effet sur le sang. A la fin de sa vie, il avait des tâches sur le visage. Tout le monde pensait qu'il avait le sida, mais cela pouvait venir de là.

A sept ans, c'est un assez bon élève. Mais après la séparation de ses parents, il devient mauvais élève, réfractaire à l'autorité. Beaucoup de biographes ont dit qu'il allait dans des écoles pour surdoués, mais il allait dans des établissements pour enfants à part, surdoués ou inadaptés au système d'enseignement classique.

Il grandi dans une Amérique encore très marquée par la ségrégation...

On a aboli l'esclavage, mais on a hérité de la ségrégation. Il est né en 1960, un 22 décembre comme Racine. Des années 30 à 50, les noirs ont essayé de discuter de façon pacifique. Dans les années 60, les révoltes sont plus dures car ils n'obtiennent rien. C'est l'époque des Black Panthers, de Nation of Islam. Il y a une radicalisation, des conflits armés, des gangs qui émergent.

Basquiat n'était pas exactement un noir, comme Obama, mais un métis (NDLR d'origine haïtienne). Il choisit d'être un noir, plutôt qu'un métisse, même si c'est quelque chose de difficile à assumer.

Il y avait à l'époque une vraie difficulté à être, à se développer. Il y avait des affrontements, pas à Brooklyn où il vit, mais tout autour. Il voit les défilés avec les gens qui portent une pancarte "I am a man". C'est terrible pour un pré-adolescent. Il côtoie les gangs, ceux qui font du hip-hop. Il écoute aussi Charlie Parker, grâce à son père. Mais le hip-hop a une grande importance dans son art, par le sens du sampling où on mélange deux ou trois platines. Il a beaucoup regardé cela, également les tags, même s'il n'est pas un tagueur. Lui ne travaille pas sa signature, il écrit des phrases.

Mais il était Américain et il le revendiquait. Il avait grandi aux USA en regardant les mêmes séries télés, en lisant les mêmes BD que les autres.

Il est souvent réduit à un artiste qui vient du graffiti...

Warhol dit que ce n'est pas un tagueur mais un poète qui écrivait des mots sur les murs. Pendant toute sa vie, il y a des mots, des phrases, des accumulations de lettres qui veulent dire quelque chose ou apparemment ne veulent rien dire. Comme le dit Suzanne Malouk (NDLR : qui fut la compagne), il faudrait des siècles pour tout décrypter. Mais cela laisse à l'imagination tout sa capacité d'inventer.

Qu'est-ce qui fait la singularité de son oeuvre ?

Il n'y a pas vraiment de centre, tout semble en opposition, il est à la fois radieux et calciné, proche et distant. On voit l'influence de Cy Twombly qui paraît évidente. Ce qui est important, c'est la grâce du trait chez lui.

Au tout début quand Diego Cortes l'expose à PS1, il présente aussi des dessins d'enfants. Comme l'art brut pour Jean Dubuffet, le dessin d'enfant est très important pour Basquiat. Il regardait sans cesse des dessins animés. C'est un gosse, un sale gosse, mais informé. Il connaissait l'histoire de l'art, tout en se révoltant contre les musées où les Noirs n'avaient pas leur place.

Votre livre montre un véritable tourbillon, sa carrière est très courte...

Il y a une fulgurance, tout se passe en moins de 10 ans. C'est l'époque du hip-hop, des clubs, notamment le Mudd Club où le découvre Diego Cortes qui sera à l'origine de son succès. Il aurait pu être DJ ou musicien ou poète. Peintre, c'est ce qu'il fait le moins à l'époque. Cortes lui fait connaître tous les gens avec qui il s'est développé par la suite et il s'est fait déposséder de sa trouvaille.

A l'époque, Andy Warhol règne en maître sur la scène artistique new-yorkais. Et lui veut le rencontrer, travailler avec lui...

A 15 ans, Basquiat rêvait d'être une star. A 16 ans, il découvre la superstar Warhol. Il le repère dans les cafés, lui vend un carte postale qu'il a peinte, il est content de lui avoir serré la main.

C'est le marchand Bruno Bischofberger qui va les mettre en contact. Au départ, c'est une entreprise commerciale, il veut doubler la mise. Ce qu'ils vont faire ensemble n'est pas fameux et ne se vend pas très bien. Mais ils s'entendent extraordinairement bien et vont continuer à collaborer, plus pour être ensemble, car ils pigent que leurs styles ne s'accordent pas bien. Mais entre eux, c'est le grand amour, on peut employer le mot amour. Ils avaient eu une enfance un peu semblable, Warhol était malade, souffreteux. C'est tous les deux des personnes divisées, impactées par des tas de problèmes.

Warhol était complètement fasciné. Il se sont séparés un peu sottement quand un journal a dit que Basquiat était la mascotte de Warhol. Mais quand ce dernier meurt, Basquiat ne s'en remet pas. Il est mort d'une overdose, mais il l'a peut-être cherché. On ne saura jamais... Il arrivait à un point de drogue phénoménal. Il avait une constitution très robuste pour survivre à une consommation infernale.

Vous évoquez un moment peu connu de son histoire, son voyage en Afrique. Quelle est l'influence de l'Afrique dans son travail ?

Quand il arrive en Côte d'Ivoire, il y a une petite déception. Il voit des artistes qui ne rêvaient que de l'école de Paris. Et les artistes locaux, du Vohou Vohou ne voient en Basquiat qu'un artiste qui vend cher.

Par contre, quand il part en pays sénoufo, il adore les fétiches, l'âme populaire de l'Afrique. Quand il meurt, on retrouve dans sa poche des billets pour retourner en Afrique où il espérait peut-être se guérir de l'addiction à la drogue par le vaudou.

A la fin de sa vie, il évoquait l'écriture. Aurait-il arrêté la peinture pour se consacrer à la poésie ?

Oui, j'y crois. Il se baladait partout avec Le Sous-marin de Kerouac. Quand on le lit, Basquiat aurait très bien pu écrire cela. Il détestait le milieu de l'art qui le lui rendait bien. Il avait épuisé les galeristes importants de New York. C'est la politique de la terre brûlée. Il disait qu'il voulait se consacrer à la poésie, rien ne l'empêchait de faire un peu de peinture, mais de façon moins forte.

Jean-Michel Basquiat, de Michel Nuridsany, éditions Flammarion. 464 pages. 25 €.

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