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Dominique A, les chansons comme "des marqueurs temporels et affectifs"


L'auteur-compositeur-interprète Dominique A publie deux disques aux tonalités différentes, ambiance rock-électro avec Toute latitude et mélodies acoustiques La Fragilité, le premier plutôt sombre, le second plein de douceur. Parallèlement, Dominique Ané revient sur son parcours avec le livre Ma vie en morceaux, chez Flammarion. Autobiographie subtile, il y raconte sa vie à travers les contextes de création ou le sens de chansons qui ont rythmé son parcours exemplaire, faisant de cet artiste modeste l'une des références de la chanson française.

Deux albums coup sur coup réunissant deux aspects de votre travail, un livre autobiographique... Est-ce qu'à 50 ans, vous aviez envie d'une remise à plat ?

Oui, oui… Il y avait un peu l’envie de me débarrasser de moi-même pendant quelques années, l’idée de produire beaucoup pour pouvoir ensuite entrer dans une autre dynamique, me contraindre à une suractivité pour ensuite changer de rythme.

J’ai tendance à enchaîner les projets, mais il faut accepter de se faire plus discret, d’ouvrir un champ libre pour faire autre chose.

Vous êtes souvent insatisfait ?

Tout aussi souvent que satisfait. Quand je vois l’affection, la fidélité du public, c’est un motif de satisfaction. Il y a dans ce que je fais, des choses que j’aime bien. Mais d’autres fois, je me dis que je pourrais mieux faire, c’est propre à toute personne normalement constituée.

Dans votre livre Ma vie en morceaux, vous écrivez : « Mon parcours m’avait mené bien plus loin qu’espéré. »

A la base, je ne pensais pas faire un parcours musical, devenir une personnalité publique et vivre de ça. De fait, je n’ai pas la vie que j’avais imaginée. J’étais comme les jeunes lambda, je n’espérais pas grand-chose, je me disais on verra bien…

Comment est né ce livre autobiographique ?

La proposition est venue de Flammarion. L’idée de départ était un livre rétrospectif avec des paroles, des images, des textes. Finalement, c’est devenu un texte en prose. Je me suis pris au jeu, l’éditrice m’a orienté vers quelque chose de plus littéraire et je m’y suis engouffré. Il y avait du plaisir à parler pas seulement de moi, mais aussi de ce métier, de dire des choses qu’on ne dit pas forcément. Je mets en parallèle la vie et les chansons, la façon dont elles interagissent, se mêlent, se renvoient l’ascenseur, la façon dont elles se côtoient en se définissant.

Ma Vie en morceaux, cela peut s'entendre de deux façons : une vie en morceaux de musique ou une vie en miettes...

Avec l’album La fragilité, c’est un peu gros. C’était amusant. C’est un portrait autobiographique, à travers le filtre des chansons et de la musique. Je revendique que la vie est dépendante des chansons, c’est aussi lié à la mémoire. Souvent, la façon dont je pense à des événements passés est liée à des morceaux, ce sont des marqueurs temporels et affectifs. Le titre s’est imposé, c’est un peu rigolo, même si l’humour n’est pas ce que les gens associent à mes chansons. Mais l’humour passe sur scène, quand je fais une blague entre deux chansons dramatiques…

Les deux albums ont deux ambiances très différentes. Comment est née cette envie de faire deux disques en même temps ?

Souvent, dans les disques, il a des atmosphères variées, d’une chanson mélodique à quelque chose de plus âpre. Là, j’ai écrit de façon séparée en sachant que chaque chanson, en fonction de son ambiance pouvait aller dans un premier disque plus noir ou dans le deuxième plus apaisé, plus mélodique. C’était plus simple de diviser les choses en deux, car souvent mon problème c’est de parvenir à marier les contraires.

Le disque La fragilité a été enregistré dans l'intimité, ce n'est pas la première fois. C'est une démarche que vous appréciez ?

Après avoir travaillé en configuration de groupe, faire un disque tout seul, c’est comme un état des lieux. Se dire à ce moment-là, je suis cet artiste-là, je fais ça. C’est logique de parvenir à faire un disque en solitaire. Ensuite, c’est mixé et il y a un regard différent. Mais pour la prise de son, dans l’intimité, il y a des choses qui arrivent dans l’enregistrement qui ne peuvent pas se produire en studio.

Cela s'accompagne aussi de techniques rudimentaires. Vous jouez sur une vieille guitare. Est-ce par nostalgie ?

Non, c’était par paresse, je devais aller acheter une nouvelle guitare et je ne l’ai pas fait. J’ai commencé à travailler sur cette vieille guitare et j’ai enregistré des choses qui me plaisaient, ensuite j’ai voulu conserver l’unité du son. Ce n’était pas du tout l’envie de revenir sur mes pas. Si j’avais acheté une autre guitare, le son aurait été plus rond. C’était mieux de conserver ce son plus sec, de jouer avec ces cordes flinguées et d’aller au bout.

Le disque s'appelle La Fragilité. Vous vous sentez comme quelqu'un de fragile ?

De fait, on l’est tous. Notre corps nous le rappelle au bout d’un moment. La fragilité, c’est accepter ce regard plus juste sur l’existence. Dans la situation sociale crispée que nous vivons, c’est aussi une façon de revendiquer qu’on est pas forcément taillé pour la performance.

Quand on s’implique dans des actions socioculturelles, auprès de publics défavorisés, on voit que ce qui fait le lien entre les gens c’est l’humanité, une fragilité commune, une vulnérabilité qui font aussi notre richesse.

Vous accompagnez ces projets d'une tournée en solo. Que vous apporte cette formule ?

C’est comme faire le disque en solitaire, cela permet de voir où on en est par rapport à ce métier. Je suis arrivé dans la chanson en solitaire, avec un disque fait à la maison, c’est là où je suis le plus juste. Je ne l’avais pas fait depuis une douzaine d’années, mais j’ai travaillé le solo de façon très différente. Avant j’utilisais beaucoup les boucles, l’autosampling, j’ai voulu me passer de ça pour présenter un spectacle très axé sur ma relation avec l’ingénieur du son, avec une scénographie élaborée. Le but est de tenir l’intensité avec peu de choses. J’avais très envie de revenir à ça, c’est très gratifiant, j’éprouve des choses que je n’ai jamais éprouvées sur scène. L’engagement est plus fort. Comme on m’a souvent présenté comme un chanteur minimal, finalement je parviens à une forme de plus en plus minimaliste.

L'album La Fragilité s'ouvre par une chanson, La Poésie, en hommage à Leonard Cohen. Que représentait-il pour vous ?

Il a représenté tardivement une forme de modèle. Je l’ai découvert vraiment il y a une quinzaine d’années. Je connaissais ses chansons sans les avoir vraiment écoutées. Quand il est mort, ça m’a foutu un coup, je voulais faire une chanson sur ce qu’il représentait, sur son rapport poétique au monde.

La chanson a été écrite très rapidement après sa mort, je parle de lui de façon déguisée. La poésie est incarnée par lui, mais il n’apparaît pas, il reste un personnage un peu mystérieux. Je me souviens d’une interview où il disait qu’il faisait avec ce qu’il avait et qu’il avait peu. J’écris : « Elle avait si peu à confier / Pas du genre à trop s’épancher quelques mots ». La poésie passe et laisse peu de choses auxquelles il faut s’accrocher.

Quelle impression avez-vous eu quand vous avez entendu la chanson Immortels par Alain Bashung, sur son album posthume En amont ?

Passé l’ébahissement et le scepticisme, je suis très heureux. J’estime que la chanson est l’une des plus réussie de ce que j’ai fait. Cela permet à cette chanson de vivre une vraie vie. Elle aura existé deux fois, par mon biais et par le biais de celui auquel elle était destinée. C’est troublant, mais il y a une forme de logique, elle n’aurait pas pu sortir de son vivant. Le sens qu’elle revêt aujourd’hui, semble plus digne et plus cohérent. Il s’adresse à nous post-mortem, il revient à nous par cette chanson.

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