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Le péplum, "rempart contre l'inculture, la barbarie, le choc des civilisations"


Claude Aziza est historien de l'Antiquité, mais aussi historien des représentations de l'Antiquité. Passionné de culture populaire, le cinéma ou la bande dessinée, il a déjà publié des livres sur le western, Tarzan ou Frankenstein. Aux éditions Vendémiaire, il publie un Dictionnaire du péplum. De A comme Abel à Z comme Zeus, il revisite l'histoire avec un ton très personnel, présentant à la fois les principales figures, les grands films, les thématiques...

Elizabeth Taylor, Cléôpatre, de Joseph L. Mankiewicz.

La préface de votre dictionnaire est étonnante. Vous y expliquez que vous n'aimez pas le péplum...

Oui, c'est la vérité. J'ai eu beaucoup de mal à la faire admettre à l'éditrice. Mon univers, depuis que je suis tout petit, c'est le western. Les péplums sont arrivés à Alger, où je vivais, vers 1955-1957. A cette époque, j'avais déjà 20 ans. Donc les péplums ne sont pas un souvenir d'enfance.

Quand j'étais à la fac de Nice, j'avais cinq étudiants que je préparais à l'agrégation de lettres classiques. A Paris-III Sorbonne Nouvelle, j'ai eu le premier poste de professeur de latin dans une fac de lettres modernes. Je me suis trouvé avec 500 étudiants avec des niveaux différents, je ne savais pas trop comment travailler avec eux.

A Paris-III, il y a la cinémathèque universitaire, avec beaucoup de copies en 16 mm ou en 35 mm de péplums. J'ai commencé à imaginer, à inventer une méthode pédagogique pour apprendre l'Antiquité à partir du cinéma. Mes collègues de l'autre Sorbonne n'étaient pas très contents... Déjà, j'avais traduit une BD en latin, ils n'aimaient pas ça. Tout le monde considérait à l'époque que le péplum était un genre méprisable, populaire. Moi j'adore les genres populaires.

Depuis 30 ans, j'ai créé et je m'occupe du festival international du film d'histoire de Pessac. La dernière édition, on a fait 40 000 entrées. On a créé une université populaire du cinéma et d'histoire. Je viens de faire un cours sur le roman photo. C'est ma conviction, il n'y a aucun genre littéraire ou cinématographique méprisable.

Le terme roman populaire, quand Eugène Sue a sorti Les Mystères de Paris, a été utilisé pour la première fois par la presse socialiste.

Le péplum, donc, est un genre populaire et méprisé. Je n'étais pas du tout un spécialiste. Face à ces étudiants très différents, je me suis dit qu'il y avait une piste pédagogique. A l'UFR de cinéma, j'ai créé une UV qui s'appelait "Histoire et esthétique du péplum". J'ai cocréé aussi l'événement "Péplum en Val-de-Marne" en 1983 où dans tous les cinémas du département, on diffusait des péplums. Là, j'ai connu beaucoup de gens et je me suis lié d'amitié avec Riccardo Freda, qui était en fin de carrière, un peu sur la touche.

Petit à petit, j'ai commencé à travailler, à faire des nuits du péplum. A l'époque, il y avait des collectionneurs qui gardaient des copies dans leurs caves et m'en prêtaient. Peu à peu, j'ai dirigé des mémoires, des thèses, j'ai fait des séminaires...

Donc, le point de départ n'est pas un goût personnel. Même si j'aimais beaucoup les films épiques américains qu'on n'appelait pas péplums, La chute de l'Empire romain d'Anthony Mann, Cléopâtre de Mankiewicz, Quo Vadis...

Effectivement, ce mot de péplum est une appellation qui n'existe qu'en France...

Le paradoxe, c'est que jusqu'en 1964, on tournait des péplums sans savoir que c'étaient des péplums. C'est simple, John Ford avait l'habitude de se présenter en disant : "Je m'appelle John Ford et je fais des westerns". Jamais Riccardo Freda ne s'est présenté de cette manière !

En 1964, trois jeunes gars, dont Bertrand Tavernier, utilisent le mot "film à péplos". Dans le cinéma français des années 60, on parlait de "films à costumes". L'un a remplacé le mot costume par le nom d'un costume grec, "péplos". Puis, dans la presse, après on a utilisé la forme latine, "péplum".

C'est marrant car le péplos est un vêtement féminin grec, or il n'y a pas plus machiste et homosexuel implicite que les péplums.

Le drame, c'est que le mot est devenu très péjoratif. Quand j'ai commencé à travailler à la Sorbonne, j'ai dit on va remplacer "péplum" par "film à l'antique", mais ça n'a jamais marché.

Ailleurs, personne n'utilise ce mot ?

Non. Aux Etats-Unis, on le connaît, mais tous les films sur l'Antiquité et le Moyen-Âge sont appelés films épiques, epic movies. Aux Etats-Unis, pour rigoler, on dit aussi swords and sandals, épées et sandales, mais c'est récent. En Italie, on parle de fantaisie. En Grande-Bretagne, on disait merveilleux.

C'est le seul genre qui change de nom selon les pays...

Cela prouve bien que c'est un genre extrêmement varié. Cela pose le problème de définition des genres au cinéma. Maintenant, on fait la différence entre fantastique, terreur, gore...

En ce qui concerne la définition, il y a la question compliquée des périodes. La Bible, le roi Salomon, tout ça, c'est des péplums. Mais à ce moment-là, la préhistoire, ce devrait aussi être des péplums. Si on considère que cela va jusqu'à Byzance, alors il faudrait y mettre les Vikings, les 1 001 nuits...

Moi, j'ai une définition simple, on appelle péplum un film qui concerne l'Antiquité que nous connaissons, européenne, pas l'Antiquité chinoise, c'est-à-dire la Bible, l'Egypte, la Grèce historique et mythologique, Rome et un petit peu Byzance, jusqu'à Theodora.

Quels sont les codes du péplum ?

Ce sont tous les codes du roman populaire ou du film populaire. Il y a une structure souvent la même, le héros, souvent deux héroïnes, une nunuche blondasse qu'il va épouser à la fin et une brune, parfois rousse, flamboyante, méchante, perverse qui voudrait bien mettre le héros dans son lit mais qui ne peut pas.

On a une typologie des personnages selon les genres cinématographiques. Pour ce qui concerne la sexualité, au plus bas de l'échelle, on a le héros de péplum, c'est comme un enfant. Il est en face de femmes et ne sait pas trop ce qu'il faut faire. Après, on a le héros de western, c'est un ado, partagé entre la danseuse de saloon et l'instit. Au-dessus encore, il y a le mec viril qui sait ce qu'il faut faire, en gros le héros du roman policier, Bogart, Mitchum. Il sait et il peut ! Alors que le héros de péplum, il ne sait pas et il ne peut pas. Ensuite, il y a le savant la science-fiction, il sait mais il ne peut plus !

Ensuite, il y a le méchant. Comme dans les films d'aventures, très souvent, il est brun, il a une petite barbe, il est sournois. Et puis, il y a les copains du héros. Comme Obélix, ils sont un peu gladiateurs, ils lui viennent en aide, c'est un petit groupe. Il y a des variantes, des complications quand les Dieux interviennent dans la mythologie ou la Bible…

Dans Samson et Dalila de Cecil B. DeMille, c’est un schéma un peu compliqué. Il aime une blonde qu’il va épouser (c’est dans le film, pas dans la Bible!). Mais la sœur de la blonde, qui est une petite brune perverse jouée par Hedy Lamarr, va s’arranger pour casser le mariage de Samson, qui va lui révéler son secret. Et à la fin, la pécheresse se convertit.

Hedy Lamar et Victor Mature, Samson et Dalila, de Cecil B. DeMille.

Entre parenthèses, Hedy Lamarr est une grande scientifique. Si on a des téléphones portables, c’est grâce à Hedy Lamarr. C’était aussi la première femme à tourner nue dans un film.

C’est un spectacle toujours familial ?

Oui, la plus belle représentation de ce que représente ce spectacle, c’est dans Fellini Roma, quand la famille va au cinéma. Ils vont voir une espèce de remake de Quo Vadis, fabriquée par Fellini, sans doute un pastiche du film de 1925. Le père regarde les filles avec les tuniques un peu transparentes, la mère est contente parce qu’il y a des beaux mecs, le petit gosse regarde les femmes en se disant que quand il sera grand... La petite fille, on s’en fout parce que dans les familles italiennes, ça ne compte pas. A la fin, il y a la femme d’un notable et le gamin la voit en Messaline. Les fantasmes de Fellini sur l’Antiquité, on les retrouve dans le Satyricon.

Fellini Satyricon, de Federico Fellini.

C’est un spectacle familial. Au cinéma, pour les fameuses orgies romaines, qui n’ont jamais existé d’ailleurs, le comble de la perversité, c’est quand un homme offre à une femme une grappe de raisin !

Même les films un peu chaud comme les films sur les Amazones où on voit des sociétés d’homosexuelles, cela se termine toujours par une femme qui tombe amoureux d’un bel homme et vire sa cuti dans l’autre sens.

C’est assez formaté. La France s’est arrêtée de faire des péplums au moment du parlant. Le dernier, pour être précis, c’est une production des Derniers jours de Pompéi en 1948 dirigée par Marcel L’Herbier.

A partir du parlant, on fait du péplum en Amérique et en Italie. Et en Italie, il y a aussi toujours le péplum du Nouveau testament. Dans tous ces films, comme Quo Vadis, un beau légionnaire romain tombe amoureux d’une belle esclave princesse chrétienne et se convertit. C’est le Christ qui triomphe.

Comme dans Ben Hur. La dernière version est atroce, elle a été un échec financier. Comme La Momie avec Tom Cruise et Gods of Egypt ont été aussi des échecs, on ne fait plus de péplums. Le troisième âge d’or commencé avec Gladiator de Ridley Scott en 1999 est terminé.

D’ailleurs, les âges d’or durent 15-20 ans et quand un genre est en train de crever, il y a deux voies, le porno et la parodie. Après 1964-65, on a Caligula et des parodies comme La Vie de Brian des Monty Python.

C’est toujours comme ça quelque soient les genres. Par exemple, le western qui a été considéré comme un genre usé n’est pas usé. D’abord, il n’y a pratiquement pas de westerns porno ni parodiques. On continue à en faire. Même chose pour le film d’aventures.

Ou alors, il faut considérer que cela continue à travers Star Wars, où on a la course de char, ou dans Game of Thrones. Mais je ne suis pas d’accord avec ce genre d’interprétations. Bien sûr, il y a une influence antique évidente, mais ce ne sont pas des péplums.

Le péplum est important pour l'histoire du cinéma. Cabiria de Giovanni Pastrone en 1914 est le premier long métrage...

C’est le premier long métrage qui dépasse une heure et demie. Le premier long, c’est en 1910, Quo Vadis. Et en 1896, il y a le premier péplum Néron essayant des poisons sur des esclaves, il dure 55 secondes.

Cabiria, de Giovanni Pastrone.

Dans Cabiria, on trouve tout. Au point de vue technique, c’est l’invention du travelling. On a des décors en dur et non plus des toiles peintes. On raconte que Griffith a acheté une copie de Cabiria avant de tourner Intolérance, tellement il était impressionné par le film. C’est marrant parce que le premier film en cinémascope, c’est La Tunique d’Henry Koster en 1954.

On a une thématique très intéressante, sur les guerres puniques, mais en même temps sur les conquêtes italiennes du début du siècle. C’est quelque chose d’éclatant, les guerres puniques au cinéma, ce sont les conquêtes italiennes coloniales. Scipion l’Africain en 1937, le péplum fasciste, c’est la prise d’Addis-Abbeba.

Avec Cabiria, on a créé un personnage qui va avoir un avenir fabuleux jusqu'à nos jours, c’est Maciste. Pour des raisons assez amusantes, le personnage est joué par un docker génois totalement illettré, Bartolomeo Pagani. On lui apprend à lire, on s’occupe de lui, d’ailleurs, il va épouser son instit. Mussolini avait une vague ressemblance avec lui. Il prenait la pose comme Maciste.

Ce qui est aussi intéressant d’un point de vue de l’histoire du cinéma, c’est que Maciste ne va pas être cantonné aux péplums. Il va y avoir Maciste détective, Maciste en Afrique… C’est un personnage qui va sans arrêt traverser les époques. On n’est plus dans le domaine du péplum, on est plus proche de la bande dessinée.

Les corps sont très importants dans le péplum...

Tout à fait, il y a aussi tout un aspect sado-maso… Il y a très peu de péplums porno. C’est le corps masculin qui est mis en valeur alors que le corps féminin est masqué. Il faut pas non plus qu’il soit trop provocant.

Il existe une Odyssée muette. A l’époque, on prend un chanteur de la Scala de Milan qui est en vacances au mois d’août. Ulysse est interprété par un ténor bedonnant. Alors qu’en 1955, c’est Kirk Douglas !

Kirk Douglas, Ulysse, de Mario Camerini.

Le corps, c’est très important dans le péplum parlant. Steeve Reeves, c’est Monsieur Univers. C’est le maître de Lou Ferrigno, de Sylvester Stallone, d'Arnold Schwarzenegger… Ensuite, on aura toute une série de culturistes, soit américains, soit italiens mais qui prendront des noms américains. Ces culturistes, à part Gordon Scott qui lui avait fait Tarzan et était un vrai athlète, n’ont aucune force physique. C'est de la gonflette. Riccardo Freda disait en rigolant, que quand Steeve Reeves devait prendre un stylo, ça lui posait un problème.

Ce qui compte, c’est la beauté du corps. D’ailleurs dans les années 50 et 60, on avait, dans les salles qui projetaient des péplums, des concours de Monsieur Hercule.

Pourquoi ce culte ? On retrouve tous les héros de la mythologie dans le cinéma muet, sauf Hercule. Il va falloir attendre 1957. C’est la conjonction du retour des Jeux Olympiques depuis 1948 et la création du Club Med, où ce qui compte, c’est les 3 S, sun sex et sunday. On est nu, on a une espèce de vie primitive et on revient à la mythologie avec la flamme olympique. On a ce désir du bel homme.

Il y a évidemment toute une série de connotations érotiques, qui sont très amusantes parce qu’il faut qu’on explique au spectateur, mais comme c’est un spectacle familial, il faut que cela reste obscur.

On a par exemple souvent une héroïne, celle qui voudrait séduire le héros et lui veut pas. Alors elle le tapote comme ça, elle lui caresse les pectoraux, elle lui propose un massage. Lui ne comprend pas, mais on comprend… C’est comme dans la comédie américaine des années 30. A cause de la censure, on ne peut pas voir de sexe à l’écran. Alors, on voit le héros et l’héroïne qui s’embrassent. Puis, on les voit en train de prendre le petit-déjeuner. Cela veut dire qu’ils ont passé la nuit ensemble. C’est un code.

Il y a aussi des allusions homosexuelles...

Tous ces mecs en jupette, c’est sûr. La dernière série Spartacus, rien n’est cachée, elle est gore et gay.

Mais cela part d’un contre-sens judéochrétien sur la civilisation romaine et même grecque. La sexualité à Rome est ouverte, elle n’est pas entachée de péché.

Surtout, vous montrez qu'il y a de nombreuses allusions politiques...

Le péplum est un moyen d'investigation de l'Antiquité par un cinéma qui parle du présent. C’est ce qui est intéressant, c’est comme ça que j’ai travaillé, sinon je ne me serais jamais intéressé au péplum pour montrer aux cinéphiles que leur attitude est imbécile, sectaire.

Cela continue d'ailleurs dans les derniers péplums. L'Iran a condamné 300, qui évoque le conflit entre les Grecs et les Perses, en disant que c'était un complot de la CIA. Alexandre d'Oliver Stone a été condamné par la Grèce qui dit qu'Alexandre n'a jamais été homosexuel, ce qui est faux totalement. La Chine a refusé Noé parce qu'il y a avait un message écologique, anachronique mais écologique. J'ai coutume de dire que plus un péplum est mauvais, plus il est intéressant.

Colin Farrell, Alexandre, d'Oliver Stone.

J’ai décodé péplum après péplum et il y a des choses énormes. Récemment, j’ai participé à une rencontre avec des collégiens autour de L’Enlèvement des Sabines, de Richard Pottier. Je ne pouvais pas leur parler de toutes allusions politiques. Les Sabines capturent les Romains puis disent, nous on veut choisir notre mari. Dans ces années-là, la femme italienne s’émancipe. Le divorce est autorisé en 1970.

Il existe un film de 1964, La Terreur des gladiateurs. Le titre est une connerie française car il n’y a ni terreur ni gladiateur. C’est l’histoire de Coriolan, héros sans patrie. C’est un personnage important dans l’Antiquité, il a inspiré une tragédie à Shakespeare. Sauf que le film raconte quelque chose de bizarre, Coriolan est un aristo qui ne veut pas aller chercher les voix pour être élu car il pense que la plèbe fait du mal à Rome et il est obligé de s’exiler. Mais dans le film, on s’aperçoit que le tribun de la plèbe, le leader du parti populaire en fait est traître payé par les Volsques, c’est un ennemi de l’intérieur. En 1964, il y a un rapprochement contre-nature entre la Démocratie chrétienne, les socialistes et les communistes. Le réalisateur, sans doute de droite, dit attention, à force, l’allié sera un ennemi de l’intérieur car il est inféodé à une puissance. Il a raison car la Démocratie chrétienne perdra les élections, il a tort car le PCI a été le plus indépendant de tous les partis communistes européens par rapport à Moscou.

Quand je regarde Salomon et la Reine de Saba, de King Vidor en 1959, qui invente une guerre entre les Egyptiens et les Hébreux, qui n’a jamais existé. Salomon a épousé la fille du pharaon. Il avait 900 femmes, parmi elles la fille du pharaon, ça fait une fois tous les trois ans. Cette guerre est perdue d’avance pour les Hébreux, car les chars égyptiens sont très nombreux, mais il y a une ruse. Les chars égyptiens sont attelés comme à l’époque, l’attelage à l’antique avec le licou sous le cou. Les chars hébreux sont attelés comme au Moyen-Âge avec le licou qui passe sous le ventre, donc ils sont plus performants. En 1956, lors de la guerre de Suez, les chars de Moshe Dayan, qui sont en nombre inférieur mais plus performants, massacrent les chars égyptiens qui sont plus nombreux. Le spectateur, à l’époque, étaient au courant. Le problème, c’est que ces allusions se démodent très vite.

Quand vous regardez La Chute de l’Empire romain, cela correspond à une période très précise, la glasnost, le dégel, Khrouchtchev… Les Américains se disent, c’est pas la peine de leur balancer une bombe atomique, on va leur donner des bas-nylons, du jazz, des chewing-gum, du whisky. Dans La Chute de l’Empire romain, c'est ce que dit le général et son conseiller James Mason qui sont des sages : pourquoi aller combattre les barbares, leur taper dessus alors que ça va recommencer sans arrêt ? Donnons-leur des terres, qu’ils les cultivent et ils vont nourrir Rome. C'est-à-dire donnons-leur de la propriété privée ! C’est ce que les conseillers américains disaient à l’époque.

Sophia Loren, La Chute de l'empire romain, d'Anthony Mann.

Pour un dictionnaire, votre ton est très personnel...

J’ai trois casquettes, la première, la plus importante, je suis historien de l’Antiquité. La deuxième, je connais bien la littérature qui a donné naissance à ces films puisque j’ai édité ces romans. Et la troisième, c’est que je suis un cinéphile.

Les trois se retrouvent ensemble pour un ton personnel. Je suis parfaitement capable de parler des problèmes historiques de l’empire romain, des questions littéraires. Cela ne correspond pas au ton qu’on trouve habituellement dans un dictionnaire de cinéma.

Il y a des entrées inattendues, je me suis aussi un peu amusé. On ne fait pas un dictionnaire du péplum comme une thèse universitaire. Au départ, je suis historien des religions. J’ai fait une thèse sur les relations entre juifs, chrétiens et païens dans l’Afrique romaine.

En ce moment, on a une crise de civilisation et nos racines gréco-romaines ont été balayées. L’enseignement du latin est en déroute. Que reste-t-il pour l’Antiquité ? Il reste des choses qu’on a méprisées, le cinéma et la bande dessinée. Cela va servir de profs de latin. Je trouve que c’est une revanche assez amusante.

Dans votre dictionnaire, il n'y a pas d'entrée Astérix ?

Je déteste Astérix. J’étais prof au collège, avant d’être prof à la fac. Astérix a été une catastrophe pour les profs de latin. Chaque fois qu’on avait un cours, il y avait toujours un abruti au fond de la classe qui disait ils sont fous ces romains. Le seul que j’aime, c’est le dessin animé Astérix et Cléopâtre.

J'évoque très peu de dessins animés. J’ai pas parlé du Hercule de Walt Disney, qui est assez lamentable, ni du Prince du Nil, ni de L’Atlantide. J’ai pas trop d’analyse à faire là-dessus.

Avec ce ton très personnel, vous n'épargnez pas les films de Pier Paolo Pasolini...

Pendant 15 ans, j’ai écrit pour le supplément radio télé du Monde. Un jour, j’ai écrit à propos de Médée « salade mythologique ». Vous pouvez pas savoir le nombre de lettres que j’ai reçues.

Maria Callas, Médée, de Pier Paolo Pasolini.

J’ai des arguments. L’Evangile selon saint Mathieu, c’est un contre-sens total. Parler de l’évangile pour en faire une lutte des classes, c’est un contre-sens. Oedipe m’ennuie atrocement. Quant à Médée, j’ai fait la même chose avec le Sodome et Gomorrhe de Robert Aldrich, que je n’aime pas beaucoup. Je dis beaucoup de mal des Mémoires d’Hadrien, je le regrette maintenant. Les intellos qui n’aimaient pas Ben Hur et Quo Vadis, ils achetaient Yourcenar. Les intellos qui se disent c’est pas mal le péplum, mais n’osent pas trop, ils ont une espèce d’alibi, parce que ça c’est un truc intello. Allez voir Jason et les argonautes, l’un des plus beaux films sur l’Antiquité qui vient de ressortir en version éblouissante. Regardez Cri de femmes de Jules Dassin, Medea de Lars von Trier… Mais alors ce truc intello, sentencieux, avec la Callas que j’adore mais qui est aussi froide qu’une poignée de frigo... Je l’ai revu plusieurs fois, j’ai des amis intimes qui sont furieux. Et puis, il y a quand même un critère au cinéma, c’est le plaisir. Il y a des films sur l’Antiquité qui m’ennuient, La tunique par exemple, c’est long, c’est pâteux… C’est un genre populaire, on fait pas de chichi avec le péplum.

Est-ce que la mode des péplums ne continue pas aujourd'hui avec les reconstitutions historiques ?

Peut-être. Ce n'est pas ma tasse de thé, mais tout ce qui peut faire connaître l’Antiquité, c’est très bien. Au moment où le péplum s’est arrêté, où il est passé à la télé, on a commencé à faire des reconstitutions, c’est un désir de revivre dans l’Antiquité, mais on a beau faire une reconstitution, c’est du cinéma.

Si les gens trouvent que c'est intéressant et qu'ils vont acheter des livres sur l'Antiquité. Ce que je veux, c'est qu'on parle de l'Antiquité. Pour notre civilisation survive, il ne faut pas que l'Antiquité meure. J'ai peu de convictions idéologiques dans l'existence, mais j'en ai une, c'est bien celle-là, je ne veux pas que notre civilisation meure et je pense qu'on est à un moment où les Barbares sont là. La chute de l'Empire romain, on va peut-être la vivre mais d'une autre façon, même si en réalité, il n'y a jamais de chute d'un point de vue historique. Toutes les formes qui concernent l'Antiquité sont une forme de rempart contre l'inculture, la barbarie, le choc des civilisations.

Quand j'étais en sixième, j'avais dix heures de latin par semaine. Plus les gens seront intéressés par l'Antiquité, plus il y aura d'élèves qui demandent à faire du latin. Et l'argument qu'on entend souvent selon lequel il n'y a pas assez d'élèves pour ouvrir une classe ne tiendra plus. C'est un espoir...

Dans certains domaines il faut lutter, les reconstitutions comme les péplums, sont une digue, avec le plaisir en plus. Mais c'est un acte militant.

Dictionnaire du péplum, Claude Aziza. Editions Vendémiaire, 396 pages. 27 €.

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