"Faire vivre la musique de Michel Petrucciani aujourd'hui"
Le jeune pianiste Laurent Coulondre rend hommage à son aîné Michel Petrucciani avec "Michel on my mind", un disque lumineux. Vingt ans après la mort de son aîné, il revisite son répertoire de façon à la fois très fidèle et très actuelle, en compagnie d'André Ceccarelli à la batterie et de Jérémy Bruyère à la basse. Le résultat est particulièrement émouvant, avec un jeu fluide et rythmique, une vraie sincérité, une joie communicative.
Vous avez 30 ans. Michel Petrucciani est mort il y a 20 ans. Vous avez des souvenirs d’enfance de l’artiste?
Je n’ai pas eu la chance de le voir en vrai, mais j’ai des souvenirs à la télévision, en vidéo, ensuite sur youtube, puis en disque évidemment. En 1999, mes parents m’avaient acheté le disque Michel plays Petrucciani. J’étais impressionné par ce petit bonhomme qui jouait tellement bien. Il était petit, je me suis dit que moi aussi peut-être, je pouvais faire de la musique. Il m’a motivé pour faire du jazz et pour continuer.
Je faisais déjà de la musique à l’école de Petite Camargue, mais je n’avais encore pas décidé d’en faire mon métier.
Vous écoutiez déjà du jazz ?
C’était mon premier disque de jazz. Après je me rappelle que mes parents m’ont acheté What it is de Jacky Terrasson. Il a été un peu le déclencheur.
Qu'est-ce qui vous séduisait chez Michel Petrucciani ?
Il y a d'abord l’indépendance de la main droite et de la main gauche et l’idée qu’on entendait chaque note, que chaque note avait un impact. Il était très attaché au rythme et il avait un jeu limpide, perlé. C’était punchy, rythmique et en même temps, ça chantait.
Quelle place a-t-il eu dans votre construction personnelle et professionnelle ?
Aujourd’hui, je peux le dire et je m’en rends compte, il a eu une importance capitale. J'ai joué du Petrucciani depuis que je l’ai découvert. Là, j’en fais vraiment un projet et je le défends, mais tout m’est apparu naturel. Il a tellement infusé en moi depuis toutes ses années. Je l’ai beaucoup écouté, parfois je ne l’écoutais plus, mais il fallait que ça sorte. C’est ce que j’ai ressenti en faisant ce disque et cette tournée.
D’après vous, quelle trace laisse-t-il dans le jazz d'aujourd'hui ?
C’est l’un des seuls artistes français à avoir fait une carrière internationale, à être aussi connu, à avoir eu ce statut de star, de personnalité. Dans l’histoire, c’est l’un des rares à avoir aussi marqué le milieu du jazz et le public populaire. Je vois tous les retours incroyables de musiciens ou non qui se sont attachés au jazz grâce à lui. Il avait un côté rassembleur, c’est génial.
Comment est né ce projet de disque hommage Michel on my mind ?
Je jouais du Petrucciani depuis que je suis tout petit. A 18 ans, avec mon premier trio, le trio Colors avec Jean-Luc Ribes à la basse et Vincent Baurens à la batterie, on jouait déjà des reprises, sans arrangements, juste pour apprendre les morceaux et se faire plaisir. Ensuite, quelques années après, on a travaillé à des adaptations vocales avec Laura David.
En novembre 2018, j’ai eu une carte blanche de Jazz Magazine qui organise des concerts au bal Blomet à Paris dans le 14e arrondissement.
Je joue aussi des claviers et de l’orgue. La seule thématique, c’est qu’il y avait un beau piano acoustique. Je me suis dit que c’était l’occasion de jouer du Petrucciani, sans me dire que j’allais faire un disque, une tournée… Le seul but, c’était de se faire plaisir, de rejouer ses morceaux. J’ai appelé André Ceccarelli que je trouvais dans l’esprit et Jérémy Bruyère avec qui j’avais déjà enregistré.
A la soirée, il y avait plein de monde qui avait connu Petrucciani, des gens qui l’avaient côtoyé et qui sont venus me voir à la fin, pour me remercier, pour me dire que cela leur rappelait de bons souvenirs. Devant cet accueil des professionnels, je me suis dit qu’il fallait peut-être y aller. Et c’était tellement naturel, je me suis tellement amusé…
J’ai fait la tournée de quelques labels, j’ai contacté quelques producteurs. Mais il n’y avait pas vraiment de producteurs qui avaient envie de s’investir. Je me suis dit qu’il fallait y aller quand même.
Avec mes parents, on a monté un label, le New World Production et ce disque est le premier du label. Cela demande de l’énergie, mais je suis content, on avance. J’ai envie de continuer, cela offre une vraie visibilité de tous les postes. On contrôle tout, on travaille comme on a envie, avec les personnes que l’on veut.
Ce n’était pas intimidant ?
Si, si, si… J’en parle aujourd’hui avec distance, mais quand on a enregistré, c’était un vrai challenge, un vrai défi, d’être dans l’hommage sans être dans la copie, de respecter tout en proposant quelque chose de personnel. Je me suis posé beaucoup de questions.
D'autant Michel Petrucciani était un compositeur, mais aussi un interprète génial...
Avant le disque, je me suis demandé si cela servait à quelque chose. Le fait que plusieurs de ses proches m’encouragent a compté. Le but n’est pas de faire mieux, mais juste lui rendre un hommage avec sincérité. Son jeu est tellement riche et personnel. Il y a ses idées ; le but n’est pas de refaire du Petrucciani, mais de faire vivre sa musique aujourd’hui. J’espère que cela pourra amener quelques personnes à le découvrir.
Vous lui rendez aussi hommage à travers des compositions personnelles...
Après des albums où il n’y avait que des compositions et aucun standard, je me suis dit que ce serait cool de faire une ou deux compositions dans l’esprit de Petrucciani, tout en étant plus personnel. J’ai essayé de jouer en pensant à lui. C’était très différent des autres albums. Au moment de passer derrière le piano, je me suis laissé aller pour être vraiment dans l’émotion.
Quand on a enregistré, on a gardé des premières prises, des solos, pour être dans l’instinct, comme il pouvait l’être dans ses "live" très solaires.
Finalement, j'ai assez vite composé ces morceaux, c’est sorti assez naturellement.
Comment s’est fait le choix des morceaux pour ce disque ?
C’était dur, il y a tellement de titres connus. Je voulais me faire plaisir et faire plaisir aux gens. Je voulais les tubes, mais je ne pouvais pas les mettre tous. En jouant, il fallait aussi des morceaux qui me donnent des idées d’arrangement. Et puis, je voulais balayer toute sa discographie, il a joué en trio, en duo contrebasse, en duo avec Eddy Louiss pour l’album Conférence de presse, avec des cuivres… Il y a donc des morceaux en trio, en duo ou en solo où je joue à la fois l’orgue et le piano. Mais je pourrais encore faire quatre autres albums avec quinze morceaux.
Je voulais des titres où je pouvais aller à l’émotion qu’il avait voulu donner. C’est assez dur d’être juste.
Vous êtes à la fois très fidèle et le son est très actuel. Comment avez-vous travaillé cet équilibre ?
Le son des enregistrements de Michel est parfois un peu daté, certains ont plus de 30 ans. En plus, il y a parfois un côté un peu fusion qui était à la mode dans ces années-là. On a essayé d’avoir un son plus moderne, comme on le trouve chez Brad Mehldau ou dans les trios new-yorkais actuels. On est entre tradition et modernité. Ses compositions ont parfois 40 ans, mais elles traversent le temps, comme avec des compositeurs classiques ou quelques grands noms du jazz
Récemment au Tokyo jazz festival, j’ai rencontré Chick Corea qui le connaissait et avait un grand respect pour lui, il me disait qu’il faisait toujours des blagues. Il fait partie des dix ou quinze plus grands pianistes de l’histoire du jazz. Et dans ceux-là, il est le seul Français.
On sent dans le disque et dans la façon dont vous en parlez qu’il y a beaucoup de joie dans ce projet…
Oui, c’est important. Il fallait du soleil. C’est l’idée. Et je veux que le public sorte des concerts avec la banane.