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Aurel : "Raconter l’histoire de Josep avec des dessins vivants"

Rencontre avec le dessinateur Aurel, réalisateur du film d'animation "Josep", consacré au dessinateur catalan Josep Bartoli

Qui est Josep Bartoli, auquel vous consacrez ce film ?

C’est un dessinateur de presse catalan, qui est né en 1910 à Barcelone, qui a combattu le franquisme pendant la guerre d’Espagne et qui est passé en France en 1939, comme 500 000 autres réfugiés. Il a été enfermé dans les camps de concentration de la côte du Roussillon. Il a eu une vie assez romanesque et durant son enfermement, il a beaucoup dessiné le quotidien de ces camps.

Comment avez-vous découvert cette histoire ?

Je l’ai découverte grâce au livre qu’a écrit son neveu Georges Bartoli (NDLR : La Retirada : Exode et exil des républicains d'Espagne, éditions Actes Sud), où il raconte l’exil des Espagnols, de sa famille et qu’il a illustré entre autres avec les dessins de son oncle Josep.


Quand vous avez découvert cette histoire, qu’est-ce qui vous a frappé ?

Avant l’histoire, c’est vraiment son dessin qui m’a frappé, la puissance graphique, la richesse, la justesse.

Vous avez tout de suite pensé en faire un film ?

J’étais en train de réaliser un court métrage d’animation et très vite, j’ai imaginé que cela pouvait être le sujet d’une nouvelle aventure dans l’animation.

Comment avez-vous travaillé avec le scénariste Jean-Louis Milesi, qu’on connaît surtout pour ses collaborations avec Robert Guédiguian ?

Quand je cherchais un scénariste, le producteur de l’époque qui est malheureusement décédé depuis m’avait proposé de me tourner vers l’univers de Guédiguian. Cela m’a tout de suite parlé, mais j’ignorais qu’il travaillait avec un scénariste.

Jean-Louis Milesi est arrivé à un moment où j’étais un peu perdu dans cette histoire foisonnante et riche. Josep a eu une vie par la suite bien remplie. C’est Jean-Louis Milesi qui m’a vraiment orienté vers l’histoire des camps, qui a proposé qu’on raconte vraiment ce passage de la vie de Josep.

Vous avez visité le mémorial de Rivesaltes qui témoigne de cette histoire ?

Non seulement, on l’a visité, mais en plus, on s’est beaucoup appuyé sur leur expertise. Et le mémorial de Rivesaltes est d’ailleurs coproducteur du film. Il y a eu un travail sur le scénario et on avancé main dans la main avec le mémorial.


Comment vous définiriez son style de dessin ?

Ce sont des dessins semi-réalistes, très justes, à la fois précis et avec un trait fort et aiguisé. Avec deux trois intentions très bien senties, très bien placées, il va donner tout un sentiment, toute une émotion au dessin qui par ailleurs n’est pas caricatural du tout.

On sent l’influence de la peinture expressionniste de l’époque dans son travail ?

Tout à fait. J’ai travaillé en m’inspirant aussi du modernisme catalan. Je pense que Josep était inspiré par cela et s’insère aussi dans cette histoire.


Dans votre style, on n’est pas vraiment dans le cinéma d’animation. C’est très particulier, il y a peu de mouvements…

Il y a une partie contemporaine, qui parle de notre époque, où un grand-père vieillissant raconte son histoire à son petit-fils. Là, on est dans un format d’animation assez classique.

Par contre, pour la description de cette mémoire, on est dans des dessins vivants, mais plus fixes. C’est une narration un peu plus saccadée, des instantanés. Je désirais garder la main sur la façon de raconter cette histoire et si je passais par de l’animation pure, je sentais que je perdais la main car ce n’est pas mon outil de travail. Je voulais raconter cela avec des dessins rendus vivants par les voix, la musique, par la vibration du trait, par des effets spéciaux. Cela me permettait d’exprimer cette mémoire du grand-père qui n’est pas forcément quelque chose de linéaire, parce qu’il est lui-même malade et que cette histoire s’est passée il y a longtemps. Le côté saccadé de la mémoire ressurgit par la mise en scène.

Cette histoire est encore assez taboue. Comment expliquez-vous que 80 ans après la retirada, cet épisode soit si mal connu ?

Il y a plusieurs facteurs, le principal étant que c’était à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Donc, dans les livres d’histoire comme dans les mémoires, la Seconde Guerre mondiale a balayé tout ce qui s’est passé juste avant.

Je pense aussi que c’est une histoire un peu honteuse pour la France, donc qu’on ne raconte pas aisément. Et également, c’est un moment difficile pour ceux qui l’ont vécu et qui n’ont pas eu envie de s’épancher et de raconter cela à leurs enfants. Souvent, il faut attendre plusieurs générations avant que les enfants cherchent à en savoir plus.

On a l’impression aussi que cette histoire annonce la suite, 40, la collaboration, le Vel d’hiv, etc.

Clairement, même Serge, le narrateur, appartenant à la gendarmerie, va être obligé de filer un coup de main à la Gestapo. C’est cette accumulation, ce qu’il a vu avec les Espagnols puis cette sale besogne pendant l’Occupation, qui va le faire prendre conscience du devoir de désobéissance.

La question est posée dans le film, jusqu’où doit-on obéir ?

Ce n’est pas un film manifeste, militant, mais cette question traverse le personnage de Serge. Finalement, il va s’engager dans le camp de l’humanité par opposition à cette inhumanité portée par une série de gendarmes.

Le film aborde un peu la suite de l’histoire qui est très romanesque. Après la guerre, au Mexique, il devient l’amant de Frida Kahlo…

C’est véridique. Il est en effet parti au Mexique, il a rencontré Frida Kahlo mais il est devenu son amant plutôt une fois qu’il est parti vivre aux Etats-Unis, quand Frida allait s’y faire soigner. La réalité dépasse tellement la fiction qu’on a eu envie de la raconter, c’est tellement merveilleux.

Et en même temps, ce n’est pas juste pour le côté glamour, c’est aussi parce que pour Jean-Louis Milesi et pour moi, c’est cette rencontre qui fait basculer Josep du dessin en noir et blanc à la couleur.

Le film est dédié à la mémoire de Tignous, qui a été assassiné dans l’attentat de Charlie Hebdo…

Ce film a été imaginé et on a commencé à travailler dessus avant l’attentat de Charlie Hebdo. Tignous a disparu sous les balles des frères Kouachi au tout début du montage financier du film. Tignous m’a pris sous son aile comme beaucoup de jeunes dessinateurs et m’a permis de faire ce métier, où on apprend sur le tas, de nos aînés, de nos grands frères. 


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