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Carine Tardieu : "L'amour rend beau"

Shauna, 70 ans, libre et indépendante, a mis sa vie amoureuse de côté. Elle est cependant troublée par la présence de Pierre, cet homme de 45 ans qu’elle avait tout juste croisé, des années plus tôt. Et contre toute attente, Pierre ne voit pas en elle “une femme d’un certain âge”, mais une femme, désirable, qu’il n’a pas peur d’aimer. A ceci près que Pierre est marié et père de famille. Rencontre avec la réalisatrice Carine Tardieu qui met en scène Fanny Ardant et Melvil Poupaud dans "Les Jeunes Amants", une histoire d'amour hors norme.

Au départ, "Les Jeunes Amants" est un projet de Solveig Anspach à laquelle le film est dédié. Comment avez-vous rejoint cette aventure ? A l’origine, Solveig avait imaginé cette histoire qui lui était très personnelle. Sa mère, sur le tard, avait rencontré un homme beaucoup plus jeune qu’elle avec qui elle avait une histoire d’amour charnelle et très passionnelle. Solveig était très émue que sa mère lui fasse, comme un aveu de cette histoire. Cela lui tenait très à coeur de faire ce film. Elle était malade, elle avait une récidive de cancer. J’avais entendue parler du projet parce que j’étais un peu amie avec elle. Deux jours avant sa mort, elle a demandé à Agnès de Sacy, avec qui elle avait commencé à écrire le film, de lui faire la promesse que le film se ferait au-delà d’elle. Elle voulait aussi que le film soit réalisé par une femme. Quelque temps plus tard, son producteur et Agnès m’ont assez naturellement proposé le projet. J’ai eu un premier mouvement de recul. C’était un peu lourd à porter, reprendre le projet d’une amie qui était morte. J’ai accepté à la condition de pouvoir rendre le projet un peu plus lumineux que le premier jet qu’avait élaboré Solveig. C’était aussi de sa propre finitude dont elle parlait à travers cette histoire. Moi, j’étais dans un mouvement inverse, j’allais être maman, j’étais plus du côté de la vie. J’ai dit au producteur que je voulais amener le film du côté de la lumière. Qu’est-ce qui vous a touché dans cette histoire ? Evidemment, de raconter un amour passionnel, hors norme. Dans l’absolu, cela me plaisait. Mais au-delà, il y avait cette idée que quelque soit l’âge, on peut toujours renaître à soi-même, se réinventer, se redécouvrir. Ici, au travers d’un autre, puisqu’il s’agit de tomber amoureux. Mais, j’aime cette idée que tant qu’on est vivant, on peut se laisser surprendre par la vie. Dans mes précédents films, il y a parfois cette idée de gens qui sont à la lisière de passer à côté de leur propre vie, de passer à côté de l’essentiel. C’est un sujet qui me tient à coeur, le courage de s’abandonner à une histoire. Cela demande un certain courage, puisqu’effectivement, aimer c’est aussi prendre le risque de perdre, c’est aussi avoir peur… Dans ce couple, les attitudes sont très différentes. C’est surtout elle qui hésite… Lui est assez inconscient au début de ce qui lui arrive. Il est marié, père de famille, bien dans sa vie... Quand il rencontre cette femme, il a une attirance pour elle, mais il ne l’identifie pas tout de suite comme une attirance amoureuse. Quand il prend conscience de son émoi profond, il se jette à corps perdu, sans barrière, il fonce, il est plein de désir et rien de l’empêche. Elle a plus de réserve. Elle est plus rapide à comprendre que quelque chose se passe. Dans un premier temps, elle a du mal à y croire. La différence d’âge… Il est marié… Elle a toutes les raisons de croire que cela ne va pas se passer. Quand il se déclare, elle a plusieurs mouvements de recul, d’hésitation. A cause de cette différence d’âge, elle a toutes les raisons de douter. Mais au fond, c’est un doute plus fondamental, la peur de l’amour et le fait que dans sa longue vie, elle n’a jamais vécu une histoire passionnelle comme celle-ci. Donc, c’est un peu effrayant. Ensuite, elle a peur pour lui, elle se demande s’il ne va pas gâcher sa vie. Ce serait très différent, s’il s’agissait d’un homme mûr et d’une jeune fille… Malheureusement, cela ne ferait pas un pitch parce que c’est tellement courant, c’est tellement la norme. C’est fou, dans un scénario ou dans un roman, même si le sujet n’est pas la différence d’âge, cela paraît absolument banal. J’ai lu beaucoup de scénario où les personnages ont 40 ans, mais au casting, le choix de l’homme se porte sur un acteur qui a 20 ans de plus et cela n’est même pas évoqué. C’est comme si cela n’existait pas. C’est un beau résidu du patriarcat !

Et il est temps que ça change. Déjà si le cinéma et la littérature ont un temps d’avance sur la réalité, allons-y. Ce n’est pas film à message, mais cela peut décomplexer les hommes qui pourraient être attirés par des femmes plus âgées mais qui, à cause du regard de la société, n’osent pas se lancer, ne s’autorisent même pas à regarder les femmes plus âgées.

Il y a aussi l’envie de montrer que l’on peut être désirable quelque soit l’âge ? Je ne devrais même pas avoir à le dire. Cela me paraît tellement une évidence. Non seulement, on est désirable à n’importe quel âge, mais on est désirable avec n’importe quel physique, avec un bras en moins, défiguré ou obèse. On dit que l’amour rend aveugle. Je n’aime pas tellement cette expression. L’amour rend beau. Quelle que soit la personne qu’on en face de soi, quand on aime, on la trouve belle. Et d’ailleurs, quand on aime plus, même une personne qui est esthétiquement très belle, on se met à la trouver moche ! Ce qui est touchant dans le film, c’est que quand on tombe amoureux, on est toujours comme des adolescents ! C’est complètement vrai, je le crois. A 15 ans, il y a un élan plus spontané. Parfois, en vieillissant, on se regarde aimer, l’inquiétude peut naître. Cela dépend des personnalités. Certains sont de plus en plus sereins. Mais c’est vrai qu’une histoire d’amour est déstabilisante, quel que soit l’âge.

Comment avez-vous choisi Fanny Ardant pour le rôle de Shauna ? J’avais choisi Melvil Poupaud avant Fanny Ardant. Quand il a dit oui, je lui ai parlé de Fanny, il fallait que le couple fonctionne, qu’il y ait du désir du côté de l’acteur. Il était très excité à l’idée de rencontrer et de tourner avec elle. Quand j’ai rencontré Fanny, je suis allée la voir avec beaucoup d’envie, parce que c’est une grande actrice que j’ai toujours trouvé extrêmement juste même dans les pires films.

Je lui ai juste dit que je voulais la filmer âgée, je ne voulais mentir sur l’image, surexposer pour qu’on ne voit pas ses rides. Je voulais la filmer comme une femme de 70 ans. Et comme elle fait partie des rares actrices qui n’ont pas retouché leur visage, qui assume, elle m’a dit banco et m’a fait confiance. J’ai pu la filmer sans réserve, c’était très agréable. Elle s’est complètement abandonnée à moi. Si le film est réussi, c’est beaucoup grâce à cette confiance. Il a cette vérité et en même temps beaucoup de pudeur… Solveig voulait filmer les scènes d’amour un peu crûment. Elle voulait une femme âgée, nue dans les bras de cet homme, pour ne pas être hypocrite. Fanny est très pudique. Je me suis dit que si je la montrais nue à l’image, cela allait sortir le spectateur du film. On ne va pas voir une femme âgée toute nue, on va voir Fanny Ardant. J’ai trouvé un subterfuge dont je suis très heureuse, c’est de montrer des femmes nues dans un vestiaire avec toute la joie qui va avec, la sororité de ces femmes qui n’ont pas le regard pesant de la société sur elle, alors qu’elles ont des corps loin des clichés et des canons de beauté. Et moi, je les filme avec amour.

La réussite du film tient aussi à l'importance des seconds rôles, Cécile de France, Florence Leroy-Caille, Sharif Andoura... J’essaie sur tous mes films que les personnages secondaires ne le soient pas. Il faut qu’ils nourrissent l’histoire principale mais qu’en plus, l’histoire principale nourrisse la leur, que chaque second rôle ait une trajectoire. J’ai eu beaucoup de chance, quand les acteurs se sont rencontrés, le courant est passé immédiatement. A un moment, il y a un clin d’oeil à Annie Girardot… C’est un film de Claude Lelouch, Un homme qui me plaît avec Belmondo. Elle l’attend à la fin du film à l’aéroport, elle ne sait pas si il va arriver après l’histoire adultère qu’ils ont vécu ensemble. C’est clairement un hommage au romantisme de Lelouch et évidemment à la grandeur d’Annie Girardot. Comme Fanny Ardant, elle avait cette capacité à se jeter dans les rôles sans entrave, en étant profondément avec leurs personnages. Je trouve qu’il y a une filiation entre les deux. Et Fanny adore Annie Girardot. Dans la scène où Fanny attend dans le café, il y a la musique de Francis Lai, la même que dans le film de Lelouch. Fanny s’est amusé à refaire les mêmes gestes qu’Annie Girardot. On pense bien sûr à Mourir d’aimer... Un homme plus jeune qu’une femme. Mais dans Mourir d’aimer, il y a une double transgression, c’est une professeur et son élève. C’est ce qui suscite l’indignation au-delà de la différence d’âge. En plus, il était mineur, la transgression est triple.

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