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Chassol : "Les sons m'arrivent en disant le nom de la note, en s'annonçant"

Avec "Ludi", un album et un film autour de l'univers du jeu, Chassol poétise le monde, transforme les sons du quotidien en musique. Un projet à la fois exigeant et jouissif, intellectuel et tourné vers le plaisir.

Chassol, photo Flavien Prioreau.


Est-ce que vous voyez le monde comme une gigantesque partition ?

Une partition, cela suppose d'avoir été écrite, pensée. Je vois plein de choses qui s'entrechoquent, comme des cris. Bernie Krause a très bien décrit cela dans Le Grand Orchestre animal. Plutôt comme un grand orchestre.


Vous êtes en permanence à l'écoute des sons que produit le monde ?

Oui, je suis aux aguets. Je me tiens informé et j'ai de quoi enregistrer dès que je me déplace. C'est une habitude, ce n'est pas contraignant. Les choses qui vont m'intéresser me préviennent avant d'arriver en général. Donc, j'ai le temps de dégainer.


C'est une attention musicale aux sons ?

Les sons, mais aussi les situations. J'ai 44 ans. Je commence à connaître les situations où je vais avoir des sons intéressants. Et donc, j'amène de quoi enregistrer. Je me balade également avec un appareil photo qui filme. Je filme, j'enregistre un peu de tout et je classe très bien. J'ai des dossiers real life, animaux, conversations, sons concrets, sons industriels...


Comment présenteriez le concept d'ultrascore que vous avez forgé ?

C'est assez simple, c'est faire la musique d'un film avec les éléments sonores du film. C'est la mise en musique d'images mais avec les sons de cette image. Si je filme la circulation, on va entendre des klaxons, des insultes... Je vais relever la note du klaxon, par-dessus je vais l'enregistrer avec un instrument et je vais commencer à répéter les images pour créer une nouvelle mélodie. Je monte aussi les images pour pouvoir créer des sons, des nouveaux blocs de mélodies. Je trouve la hauteur de chaque note puis je construis des accords.


Vous dites que vous harmonisez le réel...

Je me sers de la science de l'harmonie. En musique, le rythme est horizontal et l'harmonie est verticale. On superpose des notes les unes au-dessus des autres pour faire des accords. On a 12 notes en musique occidentale et on fait des lego avec ces notes. Le réel, c'est ce qui se passe autour de nous. J'ai beaucoup exercé mon oreille. Les sons m'arrivent en disant le nom de la note, en s'annonçant. Je les prends et je les superpose.


Vous êtes à la fois metteur en scène et chef d'orchestre ?

Oui, je fais un peu réalisateur quand je pars filmer, je suis pianiste, je suis compositeur. Beaucoup de monde fait beaucoup de choses différentes aujourd'hui, on n'est plus juste un instrumentiste.


Pour l'album Ludi, vous vous êtes inspiré du livre Le jeu des perles de verre de Hermann Hesse. Qu'est-ce qui vous a intéressé dans ce texte qui tourne autour des règles et du jeu ?

Je suis un lecteur de Hesse depuis longtemps. Quand j'ai trouvé ce thème du jeu pour le nouvel album, le nouveau film, j'ai lu ce livre qui s'appelait au départ Exercices de jeux musicaux. C'est l'histoire d'un jeune homme qu'on suit depuis tout petit, qui est révélé par la musique et qui devient le maître du jeu des perles de verre, le "ludi magister". Il devient le maître d'un jeu qui n'est pratiqué que dans une certaine province pédagogique, où on ne fait que chercher. C'est un jeu qui peut paraître élitiste, mais ce n'est pas du tout ça, c'est un jeu qui se sert de toutes les valeurs humaines, spirituelles, qui va prendre telle notion, telle proverbe chinois pour le mélanger à un choral de Bach. C'est une espèce de jeu imaginaire qui mélange toutes les notions qu'on veut dans une espèce de grand lego.

Dans le livre, le héros est révélé par la musique, il arrive à comprendre ce jeu grâce à la musique. Et d'ailleurs, ce jeu, à la base, était un boulier dont se servait les académies de musique pour s'envoyer des combinaisons de phrases musicales. Tout dans ce livre est tourné vers les propriétés de la musique, ce que permet la musique, associer, soustraire, extrapoler. C'est vraiment un bouquin pour les musiciens.


Chassol, photo Flavien Prioreau.


En français, on dit jouer de la musique. Pour vous, la musique est un jeu ?

Oui. Tous les musiciens, les acteurs, les comédiens se vantent de ne jamais s'être arrêtés de jouer. Leur métier, c'est d'aller jouer. C'est fantastique. C'est prendre plein de paramètres, tel morceau que j'ai appris, tel doigté, telle partition, tel logiciel de musique, tel sample et mélanger tout ça pour arriver à faire la meilleure partie possible.


Comment s'est fait le choix des différents jeux, des chapitres du disque ?

J'ai pas mal lu des sociologues, notamment Roger Caillois qui a écrit Les Jeux et les Hommes. Il fait une classification : compétition, hasard, simulacre et vertige. Compétition et hasard, on voit immédiatement de quoi on parle. Simulacre, c'est jouer un rôle, le théâtre, le piano... Le vertige, c'est les enfants s'amusent à se faire tourner la tête par exemple. Pour illustrer ça, j'ai pris le rollercoaster, le parc d'attraction.

Avec la cour d'école, je savais que j'aurais toutes les classifications réunies, le foot, des jeux de main, des jeux d'adresse...

Pour les jeux vidéos, il y a le fait d'essayer de battre la machine dans une compétition un peu illusoire. Et puis, je savais qu'il y avait plein de sons, donc je suis allé au Japon, qui est un peu la maison mère du jeu vidéo.

Il y a aussi un match de basket, je voulais un sport, c'est un peu différent de la vraie compétition. On peut jouer au basket sans compter les points. J'ai choisi le basket parce que c'est celui que je trouve le plus beau, le plus pratique. En plus mon batteur est basketteur et m'a présenté à ses potes.

Et puis, à la fin, il y a le jeu de la phrase, une espèce de cadavre exquis où il y a les quatre catégories de jeux. On forme une phrase en ajoutant des mots à chaque tour. C'est un jeu de mémoire, c'est un jeu de compétition parce que celui qui se souvient de la phrase à la fin a gagné, c'est un jeu de hasard parce qu'on ne sait pas ce que chacun va dire, c'est un simulacre puisqu'on interprète les mots et la phrase qui grossit et c'est un jeu de vertige, parce que la phrase tourne, grandit jusqu'à devenir gargantuesque. Ce qui m'intéressait, c'est que quand quelqu'un ne sait pas ce que l'autre va dire, généralement, son voisin lui souffle pour faire une bonne partie, pour que la phrase puisse grossir. C'est un peu la thèse du film, la compétition ne sert pas à grand chose en général, particulièrement en art.



C'est une musique très savante, très érudite et en même temps, il y a beaucoup de plaisir, d'humour, c'est très jouissif. On n'est pas juste dans la performance...

J'essaie de mettre un blague toutes les trois secondes, comme Gérard Oury dans La Grande Vadrouille. J'ai l'impression qu'il y a plein d'humour, quand je le joue, je rigole tout le temps, c'est plein de pas de côté, de combinaisons qui cherchent le plaisir. Je me prends bien la tête pour les faire, j'essaie d'avancer dans mes connaissances, mes recherches, de faire quelque chose d'exigeant, mais j'essaie surtout de préparer une pièce que je vais avoir du plaisir à jouer.


Un autre paradoxe, c'est que le résultat est assez virtuose et en même temps, on sent que la recherche passe par du bidouillage, du bricolage...

Il y a de l'huile de coude. Peut-être que je ne suis pas très fort en prod et que ça se voit ! Pendant que je faisais le disque, j'avais l'image de Beaubourg en tête, le bâtiment de Renzo Piano. Il y a des oeuvres d'art qui laissent voir les coutures. Parfois, c'est apparent. J'aime bien que parfois on puisse voir combien de fois j'ai répété tel motif avant de l'harmoniser. J'aime bien montrer un peu la tuyauterie.


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