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Colette Fellous et le petit foulard de Marguerite Duras

En un court et sensible récit, Colette Fellous présente un magnifique portrait de Marguerite Duras.


Pour qui est, comme moi, nostalgique de son "Carnet nomade" sur France Culture, Colette Fellous, c'est avant tout une voix, une tendre attention au détail, une douceur teintée d'humour, un sens de l'observation sensible, un regard sur les êtres à la fois proche et toujours plein de finesse. Autant d'ingrédients que l'on retrouve dans le court et délicieux récit qu'elle consacre à Marguerite Duras, Le Petit Foulard de Marguerite D., chez Gallimard. Dès la première page, elle résume cette manière d'être au monde, infiniment littéraire : « J'aime toujours faire ça, revenir sur des moments modestes car à les déployer lentement on y voit se réveiller tant de formes et de couleurs, de la joie, des rires, des cris d'oiseaux sur la lande, un grand ciel, du sable, des feux et bien sûr un coeur qui bat le tambour. »


Le livre se situe au moment où elle vient rencontrer son amie qui vient de publier Emily L. Elle lui offre un foulard de soie au motif léopard, que l'écrivaine va porter très souvent. A partir de là, elle tresse les souvenirs pour un portrait admiratif et vivant. Des répétitions au théâtre avec Bulle Ogier à une rencontre filmée avec Jean-Luc Godard, en passant par la maison de l'amant à Sadec, les brumes normandes ou la baie vitrée de Neaulphe, Colette Fellous se promène dans les lieux et l'oeuvre de Duras.


D'une conversation à une lecture, elle dessine une sorcière extralucide, drôle et enthousiaste, avec ses sentences définitives et ses éclats de rires, sa gourmandise, ses errances, ses ivresses, une écrivaine qui invente la vie. « Même lorsqu'elle voit que ce n'est pas possible, elle fait en sorte qu'il existe cet impossible, elle dit qu'on se trompe, qu'on peut franchir tous les impossibles, qu'on ne sait pas ce qu'on sait. »


Car pour Duras, la possédée, les frontières n'existent pas, ni entre sa vie et ses livres, ni entre le visible et l'invisible. « La vie lui sert à écrire. Elle écrit sous la dictée d'une autre femme en elle, elle la suit, ne fait jamais semblant, quitte à tomber, à mourir, à se retrouver dans le coma, c'est sa loi, sa règle. »


Avec une intelligence foudroyante, Colette Fellous parvient à saisir une vérité dans un moment, une image, un instant apparemment anodins. Ainsi, décrivant une photo célèbre où Marguerite Duras et Yann Andréa, le troisième personnage du livre, se regardent à travers une fenêtre, elle écrit : « Une vitre les sépare. Ils rient, ils dansent, ils boivent, ils chantent Capri, c'est fini et La Vie en rose, Yann chante faux, elle veut lui apprendre à chanter juste, nous n'irons plus jamais où tu m'as dit je t'aime, c'est incroyable de chanter faux à ce point ! Ils se disputent, se séparent, reviennent, n'en peuvent plus, piquent des fou rires, et dire que c'était la ville de mon premier amour, ils ne comprennent pas la nature de leurs liens mais ils continuent, ils ne peuvent plus faire autrement, nous n'irons plus jamais plus jamais plus jamais. Une vitre les sépare mais ils restent présents l'un à l'autre, jusqu'au bout, ni heureux, ni malheureux. » En quelques lignes, tout est dit d'une relation tumultueuse. Quinze ans d'amour, de solitudes partagées et de tyrannie, dix lignes. Tout dans ce petit livre précieux est dans le même ton. Dans chaque mot, dans chaque phrase, Marguerite D. est là, présente comme le jour à Colette Fellous lui a offert ce foulard, dans un geste qui n'a rien d'anecdotique.


"Le Petit Foulard de Marguerite D.", de Colette Fellous. Editions Gallimard, 112 pages. 14 €.


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