David Foenkinos : "On vit sous la dictature du prétendu bonheur des autres"
Avec "Numéro Deux", David Foenkinos imagine le destin de l'enfant qui s'est retrouvé face à Daniel Radfcliffe dans le casting pour interpréter Harry Potter. Une réflexion sur le destin, l'échec et la survie.
David Foenkinos, photo Francesca Mantovani.
Comment avez-vous imaginé l’histoire de ce "Numéro Deux" ?
Je ne suis pas un spécialiste de Harry Potter, je ne suis pas un fan, je ne connaissais pas très bien. Un jour, après avoir vu un film, je suis allé sur la page Wikipedia. J’aime bien avoir des infos supplémentaires, des secrets de tournage… Je suis tombé sur une interview de la directrice de casting qui raconte qu’à l’époque, ils ont auditionné des centaines d’acteurs. L’enjeu était colossal, le livre devenait un phénomène, c’était un film à 100 millions de dollars et il fallait trouver l’acteur principal. Elle raconte qu’à la fin, ils n’étaient plus que deux et qu’ils ont hésité. Elle dit que Daniel Radcliffe a été choisi parce qu’il avait ce « petit quelque chose en plus ». J’ai immédiatement pensé à l’autre.
Il y a donc un petit garçon de 10 ans, qui pendant quelques semaines a dû rêver, espérer être une star de cinéma, avoir une vie incroyable. Et au dernier moment, il a été écarté. C’est le point de départ du livre, qui évoque plus généralement l’échec, le fait d’être numéro deux et comment se reconstruire.
On a des infos sur qui était le vrai numéro deux ?
Non, il y a un acteur américain qui a été pressenti. Mais J.K. Rowling voulait que ce soit un film 100 % britannique. Donc on n'a pas d'informations sur le fameux petit garçon qui a été face à Daniel Radcliffe. J’aurais pu faire un livre journalistique, mais j’ai voulu écrire un roman. C’est en grande partie fictif, hormis la première partie qui raconte l’histoire de J.K. Rowling, du casting, du tournage… Peut-être que le livre va sortir en Angleterre et qu’un jour, j’aurai la chance de le rencontrer.
Vous dites que vous n’êtes pas fan de Harry Potter. C’est quand même un univers qui vous a intéressé ?
C’est passionnant. Mon livre n’est pas sur l’univers de Harry Potter, mais l’histoire de J.K. Rowling est une aventure incroyablement romanesque qui ressemble à un conte de fées. Cette femme de 25 ans, désespérée, qui vit dans la plus grande précarité, cette femme battue qui a une existence de détresse va subitement être foudroyée par l’imagination et devenir l’auteur la plus lue au monde. Raconter son histoire est déjà passionnant. Au-delà, je suis quand même émerveillé par l’inventivité de cette femme.
L’histoire du tournage est également une épopée !
C’est une histoire géniale. Le producteur était un fils de... Personne ne croyait en lui. Et il se retrouve à détenir les droits du livre que tout le monde veut. Il y a quelque chose d’assez magique. C’est aussi un livre sur le destin qui bascule ou non du bon côté.
Que vous disent les fans de Harry Potter qui ont lu le livre ?
C’est très bienveillant. J’ai beaucoup travaillé pour que ce soit juste, cela a été relu par des spécialistes. C’est assez marrant, j’ai fait des interviews pour La Gazette du sorcier ou Wiki Harry, ça me change des médias traditionnels !
Pour revenir à l’histoire de Martin, cet enfant qui n'a pas été choisi, ce qui va être terrible, c’est que ce n’est pas un échec dont on peut se relever facilement parce que pendant 10 ans, il va vivre le succès de Harry Potter…
C’est ce qui m’excitait d’un point de vue romanesque. On vit tous des échecs, on vit tous des ratages, des choses qui ne se passent pas comme prévu. Mais lui va avoir en permanence face à lui le film de la vie qu’il aurait pu avoir. C’est effroyable. Depuis 20 ans, on ne peut pas sortir sans tomber sur Harry Potter, des affiches, des livres, des reportages, sur le film mais aussi les coulisses du film. C’est assez terrible. Cela questionne les chemins de vie. En permanence, on fait des choix. Mais on n’a pas le film de ce qu’on ne vit pas.
Il est poursuivi par cette histoire et n’arrive pas à l’affronter.
C’est la question du droit à l’oubli. Il aimerait vraiment passer à autre chose. Mais imaginez que vous avez votre échec qui vous saute au visage tout le temps, c’est difficile de penser à autre chose. C’est la partie un peu risible du livre, il essaie de vivre à l’abri de Harry Potter, mais c’est impossible de sortir avec une fille qui n’est pas en train de lire Harry Potter… Il va essayer d’aller travailler au Louvre pour se retrouver à l’abri du contemporain. C’est une quête pour surmonter son échec. Le livre permet de réfléchir à la vertu de l’échec. Parfois, on rate les choses pour pouvoir les réussir par la suite. Il va se rendre compte finalement, que c’est son destin et que cela a une valeur aussi.
En plus, sa vie réelle va peu à peu se rapprocher de celle de Harry Potter…
Il va avoir le sentiment que s’il n’a pas été choisi pour être Harry Potter, il est en train de le devenir dans la vie. Il y a un moment de confusion entre la fiction et la réalité. C’est assez symptomatique de notre époque où, en étant tout le temps soumis à la vie des autres avec les réseaux sociaux, on ne sait plus trop ce qu’on vit nous-mêmes, ce qu’on vit par procuration. Il va avoir le sentiment aussi que c’est une injustice, qu’il aurait dû être ce personnage.
On dit souvent que l’échec est utile, que cela permet d’avancer. Vous montrez bien que c’est facile à dire, mais qu'en réalité, c’est plus complexe…
J’adore cette phrase de Churchill qui dit que « le succès c’est d’aller d’échec en échec, sans perdre son enthousiasme ». Dans certains moments, cela fait partie du cheminement. Mais dans d’autres vies, c’est absolument insurmontable. Evidemment, je n’ai pas écrit un livre de développement personnel avec des méthodes, mais l’histoire d’un personnage qui cherche à s’échapper d’un souvenir douloureux.
Effectivement, on ne peut pas faire de généralité. Depuis que j’ai sorti ce livre, on me parle énormément d’histoires d’échecs, de ratages mais pas d’une manière anxiogène. Les gens me racontent comment ils ont été numéro deux, souvent aussi des histoires de fratrie.
Au fil de vos livres, on voit une question qui revient autour de la survie et la façon dont on peut se reconstruire pour avancer...
Je l’ai compris assez tardivement. Il y a sûrement une part d’inconscient. J’ai été très gravement malade à l’âge de 16 ans. Cela a changé ma vie. Après, j’ai été propulsé vers la sensibilité, l’émerveillement, la beauté. Je me suis mis à lire, à écrire. J’ai le sentiment d’avoir basculé dans une autre vie. Je n’étais pas dans un milieu culturel.
La délicatesse qui est l’histoire d’un deuil. Charlotte, Le Mystère Henri Pick ou Vers la beauté sont des livres très différents, mais c’est clairement leur point commun. Et là encore, je pars dans une histoire en me disant, c’est marrant, c’est l’histoire d’un casting et je me rends compte que cela questionne encore la reconstruction, la nécessité de se réinventer après une épreuve. Ce n’est pas voulu mais la plupart de mes livres tournent autour de cette obsession.
Sans dévoiler la fin, vous montrez aussi que le succès n’est pas toujours facile…
C’est une question de point de vue sur chaque situation. Celui qui est en échec va ruminer son échec, sans avoir la globalité de la situation. On peut se rendre compte que parfois être numéro un peut être compliqué. Evidemment, quand on parle de Daniel Radcliffe, on se doute bien que cela peut être étouffant d’être quelqu’un dont personne ne connaît le prénom et que tout le monde appelle Harry, quelqu’un qui ne peut plus sortir dans la rue depuis qu’il a 10 ans.
Il y a presque un côté politique. Vous montrez que la société de consommation, la société du spectacle abîment les plus faibles et particulièrement les enfants...
Quand on pose la question de l’échec ou de la réussite, on se rend compte qu’elle a été modifiée dans notre époque, surtout depuis l’arrivée de Facebook. Il y a quelque chose de nouveau qui s’est introduit, c’est le poison de la comparaison. On vit sous la dictature du prétendu bonheur des autres. Finalement, la difficulté n’est pas ce qu’on vit, mais de se comparer à la vie des autres.
C’est accru et notamment pour les enfants. A l’âge où on se construit, où on crée un équilibre par rapport à ce qu’on voudrait être, être en permanence perfusé à la vie des autres peut être extrêmement déstabilisant. Cela a accentué une certaine forme de frustration.
La directrice de casting disait que Radcliffe avait un petit quelque chose en plus. Et vous, c’est quoi le petit quelque chose qui a fait votre succès ?
Je ne sais pas du tout. J’ai écrit pendant 10 ans des livres plutôt confidentiels, chez Gallimard, j’avais des prix mais assez peu de lecteurs. Je ne sais pas du tout ce qu’il y a eu en plus avec La Délicatesse. Un journaliste avait écrit à l’époque que ce livre avait toutes les recettes du succès. Comme s’il y avait des recettes !
A l’époque, je vivais de manière assez précaire, si j’avais eu les recettes, je les aurais utilisées avant. C’est difficile à dire. J’alterne les moments de solitude et les moments de rencontre avec les lecteurs. Les gens qui viennent me voir se reconnaissent dans des livres qui sont à la fois des histoires romanesques, loin de leur quotidien et paradoxalement qui évoquent des sujets en écho avec des choses intimes. C’est particulièrement le cas avec ce livre.
Vous avez été finaliste du Goncourt que vous n’aviez pas eu. Comment l’aviez-vous vécu à l’époque ?
J’ai connu d’autres échecs avant ce moment-là, des salons du livre pendant des dizaines d’années où les gens s’arrêtaient pour me demander où étaient les toilettes.
C’est assez marrant cette époque. Je sors ce livre Charlotte, sur un sujet douloureux, je me dis que personne ne va me suivre. Le livre a un accueil extraordinaire. A la rentrée 2014, c’est le livre préféré des libraires d’après le sondage Livre Hebdo. Il est rapidement numéro un des ventes. Je me retrouve en finale du Goncourt et du Renaudot. C’est inimaginable, absolument magique. Peut-être aussi parce que j’ai été malade, je vois toujours le côté positif. C’était merveilleux et il se trouve que je n’ai pas eu le Goncourt, mais le Renaudot.
Je n’en revenais d’un tel accueil sur un livre très particulier. Quand je suis arrivé chez Drouant pour recevoir le Renaudot, tous les journalistes se sont jetés sur moi pour me demander si j’étais déçu.
En plus, le fait de ne pas avoir eu le Goncourt m’a permis de rester en lice pour le Goncourt des lycéens que j’ai eu. C’était absolument magique. Je rêvais de ce prix pour ce livre-là. Maintenant il est étudié à l’école et ça me touche vraiment que les jeunes découvrent qui était Charlotte Salomon, cette femme de courage et de culture.
Dans votre livre, on croise l’un des écrivains qui a échoué au Goncourt face à Modiano en 1978 et qui a changé de métier…
C’est la partie un peu amusante du livre. Quand il est au Louvre, il rencontre toute l’armée des numéros deux. Et il va aussi se prendre de sympathie pour le tableau qui est juste à côté de La Joconde, que j’invite les lecteurs à aller voir.
"Numéro Deux", de David Foenkinos. Editions Gallimard, 240 pages. 19,50 €.
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