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Jean-Jacques Milteau : "Dans la country, les mélodies sont simples et accrocheuses"

Avec son dernier album "Lost Highway", l'harmoniciste de blues Jean-Jacques Milteau propose une variation très personnelle autour de la musique country.

Jean-Jacques Milteau, photo Christophe Baixas.


On vous connaît en tant que musicien de blues, comment est venue l’envie de jouer de la country ?

C’est ce que les Américains appellent le white man blues, le blues des blancs. C’est une coïncidence, je travaillais sur une adaptation pour le théâtre des Raisins de la colère de John Steinbeck. J’ai recherché un certain nombre de titres qui pouvaient coller, j’ai réécouté plein de morceaux de musique country et j’ai trouvé que c’était intéressant.

Comme dans le blues, il y a quelque chose d’évident dans les mélodies. Quand on écoute un morceau de country, il n’y a pas de circonvolutions. Les mélodies sont simples et accrocheuses. Cela vient souvent d’éléments folkloriques anglosaxons, notamment irlandais.


À partir de là, comment avez-vous travaillé à la recherche et à la sélection des morceaux de l’album "Lost Highway" ?

On s’est entretenu avec mon camarade chanteur Carlton Moody qui vient des Appalaches. On a parlé de Hank Williams, qui est une sorte de carrefour entre la country, le rock’n’roll et le blues d’une certaine manière. Et on est parti de chansons de Hank Williams, d’où Lost Highway, qui n’est pas un titre de lui, mais qu’il a popularisé.


En France, on connaît plus Johnny Cash. Qu’est-ce qui vous séduit chez Hank Williams ?

Le côté légendaire ! C’est un peu difficile à imaginer la vie de ce genre d’oiseau, en part en regardant le film de Clint Eastwood, Honkytonk Man. C’est assez fascinant, cette saga, ce mec qui meurt dans sa voiture un 1er janvier. Il joue jusqu’à l’épuisement. Il vendait énormément de disques à l’époque des 78 tours et des juke-boxes. Il tournait énormément. Aux États-Unis, les artistes tournent beaucoup. Pour ça, ils sont obligés de prendre des pilules et il en est mort. En plus, il était tuberculeux, il avait très peu de chances de s’en sortir.

Quand je parlais d’évidence, la chanson I’m So Lonesome, I Could Cry, c’est une valse, il y a quatre ou cinq notes dans la mélodie, mais c’est tellement évident que c’est la chanson la plus triste que j’ai jamais entendue.


Pour vous qui venez du blues, ce glissement vers la country est facile ?

Je crois que j’aurais du mal à me changer personnellement. Je joue un peu comme je sais faire. J’ai introduit pas mal de blues dans l’affaire et cela pousse mes camarades à aller dans ce sens-là.

Finalement, il n’y a pas énormément de différences. C’est plus dans la forme des morceaux. Le blues est plus lancinant, tourne sur quelque chose de plus proche de la transe, de plus obsessionnel. C’est lié au gospel noir, notamment.


En France, la country a une image un peu kitsch. Cela vous a fait peur ?

Je ne me suis pas vraiment posé la question. Ça avait une image kitsch, je ne sais pas si les plus jeunes générations ont une image de la musique country en général. Effectivement, quand les gens parlent de country, ils s’imaginent des gens qui font de la line dance. Mais quand ils sont dans une salle et qu’ils écoutent de la country, ils adorent ça. Le tout, c’est de passer le cap. Si le programmateur ose un artiste qui fait de la country, en restant à ce carrefour entre la musique blanche et la musique noire, cela fonctionne.


C’est aussi l’une des bases qui a donné le rock…

Oui bien sûr ! Sam Philips, qui était le propriétaire des studios Sun à Memphis, enregistrait des artistes de blues. Longtemps, il disait si je trouvais un blanc qui chante comme ça, je ferai fortune. Elvis a frappé à sa porte, mais il n’a pas fait fortune.


La musique symbolise l’Amérique avec laquelle les Français et les Européens ont un rapport ambivalent. Et vous ?

Le même ! J’y suis allé plusieurs fois, pour jouer, pour enregistrer, mais je n’ai pas envie d’y habiter. Malheureusement, j’ai peur que l’Europe rattrape un peu les États-Unis sur certains plans qui ne sont pas forcément les meilleurs. C’est un pays d’une extrême violence sociale et humaine. Ce n’est pas enviable, ce n’est pas le type de civilisation auquel il faut aspirer.


Et artistiquement ?

C’est la Mecque ! Il y a énormément d’expressions par le nombre et les moyens de travailler qui sont donnés aux gens qui créent. Pour les gens de ma génération, entre les années 1950 et 1990, il s’est passé un nombre de choses considérables en musique et essentiellement dans le monde anglo-saxon et aux États-Unis.


L’album s’appelle "Lost Highway". Vous aimez l’idée de tailler la route ?

Je fais un métier de déplacement. Quand je regarde en arrière, on a joué dans une soixantaine de pays. On va au-devant des gens. Cela m’a plu pendant une bonne partie de ma vie, même si maintenant, j’en ai un peu marre.


La photo de couverture du disque est de vous. Que raconte cette route ?

C’est une photo qui vient du Nevada. Elle parle d’elle-même. Il n’y a pas de fin. L’horizon, c’est une première ligne. Mais il y a encore plein de choses derrière. Ce qui est intéressant, c’est ce qu’il y a avant et ce qu’il y a après. L’intérêt de la photo par rapport à la vidéo, c’est que cela ne raconte pas d’histoire, c’est vous qui vous la racontez. On retrouve cela dans la musique. De plus en plus, les auditeurs sont aussi dans la vidéo et l’image. Je ne suis pas très partant pour ce genre de chose, cela nous prive d’un élément de la musique, qui est personnel.


Cette idée de tailler la route, c’est aussi lié au choix de votre instrument. C’est plus facile avec un harmonica qu’avec une contrebasse…

Je confirme, même si ça sonne dans les aéroports, on n’est pas obligé d’acheter une place de plus dans l’avion. Je crois que c’est parti de là au départ, le transport et la maniabilité. Je m’étais fait piquer ma guitare, alors que je dormais dehors en partant en Angleterre. Et il me restait l’harmonica au fond de ma poche…


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