Marie Nimier : « Je me suis accrochée à l'écriture, cela a été ma bouée de sauvetage »
Alice, la trentaine, s’installe dans une ville inconnue pour consigner les souvenirs liés à son frère Mika, récemment disparu. Un frère protecteur et étrange, dont elle va devoir faire le deuil pour exister. Avec "Petite soeur", Marie Nimier livre un roman sensible sur la fraternité.
Comment avez-vous imaginé ce personnage d’Alice, cette fausse petite sœur ?
La première chose, c’était de parler d’un rapport entre frère et sœur. Au début, je ne savais pas qui allait raconter l’histoire. C’est parti sur l’idée de creuser cette relation.
Ensuite, est arrivée cette histoire d’inversion, le petit qui devient le grand et la grande qui devient la petite.
Après, avec ces éléments, s’est construit ce personnage de sœur fragile, qui n’avait pas vraiment envie de grandir et de ce petit frère qui prend sa place finalement.
D’emblée, on sait que le frère est mort. Cette fracture s’est imposée pour parler de cette relation ?
Dans une première version texte, le frère avait disparu. On savait qu’on ne pouvait pas le voir, qu’on n’allait pas le rencontrer. Finalement, je suis arrivée à une décision plus radicale. Cela déplace le sujet du livre. S’ajoute à l’histoire de l’inversion, l’histoire du deuil.
Pour faire ce deuil, elle se réfugie dans un appartement qu’on lui prête. En permanence, depuis toujours, elle a du mal à trouver sa place…
C’est exactement ça. Au début, il y a un déplacement entre la grande sœur et le petit frère. Là, il y a encore un deuxième déplacement, qui lui permettra de trouver sa place. Ce déplacement sera riche en rencontres, en découvertes. Peut-être que c’est la mort du frère qui lui permet enfin de trouver sa place.
Elle est totalement inadaptée…
Oui, elle a quelque chose de charmant et de décalé.
Cette relation est très étrange. Ce frère est à la fois protecteur et étouffant…
C’est ce que j’ai cherché à faire : changer son image au fil de l’écriture. Au départ, il peut paraître tellement au service de cette sœur, en lui apprenant à écrire, en faisant ses lacets à sa place, en l’accompagnant à l’école.
Petit à petit, imperceptiblement, son visage change. On doute toujours un peu. Est-ce que c’est nous qui projetons quelque chose sur lui ? Par exemple, au bord de la falaise, quelle est la vérité ? Est-ce qu’il l’a poussée ? Est-ce qu’il n’a pas eu raison de la bousculer un peu pour qu’elle se réveille ? On ne sait pas sur quel pied danser…
Il s’appelle Mika, c’est une pierre comme une sorte de miroir avec plusieurs lamelles qui se superposent et qu’on découvre petit à petit.
Tous les prénoms sont très importants. L’héroïne s’appelle Alice. Quel lien faites-vous avec le roman de Lewis Carroll ?
Vraiment, le lien est très simple, très clair. Alice au pays des merveilles, c’est l’endroit du rêve, du conte et aussi de la cruauté. Il y a beaucoup de rencontres assez douloureuses pour cette petite fille curieuse. Il y a aussi une scène qui me plaît beaucoup, c’est celle avec les bouteilles où il est écrit : « Buvez moi ». On boit, on devient tout petit, on en boit une autre, on devient très grand… Ce jeu sur les tailles m’attirait. Je me suis laissée faire et je l’ai appelée Alice.
En plus, à l’intérieur, il y a le mot lisse. Avec cette petite fille, il y a quelque chose de très doux, de très lisse, elle est ralentie, elle a une poésie, une façon de voir les mots comme d’autres ne les voient pas. J’ai l’impression qu’elle pourrait restée assise tout un après-midi à rêver ou à regarder des mots passer devant elle.
Dans le livre, il y a plein de passages souterrains…
C’est le terrier d’Alice ! Il y a plein de liens qui ne sont pas explicites. Il y a plein de rivières souterraines. C’est pas seulement dans ce livre, mais là c’est particulièrement présent.
Pour elle, le deuil va passer par l’écriture. Vous aussi, cela vous a aidé ?
Moi, cela m’a servi à survivre. C’est encore plus grave ! Pendant longtemps, si je n’avais pas eu l’écriture chaque jour, pour me donner envie de continuer dans la vie, je pense que je ne serais plus de ce monde. Aussi bien l’écriture que la lecture d’ailleurs. Je me suis accrochée à ça, cela a été ma bouée de sauvetage.
Depuis que j’ai eu des enfants, c’est différent. En mettant des enfants au monde, la question se déplace. Cela veut dire qu’on a accepté de vivre.
Alice a beaucoup de mal à se mettre à écrire. C’est quelque chose que vous connaissez ?
Non, j’aime beaucoup quand j’ai du temps pour écrire, que je peux me réveiller, prendre un petit-déjeuner et me mettre à ma table, c’est le grand bonheur. Je n’ai aucune facilité à écrire, mais je n’ai pas de mal à travailler.
Marie Nimier, photo Francesca Mantovani.
Pour elle, ce qui est difficile, ce n'est pas d'écrire, c’est surtout de commencer, le grand saut…
Par quoi commencer ? Elle a la chance d’avoir cette grand-mère formidable qui la suit. Sans elle comme exemple, comme tutrice, elle n’aurait pas réussi à franchir ce pas.
Elle la pousse mais positivement, c’est le versant positif du frère ?
C’est juste. Elle a aussi un rapport particulier aux mots et à l’écriture. Elle est traductrice, elle est américaine, elle a l’habitude de travailler avec les mots qu’elle voit un peu différemment.
Ce rapport aux mots est très important dans ce livre…
Ils sont au centre, ce sont des personnages très importants. Ils sont au premier plan, toujours en train d’être questionnés, sans pour autant travailler les jeux de mots. C’est plutôt la profondeur des mots, leurs double-sens, les ricochets qui m’intéressent.
"Petite soeur", de Marie Nimier. Editions Gallimard, 240 pages. 19 €.
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