Michel Pastoureau prend le taureau par les cornes
Après des livres consacrés à l'ours, au cochon ou au loup, l'historien des symboles Michel Pastoureau publie un "Le taureau, une histoire culturelle" au Seuil.
Chaque nouvelle parution de Michel Pastoureau est un bonheur. Historien des symboles et des représentations culturelles, il a publié plusieurs livres sur l’histoire de couleurs, des blasons ou des animaux. Son dernier opus, comme toujours richement illustré, Le taureau, une histoire culturelle, garde le cap avec un texte à l’érudition généreuse, passant avec gourmandise de l’histoire de l’art aux habitudes agricoles, de l’archéologie aux questions spirituelles.
Depuis les premières représentations des aurochs dans la grotte pariétale, Michel Pastoureau parcourt une longue histoire qui unit les hommes à celui que Buffon qualifiait de « plus sauvage des animaux domestiques. » Sa domestication, environ 8 000 ans avant notre ère, et l’emploi de son incroyable énergie pour les labours sont d’ailleurs fondamentaux dans la naissance de l’agriculture dès le Néolithique, la plus grande révolution de l'histoire humaine.
Il semble que le taureau soit le plus ancien animal que les hommes ont assimilé à une divinité. Preuve de cette place primordiale, le A, la première lettre de l’alphabet représente une tête de taureau inversée.
Souvent symbole de fécondité, de puissance, de puissance, de prospérité, il apparaît dans de nombreuses mythologies, particulièrement en Grèce et dans de nombreux rituels, notamment de passage. Le Minotaure, Apis, le veau d’or ou le culte de Mithra... Le taureau est omniprésent dans de nombreux récits fondateurs antiques.
Cela lui vaudra une période de mise à l’écart quand le christianisme s’impose. L’animal païen n’est pas apprécié par les pères de l’Eglise, comme d’ailleurs la plupart des animaux cornus à l'image du Diable. Au fougueux taureau, ils préfèrent le paisible bœuf castré, qui figure d’ailleurs dans la crèche aux côtés de l'âne et de l’enfant Jésus.
Avec la Renaissance, le taureau retrouve une place de choix dans l’imaginaire. Les archéologues mettent au jour le fameux Taureau Farnèse près des thermes de Caracalla à Rome, le taureau est l’emblème des puissants Borgia... Malgré ce retour, il n’aura qu’une place limitée quelques siècles plus tard dans L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Il n’a pas droit à une notice principale, mais seulement à un renvoi. Pour le trouver, il faut aller lire les notices consacrées au bœuf et à la vache. Chez Buffon, c'est encore pire...
Que reste-t-il aujourd’hui de cette longue histoire ? L’auroch a disparu, tout comme les sacrifices... Mais le taureau demeure le plus impressionnant des animaux domestiques, la star des comices agricoles. Malgré l’insémination artificielle, le taureau est toujours l’image de la fureur et de la puissance sexuelle. La vache en revanche, que l’on consomme allègrement sous l’appellation "viande de bœuf" et dont le lait a longtemps été moins bu que celui de la chèvre ou de la brebis, est plus dépréciée. Vacherie, peau de vache, mort aux vaches... Les expressions la concernant sont peu flatteuses.
Reste la question de la tauromachie et de ses origines. Le dernier chapitre sur la corrida ne devrait pas plaire aux aficionados. En effet, n'en déplaise à Picasso, Montherlant et les félibres, malgré la présence ancienne de mythologies et de traditions liées au taureau en Orient et dans le bassin méditerranéen, il est absolument impossible, d’un point de vue historique, d’établir une continuité entre ces pratiques anciennes et la corrida moderne.
"Le taureau, une histoire culturelle", de Michel Pastoureau. Editions du Seuil, 19,90 €.
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Les illustrations ne sont pas issues du livre, les photos ont été prises lors de l'exposition Picasso Dominguin en 2018 au musée des Cultures taurines, Nîmes ; Khaemouaset en 2017 au musée départemental de l'Arles antique, Arles ; Damien Hirst en 2017 à la Punta della dogana, Venise ; Goya en 2019 au musée des Cultures taurines, Nîmes ; Claude Viallat, en 2014 au musée Fabre, Montpellier.
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