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Nîmes : le visage ou le temps de l'autre à Carré d'art

Le musée d'art contemporain Carré d'art à Nîmes propose une exposition autour du visage.

L’exposition Nairy Baghramian était en caisse à Berlin, prête à être expédiée à Nîmes quand est arrivée la crise sanitaire. Comme d'autres, le projet est reporté à l'an prochain. Confiné à Paris, le conservateur du musée Jean-Marc Prévost a réagi très vite, en lisant un texte du philosophe Emmanuel Lévinas correspondant au moment. Avec la question du visage, se pose celle de la relation à l’autre dans une période où chacun se masque, se protège, se méfie. Cela dépasse largement la question du portrait, pour interroger ce qui fait l'homme, être social qui n'existe que grâce à l'existence de l'autre, grâce au visage de l'autre grâce auquel il entre en contact avec un semblable différent et unique. « La meilleure manière de rencontrer autrui, c’est de ne pas même remarquer la couleur de ses yeux ! Quand on observe la couleur des yeux, on n’est pas en relation sociale avec autrui. La relation avec le visage peut certes être dominée par la perception, mais ce qui est spécifiquement visage, c’est ce qui ne s’y réduit pas », écrit le philosophe.

À partir d’œuvres du fonds et quelques vidéos prêtées par les collectionneurs, l’exposition “Des visages – Le temps de l’autre” montre une pluralité de personnalités, mais aussi de regard sur l’être humain. Le visage peut montrer des choses bien différentes et le tête-à-tête est souvent bouleversant dans cette présentation sensible et intelligente… L’Allemand Thomas Ruff regarde frontalement, dans la tradition de la photo objective, sans aucune psychologie. Il photographie un visage comme une machine de photomaton, comme Hans et Hilla Becher photographient des usines ou châteaux d’eau. Les portraits de familles aristocratiques romaines dans leurs palais par Patrick Faigenbaum montrent autant une génération qu’une généalogie et la fin d’un monde à venir. Le passé, le présent et l'avenir réunis comme dans un film de Luchino Visconti.

Suzanne Lafont reste plus mystérieuse. Ses images sont énigmatiques, la beauté et la complexité des visages semblent saisies dans un instant suspendu, livrent une bribe d'une narration incomplète. En regard, les vidéos du duo néerlandais De Rijke De Rooij célèbrent les trognes de junkies, dans une double référence à la peinture flamande et aux Screen test d’Andy Warhol.

L'exposition se poursuit de façon plus politique avec une salle sur les visages des invisibles, les migrants à Tanger auxquels s’intéresse Yto Barrada, les victimes de la désindustrialisation et de la pollution des aciéries dont font partie les proches de LaToya Ruby Frazier, les victimes des guerres orientales dont Mounira Al Sohl brode les histoires ou celles des massacres de Srebrenica dont Taryn Simon ravive la mémoire. Walid Raad ressuscite lui aussi une mémoire, celle d'un Liban pacifique d'avant les affrontements fratricides.

Andres Serrano photographie un sans-abri comme un peintre montrait jadis la grandeur de la noblesse et Gillian Wearing, Turner Prize en 1997, filme avec Boy Time l’interminable attente d'adolescents, avec une vidéo géniale montrant dans les mimiques et dans les mouvements du corps à la fois l'impatience et l'ennui. Au cœur de la pièce, une œuvre récemment acquise par le musée : la jeune artiste américaine Martine Syms présente en vidéo un court autoportrait, comme les vidéos gif postées sur les réseaux sociaux. Après le meurtre d’un jeune noir à Ferguson, elle se couvre le visage de lait, à la manière des manifestants qui essaient d’éviter les brûlures des bombes lacrymogènes, sur écran posé à plat comme sur un autel. L’image est à la fois fascinante et d’une justesse bouleversante. Le lait coule comme des larmes, mais la vidéo n'est pas larmoyante, elle célèbre au contraire la dignité. Black lives matter !

Le visage peut raconter toute une vie, comme celui de cette femme turque que Sophie Calle filme dans Voir la mer. Il peut servir à raviver une mémoire chez Christian Boltanski ou livrer les bribes d’une histoire énigmatique comme le fait Thomas Schütte avec une spectaculaire série d’aquarelles, And Now : A Song. Il peut aussi exprimer la joie ou une forme de folie douce, avec Ivan Argote qui demande aux passants, dans un ascenseur du métro de lui chanter “Joyeux anniversaire”.

Mais le visage est aussi porteur d'un sens, que le masque peut venir troubler, effacer, métamorphoser, pas seulement protéger contre les virus. Pour jouer comme le font les clowns filmés par Julien Bismuth, pour un petit théâtre animalier et révolutionnaire chez Annette Messager ou pour questionner l’identité, le genre avec la série I don’t livre here anymore d’Ugo Rondinone.

Jusqu'au 27 septembre. Mardi au dimanche, 10 h-18 h. Visites guidées à 15 h et 16 h 30 en juillet et en août. Carré d'art, place de la Maison-Carrée, Nîmes. 5 €, 3 €. 04 66 76 35 70.


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