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Pauline Clavière : "On n’en a jamais réellement fini avec la prison"

Après "Laissez-nous la nuit", qui racontait l'emprisonnement de Max, Pauline Clavière retrouve son personnage et élargit son regard avec "Les Paradis Gagnés". Un livre choral et désenchanté.

L'écrivaine Pauline Clavière. Photo JF Paga.


Depuis la parution de Laissez-nous la nuit, votre vie a basculé vers la littérature ?

Je continue sur Canal+, mais ça a tout changé. Cela m’a autorisée à recommencer ! Je crois que c’est pour cela que tout de suite après, j’ai écrit ce second livre. J’avais besoin d’ancrer ces personnages, de continuer à pouvoir dialoguer avec eux. C’est un vrai virage… Depuis deux ans, dans l’émission de Clique de Mouloud Achour, j’ai une chronique Playlivre où je propose aux invités des livres qui leur correspondent, leur ressemblent, rappellent leur parcours.


Après la parution du premier livre, raconter la sortie de prison de Max s’est imposé immédiatement ? Je n’avais pas du tout envie d’abandonner les personnages, j’avais le sentiment de les avoir laissés en suspens. Ce n’était pas possible, il fallait que je leur donne un destin. Très vite, j’ai recommencé à écrire et cela s’est étendu avec de nouveaux personnages, comme le directeur de prison, les familles, ceux qui gravitent autour…


On voit que les personnes qui sortent de prison ne sont pas du tout armées pour affronter l’extérieur… Et Max encore moins que les autres, parce qu’il est très loin des truands qu’il a fréquentés… Il était inadapté en prison, il l’est en dehors. Il est toujours un peu flottant. A la sortie, la prison, même quittée, s’incarne à son tour dans les êtres qui l’ont traversée. Il y a un effet physique, biologique même de l’enfermement. Comme un virus, cela va marquer le corps de l’intérieur, modifier la perception du monde, la façon d’être avec les autres. Cela a des répercussions bien au-delà des angoisses nocturnes.

On n’en a jamais réellement fini avec la prison, quand on est passé par cette case-là. Cela crée entre mes personnages un lien, une mémoire collective, partagée. Même si leurs chemins se séparent, subsiste cette présence qui continue de les entraver. Selon mes personnages, cela se fait de façon différente. Tous sont impactés, tous sont en quête d’autre chose, de liberté, de soin, de retrouvaille, d’amour… Mais cette angoisse subsiste.


On a l’impression que la prison est plus le problème que la solution, elle abîme tout le monde, les prisonniers bien sûr, mais aussi les proches, les personnels pénitentiaires, les policiers… C’est pour cela que le personnage de Michel Vigneaud, le directeur de la prison, m’est venu. Même à ce niveau-là, c’est un univers toxique, contre-nature, violent, inhumain. C’est ingérable même pour ceux qui sont de l’autre côté. Personne ne peut rester hermétique. Il n’y a pas de frontière. Le malaise, la violence, la peur circulent entre les êtres, quel que soit le côté des barreaux derrière lequel ils se trouvent.


Dans le livre, il est question d’une mission parlementaire pour réfléchir à la question carcérale. Mais on a l’impression que c’est impossible à réformer… C’est ma crainte. Tous ces passages sont vrais. Je suis allée à l’assemblée avec celui qui a inspiré Max. Cela paraît très compliqué à réformer en effet, j’ai l’impression qu’on va encore construire d’autres places de prison alors que ça fait des années qu’on sait que cela pourrait être une expérience différente, certes de privation, mais qui permette aussi de se rééduquer. On a des exemples de pays plus vertueux. On paye très cher le fait que la violence engendre de la violence et que la prison crée de la délinquance. Plus encore que la réflexion politique, ce qui m’intéressait, c’était le sort de ces personnages. Que deviennent ces êtres ? A quel point, c’est quelque chose dans une vie, dont on ne se remet pas ?


Le livre a pris une forme plus chorale par rapport au premier... Je suis rentrée en prison par un seul personnage, par ses yeux. Je voulais que le lecteur ait le même prisme que moi. Petit à petit, le spectre s’est élargi avec d’autres. Cela m’a permis d’avoir une vue d’ensemble, de mieux les connaître. Je voulais que le lecteur ait accès à tous les personnages, à toutes leurs problématiques, tous les possibles.


Dans l’écriture, vous êtes plus directe, moins rêveuse… Parfois même proche du polar. Il y a l’exigence de tenir un livre choral, je suis allée plus droit au but. L’intrigue primait. Et puis, il fallait se décentrer du personnage de Max, qui avait été mon seul point de vue sur le monde. En prenant du recul, on prend de l’air. Le côté rêveur, la mélancolie étaient liés à l’enfermement. Ce livre est un livre d’action, de reconquête, de lutte.


Dans le premier livre, la colère était brute. Là, on a l’impression d’une forme de désenchantement… Ce n’est pas faux. Dans le premier, il y a le choc de la chute, la sidération. Ici, il s’agit plus d’être confronté à des choses toutes réelles, palpables, qui font pleinement partie du monde. On aurait pu croire que cela restait concentré, une exception.

En retrouvant le monde, on voit que cela déborde, il y a des exceptions partout et la souffrance n’a de cesse de se répandre. Elle est très difficile à contenir. Qu’il s’agisse des femmes, des migrants qui débarquent sans savoir où aller, cela se retrouve partout et en particulier dans une grande ville comme Paris.


C’est une histoire que vous allez continuer à développer ? J’ai commencé à écrire autre chose, mais je n’exclue pas d’y revenir. Et même, je pense que j’en aurai envie. Ils existent totalement pour moi, j’aurai envie de les retrouver, je suis curieuse de la suite de leurs destins. Ce sont comme des camarades, des amis, ils font partie de moi.


"Les Paradis Gagnés", de Pauline Clavière. Editions Grasset, 400 pages. 22 €.




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