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Sérignan : la mémoire en filigrane d'Anne et Patrick Poirier

Fascinante exposition d'Anne et Patrick Poirier au Musée régional d'art contemporain de Sérignan, dans l'Hérault. Incontournable !

Anne et Patrick Poirier sont des archéologues, mais ils ne cherchent pas des ruines, ils cherchent la poésie qu'elles cachent, celle qui traversent les siècles à travers les ruines. La matière est fugace, incertaine, parfois imperceptible. L'oeuvre est immense, puissante. L'exposition "La mémoire en filigrane" qu'ils présentent au Mrac de Sérignan, dans l'Hérault, est une plongée fascinante, un voyage dans le temps, non pas dans le passé, mais dans un présent tel qu'il est poétisé par le passé.

Dès l'entrée, dans la pénombre, le visiteur découvre Domus Aurea et La Voie des ruines noires, des oeuvres de 1976. Durant leur séjour à la Villa Médicis, les artistes ont découvert la civilisation romaine, déambulant à travers les ruines pour les transformer en oeuvres contemporaines. D'emblée, ils fixent un vocabulaire inédit, mélange d'histoire et de fiction, de réinterprétation et d'appropriation. Le point de départ de ces oeuvres est l'ancien palais de Néron, alors fermé au public. Ils font remonter à la surface une mémoire engloutie avec des reconstitutions rêvées, portant en elles la disparition à l'oeuvre. « Les travaux qui ont résulté de cette découverte sont noirs, catastrophiques, métaphores de l’oubli, de la destruction par le feu et la violence », explique le couple.

Ce palais, autrefois fastueux, donne naissance à une maquette en fusain, de 14 mètres de long et aux papiers froissés de L'incendie de la grande bibliothèque. Les empreintes se mélangent aux feuilles d'or, le précieux côtoie la cendre invitant le visiteur à plonger dans un univers à la fois sombre et romantique, à méditer sur une mémoire dispersée, où la trace, l'oubli, l'invention se troublent mutuellement. L'émerveillement est total...

« Le marbre a créé Rome. Il contient aussi la mémoire des hommes », selon Giuseppe Penone. Les Poirier pourraient reprendre à leur compte cette pensée. La pierre des Hermès des jardins de la Villa Médicis est métamorphosée en fragiles statues de papier Japon, moulées sur les originaux. Cette peau délicate n'a pas la solidité immarcescibles des silhouettes romaines, mais elle contient la vie, avec ses déchirures, ses rides, ses cicatrices. En vis à vis, des vitrines donnent à voir le contexte des originaux, mais elles sont accompagnées de feuilles et de fleurs séchées, comme des rappels du temps qui passe, qui transforme la vie en poussière sous le regard admiratif du temps présent.

Et le présent est cruel pour qui aime méditer dans ces vestiges. Partant pour Selinunte en Sicile, ils découvrent un site archéologique envahi par les touristes. Ne pouvant travailler comme ils le souhaiteraient sans doute, Anne et Patrick Poirier font poser les visiteurs pour une série de photos pleine d'humour, comme pourrait le faire Martin Parr.

Au centre de l'exposition, la présentation de l'immense Ostia Antica, jamais exposée depuis des décennies est éblouissante. Cette première maquette monumentale de 1974 en terre cuite n'est pas une reproduction visant à l'absolue fidélité, elle est faite de mémoire, elle est subjective, comme un squelette architectural témoignant de la gloire engloutie de l'ancien port de Rome. On déambule avec eux dans cette Atlantide abandonnée, métaphore du passage du temps, de la fragilité de toute existence. Le choc est à couper le souffle, non seulement par la taille de l'oeuvre, mais aussi par sa fausse précision renvoyant à la puissance du souvenir et de l'imagination.

L'exposition se poursuit avec des évocations du Moyen-Orient, notamment de Palmyre ou l'installation Dépôt de mémoire et d'oubli où une vaste croix enfermant des statues grecques est allongée, renversée sur un nid de plumes. Une multitude de questions surgissent sur les héritages culturels qui colorent notre époque, sur les chemins que nous suivons en ignorant parfois ces reliques, sur les rencontres entre les civilisations qui donnent naissance à des nouvelles.

Cet héritage est aussi littéraire. Pendant les confinements, Anne et Patrick Poirier se sont replongés dans La Divine Comédie de Dante Alighieri. Et si l'enfer décrit par l'Italien était à nos portes ? Avec des dessins monumentaux aux formats panoramiques, Grand Hôtel Dante, Le Purgatoire plonge dans les mythologies, de façon jubilatoire et colorée, avec une liberté puissante qui interroge les résonances d'un passé imaginaire dans un présent insaisissable autrement que par l'art.

Jusqu'au 20 mars 2022. Mardi, jeudi, vendredi et le week-end 13 h-18h ; mercredi 10 h-18 h. Mrac, 146 avenue de la Plage, Sérignan. 5 €, réduit 3 €, gratuit - 18 ans. 04 67 17 88 95.



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