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Un voyage sensuel et impressionniste avec Berthe Morisot

L'écrivain Mika Biermann propose un texte court et intense sur la peintre impressionniste Berthe Morisot, aux éditions Anacharsis.


En une centaine de pages seulement, c'est un grand voyage que propose l'écrivain d'origine allemande Mika Biermann. Après Trois jours dans la vie de Paul Cézanne, il poursuit son cycle romanesque autour de la peinture avec Trois nuits dans la vie de Berthe Morisot, publié par la maison d'édition toulousaine Anacharsis. Jeune mariée avec Eugène Manet, le frère d'Edouard, elle s'embarque pour la campagne, avec une dizaine de toiles sous le bras. Dans ce village à l'ambiance verdoyante, Mika Biermann imagine l'artiste à un moment de bascule. Déjà peintre, déjà impressionniste, elle va découvrir en trois nuits un nouveau rapport sensuel à la vie.

Le français n'est pas la langue maternelle de Mika Biermann, mais il la manie avec une élégance incroyable, pour faire ressentir toutes les sensations qui entourent la jeune femme et son mari durant cette courte escapade. Les couleurs, l'air frais dans les feuilles, l'eau de la rivière, la cuisine paysanne qui rissole et se déguste avec gourmandise, l'huile et la térébenthine sur la toile... La comparaison est un peu facile, mais chaque mot est comme une touche de couleur qui absorbe le lecteur dans un véritable tableau. Sur place, dans cette campagne proche de Paris, Berthe Morisot croise un curé, un noble, la jeune Nine qui vient travailler pour le couple. Elle se baigne nue dans la rivière, se promène dans les chemins. Elle ne peint pas comme elle respire, elle peint ce qu'elle respire. Comme Monet, Renoir et les autres, elle prend ses couleurs pour aller peindre sur le motif, pour aller saisir la vérité. Mika Biermann le décrit avec une précision et une sensualité débordantes. Il dit avec gourmandise les gestes, les envies, les hésitations, les joies de la peinture, les ruptures esthétiques portées par toute une génération qui propose un autre regard sur le monde.


« Berthe rentre à la maison, portant son barda, en méditant sur le confort des peintres à l'atelier. Inventer tout un paysage, un volcan à l'horizon, des montagnes rocheuses au loin, le temple antique sur le promontoire, un aqueduc, un ruisseau, des vaches, un berger des femmes portant des cruches, un chêne à droite, une falaise à gauche sans jamais mettre le pied dehors ! A l'abri du soleil, de la pluie, du vent ! Avoir tout sous la main, laisser tout en plan, échafauder tranquillement, revenir à loisir... »

Impossible pour les impressionnistes qui doivent composer avec l'environnement, qui s'en nourrissent et le subissent à la fois. «

"Mouches, guêpes, taons. Averses, bourrasques, canicules. Bourbe, bouse, poussière. Non, la peinture sur le motif n'est pas une sinécure. Marcher sur les sentiers étroits, la boîte de peinture sanglée dans le dos, le chevalet de campagne mordant la nuque, dans une main le tabouret, dans l'autre le parasol, sous le bras la toile en train de déteindre sur la manche, c'était une vie d'âne bâté. »


Malgré tout, Berthe Morisot travaille, dépose ses couleurs sur la toile pour des œuvres qui conservent encore aujourd'hui toute leur fraîcheur. « Berthe dépose de petites virgules de peinture sur sa palette. Bleu, blanc, rouge, vert, jaune, ocre. Elle admire l'ordre qui règne, chaque couleur luit comme un œil. Elle adore les promesses, elle redoute l'échec. Pas besoin de dessin préparatoire. Elle prend une brosse, la toile est à l'ombre, sa tête au soleil ; elle porte le canotier d'Eugène. Le jardin est effrayant, la profusion de détails forme un ensemble confus. Elle essaye de se détendre. Elle essaye d'entendre. Les chants sont multiples, les possibilités infinies, c'est une putain de cacophonie. Va falloir faire des choix. C'est ça, l'art de la peinture : faire des choix. Sa brosse écrase la noix d'ocre, Berthe lève le bras et macule la toile. Un immeuble s'écroule, un bateau se détache du quai, une montgolfière rompt ses câbles. Plus jamais cette toile ne sera blanche. »


Tout autour d'elle, c'est une époque que Mika Biermann fait revivre par petites touches. La Révolution française n'est pas si lointaine, les peintres impressionnistes redonnent des couleurs au monde qui se découvre désormais avec une nouvelle aisance grâce au chemin de fer, la guerre de 1870 qui a emporté Bazille est toute fraîche, les morts de la Commune ne sont encore devenus des fantômes et tout le monde a croisé l'ogre banni Courbet. Dans les campagnes, on peut braconner le lièvre, mais on ne rigole pas avec les bonnes mœurs, les soutanes et les paternels veillent, mais la jeune Nine trouble tout le monde avec sa légèreté et son appétit. Elle ne va pas se confesser et va séduire Berthe et son mari, intrigués par sa liberté... Pour Berthe Morisot cependant, malgré le machisme ambiant, la peinture est voie d'émancipation.


Mais si le livre s'appelle Trois nuits dans la vie de Berthe Morisot, ce n'est pas pour rien. La belle ne fait pas que peindre. La nuit, elle se laisse vagabonder son imagination et son désir. « Berthe ne sait pas si elle aime la nuit ou pas, elle n'arrive pas à se décider. Parfois elle l'imagine comme un personnage qui gagne à être connu ; ça l'amuse de lui inventer toute une famille, tout une histoire gentillette : Nuit, et son compagnon, Noir. » Les nuits suivantes seront moins fraîches, toujours décrites avec un curieux mélange d'étrangeté, de malice et de vérité. S'agit-il d'un rêve ? D'un secret ? D'une escapade ? D'un nouveau départ ? Après trois nuits, Berthe et Eugène rentrent à Paris. L'artiste a deux tableaux sous le bras, Eugène au jardin et Bord de rivière, mais pas que...



Trois nuits dans la vie de Berthe Morisot, de Mika Biermann. Editions Anacharsis, 112 pages. 12 €.


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