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Sur la piste... Conques, les vitraux de Soulages et la pureté romane


Visite de l'abbatiale Sainte-Foy de Conques en Aveyron, joyau de l'art roman mis en lumière par les vitraux de Pierre Soulages.

Rarement, le mot pureté a été aussi adapté, aussi évident. La pureté des courbes romanes de l'abbatiale Sainte-Foy de Conques, la pureté des lignes des vitraux de Pierre Soulages, la pureté de la lumière qui passe à travers ce verre translucide comme de l'albâtre. A Conques, dans l'Aveyron, ce sont deux chefs-d'oeuvre qui ne font qu'un, réunis par-delà dix siècles, un chef-d'oeuvre de l'art de bâtir à l'époque médiévale, un chef-d'oeuvre de l'art contemporain. Une merveille classée depuis 1998 au patrimoine mondial de l'Unesco au titre des chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle en France.

Construite à partir du XIe siècle, avec un grès aux tonalités chaudes, l'abbatiale a traversé les siècles, mais avait souffert quand elle a été sauvée au XIXe siècle par Prosper Mérimée. On pénètre dans l'étroite et haute nef, après la découverte du fameux tympan du jugement dernier, véritable catéchèse avec son Christ juge, ses anges, les figurations de l'enfer et du paradis. L'oeuvre est faite pour inspirer la crainte d'une éternité brûlante. Au Moyen-Âge, de vives couleurs venaient donner vie à ces statues, il en reste encore quelques traces, avec un peu de bleu pour le repos pacifique dans la foi, des teintes rouges pour le pays des flammes démoniaques.

L'intérieur de l'abbatiale, dont la vie reste guidée par les différents offices de la journée, est un havre de calme, éclairé par les fameux vitraux de Soulages. On imagine aisément les réactions du voisinage quand l'Etat a demandé au peintre abstrait de s'installer dans ce vaisseau de pierre. Originaire de Rodez où il est né en 1919, Soulages connaissait les lieux depuis l'enfance et admirait depuis toujours cette force silencieuse, tout comme il s'est nourri des paysages austères de causses ou des fabuleuses statues-menhir du musée Fenaille. Soulages est un artiste dont la peinture dialogue avec celle des origines, avec le noir des cavernes et le temps long. Mais c'est à Conques, alors qu'il était adolescent, à l'âge des premières amours, lors d'une visite scolaire, qu'il a eu un choc originel le poussant à devenir artiste, la révélation. La sobriété et la puissance découvertes à Conques guideront tout son travail, ses premiers brous de noix, ses grands outrenoirs et bien sûr les 104 vitraux qui ornent depuis 1994 l'abbatiale.

En 1986, après avoir refusé plusieurs projets, Pierre Soulages accepte de réaliser les vitraux avec enthousiasme dans le cadre d'une commande publique de la Délégation aux arts plastiques et de la Direction du patrimoine. L'église n'est pas très grande, mais elle compte un très grand nombre d'ouvertures. Et de la même manière qu'il travaille la lumière à travers le noir de ses peintures, Pierre Soulages va habiller de lumière l'édifice. Pour cela, il va se lancer dans un long travail de recherche pour trouver le bon verre translucide. « L'espace créé est tel que l'on n'a pas envie d'avoir le regard sollicité par l'environnement extérieur », explique l'artiste qui a pris le temps de trouver la lumière qu'il souhaitait. Dans un entretien avec le médiéviste Jacques Le Goff, il précise sa recherche : « Ces deux mots de "clôture" et d'"ouverture" conviennent, je les ai concrètement, naturellement rencontrés lorsque j'ai voulu créer une lumière - une lumière, c'est-à-dire un verre - en accord avec le bâtiment, avec les ouvertures sur la lumière naturelle, mais une clôture pour confiner le regard dans l'espace même de l'architecture. J'ai donc cherché un verre qui soit complètement opaque au regard mais qui, laissant pénétrer la lumière naturelle, apparaisse comme émetteur de clarté. La lumière que je souhaitais, je l'ai finalement trouvée. C'est la lumière naturelle mais transformée, transmutée, elle a une intériorité, en accord avec ce lieu admirable, propice à la méditation ou à la prière ».

Le verre opaque laisse la lumière entrer de façon diffuse, avec de délicates variations. Ce n'est qu'après avoir trouvé la bonne matière, que Pierre Soulages s'est lancé dans le travail de création avec le maître verrier Jean-Dominique Fleury. Fidèle à l'abstraction, il dessine uniquement des courbes dialoguant de façon éblouissante avec les voûtes de l'abbatiale romane, des lignes de plomb ondoyant entre les barlotières qui donnent le rythme de ces vitraux.

Il faut passer du temps dans l'abbatiale, prendre le temps de voir les lumières changer, observer les modulations entre l'éclat des vitraux côté sud et les lumières froides du côté nord, les variations au fil de la journée, les reflets, les éclats. La magie à l'état pur qui naît d'une observation savante et d'une incroyable intuition : « J'ai voulu respecter les rapports de lumière et d'obscurité fixés par les dimensions et l'emplacement des ouvertures, poursuit-il dans l'entretien avec Jacques Le Goff. J'ai voulu différencier le monde de la lumière de celui de l'opacité et de la pesanteur qui est celui des murs. Dans ce bâtiment, la verticale est dominante, impressionnante : la hauteur de la nef est trois fois et demi la largeur. Bien sûr, il y a des pleins cintres, mais il y a surtout des orthogonales, grandes verticales, angles droits, horizontales. C'est pourquoi j'ai instinctivement fait dominer les lignes souples et obliques - il n'y en a aucune dans l'architecture du bâtiment - différenciant ainsi le monde de la lumière de celui de l'opacité. L'architecture est d'autant plus mise en valeur qu'il n'y a pas de redondance des formes de la maçonnerie dans la vitrerie. Pas de bordure non plus pour les vitraux : la bordure serait aussi une redondance de la forme de la baie. Sans bordure, la pureté de la forme est en évidence ». Incroyable harmonie dans le contraste...

« Je me suis laissé inspiré par le monument tel qu'il est parvenu jusqu'à nous, tel que je l'aime avec ma sensibilité de peintre, tel qu'il est aimé de nos jours. Et c'est au fond le monument lui-même qui m'a poussé à faire ce que j'ai fait. Bien sûr, on n'échappe pas à ce que l'on est. Je ne me suis jamais soucié d'être fidèle à ce que je suis : il suffit d'être fidèle à ce que l'on sent pour que l'on soit en accord avec ce que l'on est », poursuit Pierre Soulages, qui a l'habitude de dire que son art montre et qu'il ne démontre pas. C'est exactement ce qu'il fait avec son intervention à Conques, il ne décore pas, il donne à voir l'abbatiale où il a été invité.

Le musée Soulages à Rodez permet de découvrir l'élaboration de ce chef-d'oeuvre, à la fois les essais de verre, mais aussi les grands cartons où l'artiste a dessiné les lignes avec du scotch noir.

Pour aller plus loin ;

Sur la piste... Les outrenoirs de Soulages du musée Fabre à Montpellier

Sur la piste... Les statues-menhirs du musée Fenaille à Rodez

Christian Bobin en chemin vers Pierre, Soulages

Paris : le siècle de Soulages célébré au Louvre

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