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Helen Scott, l'amie américaine de François Truffaut

Dans "L'Amie américaine", Serge Toubiana évoque le destin romanesque d'Helen Scott, complice du réalisateur François Truffaut.

François Truffaut, Alfred Hitchcock et Helen Scott, le 14 juin 1962. © Philippe Halsman, Magnum.


Pour la plupart des cinéphiles, Helen Scott, c'est une voix, l'interprète des fameux entretiens entre Alfred Hitchcock et François Truffaut. A part ça ? A part ça, pas grand chose. Et pourtant, quel destin... Serge Toubiana, ancien directeur des Cahiers du cinéma et de la Cinémathèque, auteur avec Antoine de Baecque d'une biographie de référence de François Truffaut, l'a croisée en 1984 à la mort du réalisateur alors qu'il préparait un numéro de la revue en hommage au réalisateur. Comme d'autres, il l'a encouragé à écrire ses mémoires, ce qu'elle n'a pas fait. Avec L'Amie américaine, livre publié chez Stock, il en propose un portrait tendre et sensible, reconstitue ce parcours secret avec un récit palpitant, une enquête très documentée et pleine de surprises.

« Dans ma jeunesse, j'étais une "personnalité", mais ensuite j'ai sombré dans l'obscur et éventuellement, je me suis réconciliée avec le fait que j'avais été dépassée par l'Histoire, et que je passerai désormais inaperçue », écrit-elle dans une lettre à François Truffaut, en 1960, peu de temps après leur première rencontre à New York, lors de la tournée américaine qui suit Les Quatre Cents Coups.


En effet, Helen Scott passe une jeunesse mouvementée par l'Histoire, période très éloignée des mondanités du septième art, sur laquelle elle restait discrète et que Serge Toubiana reconstitue comme un roman, notamment grâce aux témoignages de sa famille. Née en 1915, elle est la fille de William Reswick, qui a quitté l'Ukraine pour venir s'installer à New York. Après des années de vaches maigres, il devient journaliste, correspondant du groupe Hearst à Moscou après la Révolution bolchévique. En 1924, il est le premier journaliste international à annoncer la mort de Lénine. Durant ces années, il installe sa famille en France, où Helen Scott grandit, devenant parfaitement francophone.


Dans les années 30, cette dernière devient une militante très engagée à gauche. En 1940, elle rejoint Geneviève Tabouis, journaliste diplomatique, figure de la Résistance française en Amérique, qui oeuvre à convaincre les Etats-Unis d'entrer en guerre aux côtés des alliés, fréquente Eleanor Roosevelt et dirige l'hebdomadaire Pour la victoire. Deux ans plus tard, Helen Scott poursuit sa vie d'aventurière engagée en rejoignant le Congo et Radio Brazzaville, créée par le Général de Gaulle pour porter la voix de la France Libre à travers le monde. Puis après la guerre, elle fait partie de l'équipe de Robert Jackson, procureur américain au tribunal de Nuremberg. Durant les années 50, elle continue à être engagée très à gauche, au point qu'un doute plane sur sa collaboration avec le KGB durant les premières années de la Guerre froide. Cela lui vaut en tout cas d'être black-listée durant le maccarthysme, au point qu'elle galère durant toute la décennie, harcelée par le FBI.


Sa vie bascule en 1960. Un an plus tôt, elle a rejoint en tant qu'attachée de presse le French Film Office où elle va devenir la propagandiste américaine de la Nouvelle Vague. Dès la rencontre avec Truffaut, c'est le coup de foudre. "Love at first sight" comme on dit dans les films américains. Immédiatement, se noue une relation épistolaire et Helen Scott demande à son correspondant de s'engager de façon intense dans cette amitié, toujours aux limites de l'amour chez l'Américaine.


Grâce à leur correspondance, Serge Toubiana montre d'ailleurs que la relation entre les deux est déséquilibrée. Entre 1960 et 1965, elle lui écrit une soixantaine de lettres par an, le réalisateur est moins prolixe. Il accepte néanmoins de ne plus dicter ses missives à sa secrétaire, mais de les écrire lui-même afin d'être plus intime. Pour Helen, l'engagement est absolu, total, exclusif, passionnel, sans limite. Dévoré par son oeuvre, Truffaut maintient une forme de distance, compartimentant sa vie personnelle et professionnelle. A son contact, la vie d'Helen Scott va changer d'un point de vue professionnel, mais pas seulement. Grâce à lui, elle devient cinéphile, apprend à regarder les films autrement et s'en félicite, tout en restant sceptique à l'égard de l'intellectualisme de la bande des Cahiers. Au fil du récit de Toubiana, se dessine la place singulière que va tenir Helen Scott auprès de Truffaut, jusqu'à sa mort. Elle n'est ni sa femme, ni sa maîtresse malgré leurs mots doux, ni une inspiratrice comme Jeanne Moreau ou Catherine Deneuve, ni même une collaboratrice comme Suzanne Schiffman. Elle est à la fois son amie, son bon copain, sa confidente, sa conseillère et un membre de sa famille, fréquentant avec tendresse et fidélité Madeleine Morgenstern et les filles de Truffaut, même après la séparation du couple.


Pleine d'humour, obsédée par son poids, grande consommatrice d'amphétamines, battante et débrouillarde mais jamais sûre d'elle-même, Helen Scott va tenir un rôle déterminant dès les premières années de la carrière de Truffaut. Non seulement, elle promeut avec enthousiasme son cinéma outre-Atlantique, mais elle tente aussi de jouer les intermédiaires pour des projets, notamment avec l'écrivain Elie Wiesel ou les scénaristes de Bonnie and Clyde qui sera réalisé par Arthur Penn. Elle accompagne Truffaut dans la longue et ambitieuse préparation de Fahrenheit 451, pour la recherche de producteurs, d'interprètes... Mais surtout, elle participe à la naissance d'un chef-d'oeuvre, peut-être le plus grand livre sur le cinéma de toute l'histoire de l'édition, le fameux Hitchbook, les entretiens où Truffaut interroge Hitchcock sur chacun de ses films.

Toubiana montre le rôle fondamental joué par Helen Scott dans cette aventure mythique. C'est elle qui traduit et amende la lettre de Truffaut sollicitant le maître du suspense. Elle participe ensuite aux entretiens. Les bandes conservées de ces séances de conversation résonnent du rire tonitruant d'Helen Scott. Surtout, dans le long travail qui va suivre et va s'étaler sur des années, son rôle va dépasser largement le cadre de la simple traduction. Elle s'investit énormément dans le projet, devenant véritablement l'éditrice du livre.


Mais Helen Scott s'ennuie au French Film Office et au mitan des années 60, elle retrouve Paris où elle a grandi, restant néanmoins nostalgique de New York. Truffaut la soutient, la met à l'abri du besoin en lui cédant les droits du livre d'entretiens avec Hitchcock. En France, elle continue à jouer le rôle d'intermédiaire entre le cinéma français et les Etats-Unis. Au fil du récit dense et rythmé, se croisent plusieurs générations de cinéastes et de personnalités, Jacques Demy, Roberto Rosselini, Alain Resnais, Roman Polanski, Jean-Luc Godard, Claude Berri, Jean-Pierre Rassam, mais aussi des Américains comme Sidney Lumet ou Bill Murray. Toute une époque qu'elle a traversée avec bonhomie, mélancolie et gourmandise avant de rejoindre François Truffaut au cimetière de Montmartre, en 1987.


L'Amie américaine, de Serge Toubiana. Editions Stock, 300 pages. 20 €.


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