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Le roman du Radeau de la Méduse

Dans la collection "Le roman d'un chef-d'oeuvre", édité par les ateliers Henry Dougier, Philippe Langénieux se penche sur l'histoire du Radeau de la Méduse de Théodore Géricault.

« Vous croyez vraiment qu'un artiste peut être utile à quelque chose ? ». C'est la question qu'avait posé son père à Théodore Géricault quand ce dernier avait préféré les ateliers de peinture aux bancs de la Sorbonne. La postérité du Radeau de la Méduse suffirait à répondre au rigide paternel. Et le roman que consacre Philippe Langénieux à son élaboration illustre la réussite du peintre. Son ambition n'est plus de raconter l'histoire, mais d'y contribuer.


Avec ce court récit, au style rythmé et vivant, Les Scandales d'un naufrage selon Géricault, l'auteur met en scène la rencontre entre Alexandre Corréard, un survivant du naufrage et l'artiste qui a fait passer cette catastrophe à la postérité, dans une atmosphère de déchirements politiques. Géricault travaille comme un enquêteur, il veut connaître tous les détails du drame qu'il va représenter. Au point que le témoin soupçonne l'artiste de voyeurisme. « Il me questionnait sur les vêtements que nous portions, nos âges, les couleurs du ciel, la taille des requins, les dimensions de l'espace entre les rondins du radeau, l'état de nos pieds dans des bottes détrempées, la nature et le nombre d'armes à disposition des officiers, la qualité du vin de notre ultime barrique, le bruit d'une tempête, la couleur des taches que le sel déposait sur nos peaux, l'emplacement où je me trouvais habituellement et je ne sais plus trop quoi encore. » Autant d'éléments qui vont nourrir l'artiste pour ce chef-d'oeuvre.


Face à ces descriptions, Géricault réfléchit, s'interroge sur la meilleure manière de représenter le drame. « Dans ce malheur coexistent lâcheté, sauvagerie et désespoir. Faut-il peindre le lâche abandon du radeau par le capitaine de la frégate ? La folie et la sauvagerie des actes de cannibalisme des survivants ? Ou bien le désespoir d'une mort certaine au matin du treizième jour de dérive ? » L'artiste accumule les esquisses pour sortir de l'académisme et affirmer une critique de la monarchie restaurée, même s'il place sa recherche esthétique au-dessus de ses opinions, au-dessus de l'horreur brute pour montrer la vérité, émouvoir, frapper fort et juste.


Le chantier est titanesque. Cinq mètres de hauteur, sept mètres de largeur. Trente-cinq mètres carrés de peinture ! Géricault se jette à corps perdu dans la peinture. Philippe Langénieux montre comment il s'enferme avec des morceaux de cadavres, s'isole, pressé par le temps car le tableau doit être prêt pour le salon. Mais il peut compter sur la complicité de quelques amis, notamment Delacroix qui ne cache pas son admiration avant même l'achèvement du projet. Dans une conversation avec Corréard, il s'enthousiasme. « Sa peinture est exceptionnellement touchée. Elle n'est pas plate. Elle bouge comme les vagues, elle rugit, elle griffe. » Il sait qu'elle ne ravira pas l'Académie, mais il regarde plus loin : « L'effet est époustouflant. C'est comme si les personnages hurlaient, comme si le vent couvrait leurs cris, comme si l'eau vous glaçait les membres. »


Corréard, lui, doit attendre pour voir le résultat final et s'impatiente, mais il l'un des premiers à découvrir le tableau dans l'atelier de Géricault, qui hésite, tâtonne, doute du début à la fin. Le regard de Narcisse Guérin, son ancien professeur, le rassure.


Quand sonne l’heure du salon, en ce jour de saint Louis 1819, La Radeau de la méduse est mal accroché, en hauteur, dans le salon carré du Louvre. L’administration l’a hypocritement renommée Scène de naufrage, pour en gommer la portée politique. Sur sa chaise roulante, Louis XVIII salue tout de même la réussite qui accable son régime. Géricault quitte les lieux, sans attendre les autres commentaires. Le drame de la Méduse revient néanmoins sur le devant de la scène et les critiques pleuvent. Certains le trouvent trop grand pour un malheur imaginaire. D’autres s’interrogent sur l’ambition esthétique d’une représentation de cadavres, pointent les libertés de l’artiste avec la vérité ou moquent la forme des vagues. Avec sa librairie, Corréard soutient le tableau qui bien sûr n’est pas primé.


Finalement, le tableau entrera dans les collections nationales. Mais Géricault n'aura pas le bonheur de voir le tableau accroché au Louvre. Il meurt en 1824. Mais le tableau est aujourd'hui unanimement admiré et l'histoire des naufragés de la Méduse est passée à la postérité. Le livre de Philippe Langénieux permet de comprendre pourquoi.


Les Scandales d'un naufrage selon Géricault, de Philippe Langénieux. Ateliers Henry Dougier, 128 pages. 12,90 €.

 

La collection "Le roman d'un chef-d'oeuvre"

Certains tableaux ont cette étonnante capacité de nous réenchanter, corps et âme, de mobiliser notre mémoire, notre imaginaire, nos émotions. Mais comment sont-ils nés ? Dans quelles circonstances et à quel moment de la vie de l’artiste ?

Rédigés par des écrivains et des historiens, les premiers volumes de la collection "Le roman d'un chef-d'oeuvre" permettent de répondre à ces questions. Sont déjà parus Un message de consolation selon Gauguin, de Marika Doux ; Chemins sans issue selon Van Gogh, de David Haziot ; Sous le ciel immense selon O'Keeffe, de Catherine Guennec ; La Femme moderne selon Manet, d'Alain Le Ninèze ; De l'or dans la nuit de Vienne selon Klimt, d'Alain Vircondelet et Les Heures suspendues selon Hopper, de Catherine Guennec.


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