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Andréa Ferréol : "La Grande Bouffe ne se tournerait pas aujourd'hui !"

Jeune comédienne, Andréa Ferréol a participé au tournage "La Grande Bouffe", de Marco Ferreri. Elle se souvient d'un tournage joyeux et du scandale qui a accompagné le film devenu culte.

Quelle place tient le film La Grande Bouffe de Marco Ferreri dans votre vie et votre carrière ?

C’est le premier film important de ma vie. C’est un film très très important. Sans ce film, probablement, vous ne m’interviewerez pas aujourd’hui.

C’est un film qui m’a porté bonheur. J’ai quand même fait une jolie carrière, pas immense, mais très jolie avec les plus grands metteurs en scène des années 1970 à 1990, avec les plus grands acteurs européens et américains de l’époque. Donc pour moi, c’est un film fétiche. Je l’ai tout de suite senti dans le bureau du jeune homme qui m’avait convoqué. Il m'a dit : "C’est un film avec quatre comédiens, Mastroianni, Tognazzi, Noiret et Piccoli. Il va falloir que vous grossissiez, mais attendez, on va montrer vos photos au metteur en scène pour savoir". Je suis sortie là, je me suis mise à manger en me disant, que ce film, je le ferai.

Depuis, je me dis pourquoi je n’ai pas une deuxième chance comme ça. J’ai tourné, j’ai beaucoup travaillé, je travaille encore beaucoup, mais je n’ai pas eu à nouveau un rôle comme celui-là.


Quel souvenir gardez-vous de Michel Piccoli, disparu récemment ?

C’était un homme intègre, engagé, sympathique, capricorne comme moi, toujours présent sur le plateau, toujours présent pour les autres, à l’écoute. Durant le tournage de La Grande Bouffe, il m’a sauvé d’une dame italienne qui voulait faire des photos de moi nue comme une Madone. C’est grâce à lui, qu’elle n’a pas fait les photos. Il lui a dit, tant que cette dame sera là, je ne tournerai pas.

Vous étiez une très jeune comédienne. Qu'est-ce qui vous a séduit dans ce rôle ?

Vous savez, ce métier est fait de chances. Si tu saisis ta chance, tu peux peut-être faire une carrière. Je l’ai saisie avec beaucoup d’exigences, il a fallu que je prenne 25 kilos en deux mois. J’allais toutes les semaines dans un laboratoire payé par la production pour voir si mon coeur, mon foie, ma rate, mon gésier étaient en bonne santé avec tout ce que j’avalais du matin au soir. Je devais être à 10 000, peut-être même 20 000 calories par jour. Je mangeais, je mangeais, je mangeais énormément. C’était de gros sacrifices, un gros travail de préparation. Je l’ai fait, parce que j’ai cru en ce film, j’ai cru en ce rôle. Je me suis dis, avec ces quatre acteurs, si ça marche, cela peut être très important et ce le fut.


Quelle était l'ambiance durant le tournage ?

Normale, Tognazzi dormait entre les prises, Marcello était toujours calme à fumer de son côté. En même temps, c’était sympathique et convivial étant donné qu’on n’arrêtait pas de manger. Quand on travaille et qu’on mange, c’est quand même joyeux. Et de surcroît, tout ce qu’on mangeait était très bon. C’était fait par Fauchon, c’était délicieux.


Vous mangiez tout ?

Il valait mieux. Vous ne pouviez pas pendant la prise, vous en mettre dans la bouche, ne pas avaler et parler. Donc on mangeait, on faisait juste attention de ne pas prendre de grosses bouchées.

Vous vous rendiez compte de l'importance du film ?

Pas du tout, mais alors pas du tout du tout. Quand on est jeune, peut-être certains se rendent compte, mais moi, je savais juste que cela se passait très bien. Quand le film est allé à Cannes, je ne savais pas du tout ce que j’allais voir, je ne l’avais pas vu avant le festival. C’est à Cannes où j’ai découvert le film, le scandale, tout ce qui se disait.

Le lendemain du dernier jour de tournage, j’étais à Reims, je faisais la nourrice dans Roméo et Juliette, mise en scène par Robert Hossein, alors j’étais loin du film, j’étais tout à coup dans un autre univers.


Vous aviez conscience quand même qu’il y avait quelque chose de scandaleux ?

Ce n’était pas un film pornographique. On ne me voit nue de dos qu’une fois, sur la pâte à tarte. On voit mes seins dans une scène ou deux, mais je suis toujours couverte, plus ou moins découverte, mais je ne suis pas nue de face. Je voyais bien que c’était un film étrange, qui sortait de l’ordinaire, qui était une métaphore sur la société de consommation, que j’étais un ange de la mort, cette femme mère maîtresse amante, La Femme, La Femine comme on dirait en italien. Mais je débutais dans le cinéma, je n’avais fait que des petits rôles avant.

Maintenant j’appréhende le cinéma complètement différemment. Quand je tourne une scène aujourd’hui, je mettrais mes deux mains au feu que j’en connais le montage. A l’époque, tout cela me passait au-dessus de la tête. Je tournais, on me disait gros plan, plan large. Maintenant, je sais vraiment ce que cela veut dire. Je viens de commencer à tourner pour TF1. A la manière dont le réalisateur a mis sa caméra, je sais très bien comment cela va être monté. Je pourrais presque faire le montage toute seule !

Depuis La Grande Bouffe, j’ai fait 130 films. J’ai appris. Je me souviens sur le tournage de François d’Assise de Liliana Cavani avec Mickey Rourke, je n’arrivais pas à faire une scène. Elle me dit : mais enfin, je ne comprends pas pourquoi tu n’arrives pas simplement à sortir de la maison. Je lui ai répondu : parce que je ne vois pas comment tu vas monter cette scène. Elle était sur le cul ! Je savais ce qu’il y avait avant et après, mais je ne voyais pas comment elle allait monter ce passage et en tant que comédienne, ça me dérangeait.

Maintenant, je connais plus le cinéma de l’intérieur. Mais par contre, j’avais compris, instinctivement, que pour Cannes, il ne fallait pas que je sois décolletée. Je me suis fait faire une robe princesse, col au ras du cou, avec des petites manches, très petite bourgeoise. Et je me suis présentée à Cannes comme ça, c’est-à-dire le contraire de mon personnage.

Quel souvenir gardez-vous de la présentation du film au festival de Cannes ?

J’étais abasourdie. Tant de folie pour un film. C’est d’ailleurs aussi ce scandale qui a fait que le film a très bien marché. Cela a aidé le film, tout le monde voulait voir La Grande Bouffe.


Si le film sortait aujourd'hui, il provoquerait le même scandale ?

Il ne se tournerait même pas aujourd’hui. Il n’y aurait pas de producteur. Impossible. Absolument impossible malheureusement. Les producteurs étaient un peu fous à l’époque.

Par contre, quand le film a été présenté à Cannes Classic, Michel Piccoli était encore de ce monde, ce devait être en 2013, la salle était de pleine, il y avait beaucoup de jeunes. Ils ont hurlé de rire du début à la fin, ils ne comprenaient pas le scandale. Pour eux, c’était incroyable, hallucinant. Les générations ont changé.


D'après vous, qu'est-ce qui pousse votre personnage à accompagner ces hommes ?

C’est l’ange de la mort. Cette femme a compris que ces hommes sont là pour manger et mourir. Elle sait qu’elle ne va pas y aller, mais elle les accompagne. Avec un, c’est un peu la maîtresse, avec l’autre, c’est la maman… C’est la femme, la femme exemplaire, elle les accompagne jusqu’à leur dernier soupir.

C’est comme si elle était envoyée, elle est dans l’école en face. Elle vient avec ses élèves, on l’invite, elle accepte et je crois qu’elle comprend très vite la situation.

Dans le scandale, il y a le fait que votre personnage soit institutrice. On imagine que les parents n’avaient pas envie de confier leurs enfants à une maîtresse comme elle…

Comme cette jeune femme capable de tout ! C’est la générosité, elle se donne aux quatre hommes.


Philipe Noiret dit d'ailleurs que vous agissez « par bonté, pas par vice »...

Bien sûr. C’est la mamma, elle représente toutes les femmes. Donc, pour chacun d’eux, elle est différente. Mais elle est là, présente, comme une mère est présente avec ses enfants.



Le film est disponible en DVD, en Blu-ray et en VOD sur LaCinetek.


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