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Gérard Guégan : "Sonia Mossé avait un côté séductrice, audacieuse, capable de tout."

Avec "Sonia Mossé, une reine sans couronne", Gérard Guégan évoque le destin méconnu de Sonia Mossé, artiste proche du milieu surréaliste, morte en déportation.


Comment avez-vous découvert ce personnage de Sonia Mossé, à laquelle vous consacrez un livre ?

Je l'ai découverte par Théodore Fraenkel, le sujet de mon précédent livre. Dans une lettre de 1942, alors qu'il est à Clermont-Ferrand, qui est encore en zone sud, il s'inquiète de savoir si elle continue à ne pas vouloir porter l'étoile jaune, si elle va bien, etc... C'est assez banal, mais à partir de là, maintenant avec les ordinateurs, vous vous arrêtez, vous faites une recherche "Sonia Mossé" et petit à petit, quelque chose apparaît, Balthus, Derain... Le sous-titre du livre, Une reine sans couronne est une allusion au Talmud qui pour désigner l'audace évoque « un royaume sans couronne ».


C'est cette audace qui vous a touché chez elle ?

C'est une période tellement noire, abominable... Dans ma famille, on ne parlait que de ça. Au début, ça me gonflait, j'ai grandi là-dedans. Après, c'est moi qui me suis raconté une histoire sur la même période. Il y a eu d'autres personnes qui n'ont jamais porté l'étoile jaune, Françoise Giroud par exemple. Je pensais que c'était un risque majeur. Elle, son problème, c'est qu'elle a déclenché beaucoup de jalousie.


Car elle continue à mener une vie publique...

Oui, donc elle est vraiment audacieuse. Et dès le début... Elle a été plus ou moins proche des communistes au moment du Front populaire, avant de prendre ses distances. Si elle avait été militante d'une organisation, on lui aurait dit de ne pas faire ça. Ne pas porter l'étoile jaune, d'une certaine façon, c'est pire que de la porter. Si on vous arrête, il y a eu dissimulation.


Comment analysez-vous ce comportement. C'est de l'inconscience ?

Non, je ne crois pas. Je ne la crois pas inconsciente une seconde. Je la crois audacieuse. Il n'y a pas d'autres mots. Dès sa jeunesse, elle se perdait volontairement dans les bois de la région parisienne et réapparaissait en fin de journée, se faisait engueuler, c'était un jeu pour elle.

Elle était également très attachée à Paris, c'est certain. Elle n'a pas attendu 1940 pour aller au Flore. Elle y allait dès 1936-1937 et Simone de Beauvoir la remarque à ce moment-là, elle en parle en quelques lignes dont certaines sont en exergue du livre. Elle était connue et avait de nombreuses aventures amoureuses, qu'elle ne cachait pas. C'est très étrange, elle a joué avec le feu, en espérant ne pas être brûlée. Mais c'est avec un vrai feu qu'elle a été brûlée, après avoir été gazée.

Elle pensait aussi que son côté blonde, "aryenne", même si cela n'a aucun sens, la protégeait. Mais elle n'a jamais fréquenté les Allemands.

La grande énigme, c'est qui l'a dénoncé. J'ai passé des mois dans les archives de la préfecture de police de Paris, j'ai des copains journalistes qui m'ont aidé. Mais il n'y a pas de lettre. Je crois que dans le milieu flamboyant où elle vivait, il n'y avait pas besoin d'envoyer un mot, il suffisait de téléphoner et l'affaire est lancée.

J'ose penser qu'il s'agit d'une histoire de jalousie amoureuse, soit elle a dédaigné quelqu'un, soit elle a conquis quelqu'un qu'elle n'aurait pas dû conquérir. C'est sûr que c'était une femme, c'est d'ailleurs ce que laisse entendre Beauvoir. C'est déjà beau d'avoir survécu jusqu'en 1943... Elle était un point de mire, elle était connue, elle fréquentait du beau monde. Elle gagnait bien sa vie, elle avait du talent, elle était une excellente dessinatrice de mode.

Paul Éluard et le mannequin de Sonia Mossé pour l'exposition surréaliste de 1938, photo Georg Riens.


Avant la guerre, il y a la période surréaliste, où elle a une place très particulière. Il y a très peu de femmes dans ce milieu, à part des muses...

C'est sa nature amoureuse qui fait qu'elle n'est pas muse. Elle a réellement une relation privilégiée avec Paul Eluard. Ce qu'elle ne supportait pas dans le surréalisme, c'était le chef, le culte grotesque. Sa nature sensuelle la poussait vers le refus d'un groupe avec des codes, des règles, des lois.

Mais en même temps, elle connaissait Jean Cocteau, qui ne s'est pas révélé très courageux. Tout le monde a dû être au courant de son arrestation. C'était un petit milieu entre le Flore, les Deux Magots, Lipp et le fameux restaurant Le Catalan, où j'ai peine à croire qu'il n'y avait pas d'Allemands en civil.

Ce qui m'a intéressé, c'est à la fois son côté séductrice, audacieuse, capable de tout. C'est quelque chose que les Français n'aiment pas du tout, contrairement aux Américains. Elle était touche-à-tout. Elle a fait plein de choses.

A 18 ans, elle est le modèle de Balthus, elle rencontre Artaud. Elle a une relation amicale avec Giacometti, qu'elle rencontre sans doute à Montparnasse et on lui prête une relation amoureuse avec lui. Elle maîtrisait les choses, elle savait écrire, elle savait s'habiller.

Nusch Eluard et Sonia Mossé, photo Man Ray.


Comment était vue sa liberté sexuelle à l'époque ?

Pas mieux que maintenant. J'ai grandi dans un monde où les insultes étaient homophobes. Avec le Front homosexuel d'action révolutionnaire que j'ai publié aux éditions Champ libre, il y a eu un brusque changement. C'était de jeunes gauchistes, par nature même, provocateurs.

En 1940, il n'y avait d'audace. Les Allemands et Vichy poursuivaient l'homosexualité, l'Eglise aussi. Elle a peu vécu, mais elle a vécu librement, ses envies, ses passions, ses désirs. Quand il fallait maltraiter quelqu'un, la conversation avec Derain (NDLR : après son voyage en Allemagne) en est la preuve, elle ne machait pas ses mots. Et en même temps, elle est allée à l'exposition "Le Juif en France", uniquement pour voir ce que c'était, je pense aussi pour se prouver qu'elle était indétectable.


Avec ce livre, après celui sur Fraenkel, vous poursuivez une histoire des figures méconnues du surréalisme ?

Sur les années 30 plutôt, il n'y pas a pas que le surréalisme, il y a aussi le Front populaire, les associations diverses et variées qui vont aboutir à mort d'homme. Crevel va se suicider pas pour des divergences politiques, mais parce qu'en tant qu'homosexuel, il n'a pas le droit de révéler ça. Il faut lire le numéro de la Révolution surréaliste consacré à la sexualité !

C'est tout cette époque qui est très riche à mes yeux, très fondamentale, avec des tournants qui s'opèrent. On dit que les situationnistes viennent après le surréalisme, cela m'a toujours fait rire. En dehors de Guy Debord qui avait un petit talent, c'est pas le groupe surréaliste où ils ont tous du talent. Ils passent leur temps à s'agréger, il y aura le groupe avec Vailland, Morhange, Politzer... Je ne dis pas qu'aujourd'hui, il n'y a pas des gens intéressants, mais l'atmosphère n'est plus au groupe. C'est très romanesque. Je voulais faire un être vivant, plein d'humanité et qui joue avec le feu. C'est ce qui m'attirait chez elle.


"Sonia Mossé, une reine sans couronne", de Gérard Guégan. Editions Le Clos Jouve, 102 pages. 19 €.


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