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Dans la "Boîte rouge", 5 000 photographies inédites de la guerre d'Espagne

C'est un fonds photographique essentiel qui refait surface avec la redécouverte des clichés d'Antoni Campaña. Edité au Seuil, un beau livre permet de se replonger dans cette histoire tragique, avec un regard à la fois humain et au plus près des acteurs de ce drame, remarquablement mis en perspective.

C'est un nouveau regard sur la guerre d'Espagne que dévoile le livre La Boîte rouge, qui paraît au Seuil autour de l'incroyable découverte des photos d'Antoni Campaña Bandranas. En 2018, près de Barcelone, une maison est vidée avant d'être détruite. C'est ici que dorment depuis des années, des décennies deux boîtes rouges, deux cartons contenant un témoignage sur l'une des tragédies du XXe siècle, 5 000 photographies prises durant les trois années de la guerre civile espagnole, avec un regard particulièrement serré sur les anarchistes catalans, un épisode un peu oublié de ce côté des Pyrénées..


Aujourd'hui, le journaliste Placid Gracia-Planas, l'historien Arnau Gonzalez i Vivalta et le photographe David Ramos remettent en perspective cette oeuvre avec un livre beau et dense, reproduisant des centaines d'images, resituant le contexte et racontant l'histoire d'Antoni Campaña Bandranas, né en 1906 et mort en 1989.


Les photos de la guerre d'Espagne sont particulièrement intéressantes pour l'histoire de la photo. D'abord, elles marquent le véritable essor du photojournalisme moderne avec les figures de Robert Capa ou David Seymour et les grands journaux illustrés. Ensuite, elles témoignent d'une guerre des images visant à opposer les deux camps. Antoni Campaña Bandranas se trouve au coeur de ce moment crucial, tour à tour d'un côté puis de l'autre.


Dans la préface de l'édition française, Michel Lefebvre dresse une rapide biographie du photographe : « Antoni Campaña, que rien ne lie à l'anarchisme, est un photographe professionnel de Barcelone, un "catalaniste", autrement dit un partisan de l'autonomie de la Catalogne, modéré et fervent catholique, et le meilleur témoin de ce "bref été". (...) Vivant dans la capitale de la Catalogne considérée alors comme un laboratoire politique et artistique bouillonnant, Campaña est comme tous les photographes de cette époque très éclectique : il fait du reportage, représente la marque Leica à Barcelone, travaille pour la presse illustrée de Barcelone, d'une grande qualité, pratique le saxophone. Pendant la guerre, il photographie les miliciens anarchistes certes, mais aussi la ville aux prises avec les bombardements. Comme Capa, il photographie, de près, une population qui souffre et se bat. Quand vient le temps de la Retirada, en janvier 1939, il part vers la frontière, sous l'uniforme républicain, mais décide de revenir à Barcelone. Par chance, il croise son ami franquiste Ortiz Echagüe qui va lui permettre d'échapper à la répression. Il reprend alors le travail et photographie l'autre camp. Tout à fait par hasard, il saisit ainsi le jeune Antoni Tapiès, le futur peintre, en uniforme des jeunesses de la Phalange, le mouvement fasciste espagnol. Ne voulant pas que ses photographies de la période républicaines soient détournées - ou pour se protéger ? -, il cache 5 000 négatifs et tirages ; ceux-ci ne seront retrouvés qu'en 2018, près de trente ans après sa mort. » C'est cette mémoire que dévoile aujourd'hui ce livre important.


L'opus démarre par quelques clichés d'un monde disparu, l'Espagne d'avant le coup d'Etat du général Franco. Régates, fêtes religieuses et campagne électorale, éclats d'un monde englouti. A la veille de la déflagration, le peuple accueille triomphalement Lluis Campanys, leader de la gauche républicaine. En juillet 1936, c'est le pronunciamento, la Catalogne résiste mais les autorités ne peuvent contenir la pression anarchiste. « Les haines accumulées, le sentiment de classe et un anticléricalisme atavique vont révéler au monde une Catalogne qui semble marcher sur les pas du Mexique ou de la Russie révolutionnaire, écrivent les auteurs. Une société bouleversée où l'ordre bourgeois et le capitalisme ne tiennent qu'à un fil. Les partis et les syndicats d'extrême gauche prennent le contrôle de la situation, ne laissant qu'un petit espace à la Generalitat, qui reste l'unique structure en place. » Antoni Campaña photographie les barricades, les églises saccagées et incendiées, les poings qui se dressent contre l'ordre établi dans une guerre violente où les croque-morts se protègent de l'odeur des cadavres avec des masques à gaz. Il montre aussi les miliciens volontaires, hommes et femmes en guenilles qui marchent vers le front aragonais, avec une série de portraits pleins d'espoir, d'enthousiasme.


L'unité est apparente, pleine de méfiances réciproques. Rapidement, elle éclate, laissant la place à « une vraie guerre civile catalane au coeur de l'Espagne. » Catalanistes, anarchistes, communistes et autres dissidents s'affrontent. Et le feu vient aussi de l'extérieur, dès 1937, les Italiens bombardent la ville. Campaña est sur place, montrant les immeubles éventrés de la Barceloneta, la recherche des survivants dans les décombres, les entrepôts en flamme.

Pour l'extrême-droite, Barcelone se transforme en capitale soviétique de la Méditerranée. Campaña photographie les grands rassemblements communistes. Chaque fois, il reste attentif aux individualités, aux visages, mais aussi aux souffrances qui s'abattent sur la ville. Ceux qui se pressent derrière les carrioles de charbon, les femmes demandant l'augmentation des rations de pain, les repas des miliciens et de leurs enfants, l'arrivée des réfugiés de Malaga. Et toute la vie qui se met en place, avec la soif de vivre, de rire, les foires révolutionnaires.


Puis la déroute, l'exode et le triomphe des Franquistes. Glaçant, un chapitre intitulé "Parfois, le miroir blesse" confronte les images avant et après. Les portraits du Duce remplacent ceux de Lénine et de Staline. Dans le stade olympique, les bras se lèvent là où débarquaient les réfugiés. Sur le Diagonal, les troupes franquistes paradent... Campaña photographie les ruines, la Retirada, les munitions abandonnées par les Républicains et la mise au pas de la Catalogne, transformée en caserne bigote à ciel ouvert. Un témoignage bouleversant et essentiel, enfin révélé.


"La Boîte rouge, le dernier grand trésor photographique de la guerre d'Espagne d'Antoni Campaña", de Placid Garcia-Planas, Arnau Gonzales i Vivalta et David Ramos, préface Michel Lefebvre. Editions du Seuil, 332 pages. 32 €.


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