A travers sa correspondance littéraire, une plongée dans la "fabrique Truffaut"
L'historien du cinéma Bernard Bastide publie "François Truffaut. Correspondance avec des écrivains". Une plongée dans l'intimité et l'imaginaire d'un grand lecteur, à travers ses échanges avec Jean Cocteau, Jean Genet, Serge Rezvani ou Milan Kundera. A travers ces lettres, se découvrent ses amitiés littéraires, son travail d'adaptation mais aussi de nombreux projets inaboutis.
Comment avez-vous mené à bien la publication de cette correspondance littéraire de François Truffaut ?
Cet ouvrage représente quatre ans de travail. Dans un premier temps, il a fallu définir le sujet. Après la publication des Chroniques d’Arts-Spectacles (Gallimard, 2019), j’avais très envie de revenir vers des écrits de Truffaut et notamment de m’intéresser à sa correspondance.
Il existait déjà une correspondance générale, publiée chez Hatier en 1988, quatre ans après sa disparition. Ensuite, il y a eu plusieurs volumes de correspondance entre Truffaut et une seule personne : un journaliste, un cinéaste, etc. Je n’avais pas envie de refaire une correspondance générale, ni de publier une correspondance avec un seul interlocuteur. Je souhaitais plutôt trouver un thème fédérateur pour creuser mon sillon au milieu de milliers de lettres conservées.
Après avoir publié avec succès la correspondance amoureuse Albert Camus-Maria Casarès et François Mitterrand-Anne Pingeot, la première demande de Gallimard, mon éditeur, était d’éditer une correspondance amoureuse du cinéaste. J’ai tout de suite botté en touche : je n’avais pas envie de me positionner sur ce territoire intime. J’ai commencé à réfléchir à une correspondance film par film dont chaque chapitre aurait réuni les lettres échangées avec les acteurs, le chef opérateur, le costumier, etc. pour éclairer la genèse des œuvres.
Laura Truffaut, la fille aînée de Truffaut, m’a fait remarquer - à juste titre - que l’ouvrage risquait de recouper le travail de Carole Le Berre pour Truffaut au travail (Cahiers du cinéma, 2004). En réfléchissant un peu, je me suis dit : d’un côté, j’ai Gallimard, un éditeur très ancré dans le domaine littéraire ; de l’autre, j’ai François Truffaut, un passionné de littérature qui a porté de nombreux romans à l’écran. Pourquoi ne pas imaginer une correspondance du cinéaste avec des auteurs ?
Je me suis littéralement immergé dans le fonds François Truffaut de la Cinémathèque française, déposé par les héritiers du cinéaste, sans savoir ce que j’allais trouver. J’ai passé un an à lire toutes ses correspondances, par ordre chronologique. À partir du moment où Truffaut a eu un secrétariat, en 1957, il a tout conservé. À la fois les lettres reçues et copie des lettres envoyées, sauf les cartes postales quand il était en voyage ou dans des festivals comme Cannes ou Venise. J’ai sélectionné toutes les lettres avec des écrivains et je les ai complétées avec des fonds où se trouvaient les lettres de Truffaut à certains auteurs.
C’est ainsi qu’à l’Institut mémoire de l’édition contemporaine (IMEC), j’ai trouvé ses lettres à Jacques Audiberti, à la Bibliothèque historique de la ville de Paris (BHVP) ses lettres à Jean Cocteau, à la bibliothèque Jacques-Doucet ses lettres à Louise de Vilmorin, etc. J’ai complété avec quelques lettres que des collectionneurs privés ont bien voulu me confier. Bien sûr, tout ceci n’est que la partie visible de l’iceberg. Certaines lettres ont été perdues, vendues aux enchères, détruites ou cachées… Mais cela permet tout de même d’avoir une traversée de la vie et de la carrière de Truffaut, puisque cela commence au moment où il est animateur du Cercle Cinémane (1948), puis journaliste aux Cahiers du cinéma et à Arts-Spectacles (1953-1958), puis cinéaste (1957-1984).
Ces lettres sont une espèce d’atelier, d’incubateur de projets. On plonge au cœur du réacteur, de la "fabrique Truffaut" : comment il choisit les livres qu’il va adapter, les adaptateurs dont il s’entoure, comment il trouve l’argent pour produire, etc. En raison de certaines difficultés, la genèse de certains films se déroule parfois sur plusieurs années. C’est le cas notamment avec Fahrenheit 451, d’après Ray Bradbury ou, plus tard, pour L’Histoire d’Adèle H, adapté du journal intime de la fille de Victor Hugo.
L'historien du cinéma Bernard Bastide, photo Francesca Mantovani.
Dès l’enfance de Truffaut, la littérature est un refuge et un moyen de se construire...
François Truffaut est un enfant sans père, né d’une fille-mère comme on disait à l’époque, qui va être adopté par Roland Truffaut. Le jeune François a une enfance et une adolescence difficiles. Il passe les dix premières années de sa vie caché chez sa grand-mère maternelle qui l’élève et lui donne très tôt le goût de la lecture, des livres, des bibliothèques, des librairies… Ensuite, il y a le Truffaut sauvageon adolescent, très tôt émancipé, qui s’affranchit de la tutelle de ses parents. Pendant la guerre et l’immédiat après-guerre, il est saisi par une boulimie de lecture. Comme tous les autodidactes, il va avoir une approche systématique du savoir en général et de la littérature en particulier. À cette époque, on trouve sur le marché, une collection de petits livres bon marché, Les Meilleurs Livres, qui paraît chez Fayard. Truffaut va tous les acheter et les lire par ordre alphabétique, de façon systématique, de Balzac à Zola…
Il va essayer, de son propre chef, de baliser le champ de la littérature et va ainsi acquérir une très grande culture littéraire. La littérature est sa première passion, avant la découverte du cinéma à la Libération. L’après-guerre, c’est le moment où sortent sur les écrans français tous les films américains dont la distribution avait été stoppée pendant les six années de guerre. Ce cinéma-là laissera une marque indélébile dans la mémoire du jeune cinéphile, notamment Citizen Kane d’Orson Welles.
"Correspondance avec des écrivains" s’ouvre avec une lettre de Truffaut à Cocteau qui fait désormais partie de la mythologie. Truffaut fait preuve d’un incroyable culot : il a 16 ans et demande au poète une copie du "Sang d’un poète" !
C’est une situation très particulière. Truffaut avait fondé un ciné-club, le Cercle Cinémane. Comme il avait très peu d’argent, il avait emprunté de l’argent à droite et à gauche et en avait volé un peu à son beau-père. Mais il ne voulait pas adhérer à la fédération française des ciné-clubs (FFCC), fournisseuse de copies de films, parce que cela coûtait cher.
Dans un premier temps, il essaie d’obtenir des copies auprès d’Henri Langlois, le directeur de la Cinémathèque française, qui refuse de les lui fournir. En désespoir de cause, Truffaut invite Cocteau en espérant que celui-ci répondra non seulement à son invitation mais viendra avec la copie du Sang d’un poète sous le bras ! Hélas, rien ne se passera comme prévu. Cocteau, pris dans un tourbillon de sollicitations diverses, ne répond pas à cette lettre comminatoire, en forme d’ultimatum : si vous ne venez pas, mon ciné-club va mourir et ce sera de votre faute !
En l’écrivant, Truffaut fait preuve d’un culot et d’une liberté de ton incroyables, comme s’il s’adressait à un camarade de son âge et pas du tout à cette figure tutélaire qu’il va rencontrer un an plus tard au festival de Biarritz et dont il va très vite devenir l’ami. Au point que Truffaut va même produire un court-métrage adapté de Cocteau Anna la bonne, puis coproduire Le Testament d’Orphée, le dernier film de Cocteau.
Dans les lettres suivantes, on sent que Cocteau a beaucoup de tendresse pour Truffaut…
Cocteau, qui aime beaucoup la jeunesse, a été très vite séduit par ce jeune homme qui s’était fait tout seul, qui a réussi à se cultiver, à tracer sa propre voie alors qu’il n’avait pas d’argent, pas de soutien. De ce fait, il va devenir l’un des principaux supporters du jeune cinéaste. C’est grâce à Cocteau que Truffaut obtient le Prix spécial du jury au festival de Cannes pour Les Quatre Cents Coups, en 1959. Le prix est créé sur mesure, grâce à l’obligeance de Cocteau, président d’honneur du festival cette année-là.
François Truffaut et Jean Cocteau, photo Lucien Clergue.
Dans les débuts de Truffaut, un autre auteur occupe une place importante, c’est Jean Genet. Le romancier apparaît comme une sorte de grand frère en insoumission...
Entre Truffaut et Genet se crée en effet une relation en miroir, même s’ils ont plus de vingt ans d’écart. La première fois qu’il reçoit Truffaut dans sa chambre de l’Hôtel Terrass, à Montmartre, Genet lui fait une dédicace. Il lui confie qu’en le découvrant, il a eu l’impression de se revoir quand il avait 19 ans.
Il faut replacer la scène dans son contexte. Nous sommes en 1951. Truffaut, 19 ans, né de père inconnu comme Genet, a le crane rasé et un aspect famélique. Après s’être engagé dans l’armée suite à une déception amoureuse, il a déserté et vit d’expédients. Soutenu par Bazin et Cocteau, il rencontre Jean Genet, dont il a dévoré avec passion le Journal du voleur. Les deux hommes se retrouvent dans une forme d’anarchie : deux sauvageons qui tentent d’échapper aux règles de la société. La relation est très forte et va se briser soudainement au début des années 1960. Genet sollicite Truffaut pour aider son ami Abdallah Bentaga. Truffaut a le malheur d’arriver en retard au rendez-vous. Genet y voit une forme de mépris de classe et lui envoie une lettre assassine pour solde de tout compte. Mais Truffaut gardera pendant longtemps une grande tendresse pour l’homme Genet et une grande curiosité pour son œuvre.
Au fil de la correspondance, on voit comment Truffaut travaille. Plus que d’adaptations, il parle d’hommages filmés à des livres.
En 1959, le retentissement international des Quatre Cents Coups a été énorme. Truffaut a la chance et le malheur à la fois, d’inaugurer sa carrière avec son plus grand succès public. Cette notoriété soudaine lui vaut de recevoir de très nombreuses propositions. Tous les producteurs de la place de Paris lui proposent, tour à tour, d’adapter Du côté de chez Swann de Proust, Voyage au bout de la nuit de Céline ou encore L’Etranger de Camus…
Truffaut refuse systématiquement de s’aventurer sur ce terrain. Il affirme qu’il n’apporterait rien à ces chefs-d’œuvre de la littérature. Pire : il risquerait de les dénaturer. Il préfère adapter des livres qu’il admire, peu connus du grand public, et qu’il va aider à faire connaître.
Le plus bel exemple, c’est Jules et Jim d’Henri-Pierre Roché. Paru chez Gallimard en 1953 sans connaître aucun succès critique ou public, il s’agit du premier roman d’un jeune homme de soixante-quatorze ans. À la suite d’une critique cinématographique dans laquelle Truffaut faisait allusion au roman, Roché lui écrit et noue avec lui une relation épistolaire de nature filiale. Truffaut rêve d’inaugurer sa carrière de cinéaste en portant à l’écran Jules et Jim. Malheureusement, il s’agit d’un film en costumes, nécessitant de nombreux décors. Truffaut devra attendre 1961, deux ans après la mort de Roché, pour en faire son troisième long métrage.
Mais Truffaut refuse de simplement découper le roman en tranches, comme le faisaient les cinéastes de la "Qualité française", de le vider de sa substance pour ne conserver qu’une trame dramatique. Au contraire, il va rendre hommage à l’écriture, au phrasé de Roché en restituant, par le biais des dialogues ou de la voix off, des pages entières du roman d’origine. Grâce au succès du film, le roman sera traduit dans le monde entier, y compris au Japon !
Jules et Jim, Les films du carrosse
Truffaut s’interroge en permanence sur les limites de l’adaptation et du cinéma par rapport à la littérature...
Il est très gêné de solliciter de grands auteurs pour leur demander de collaborer à une adaptation pour le grand écran. Au printemps 1977, il prend contact avec Milan Kundera pour lui proposer d’adapter Le Roi Mathias 1er, un roman pour enfants de l’écrivain polonais Januz Korczak. Mais lorsque Kundera lui confesse qu’il n’aura pas le temps, Truffaut abonde dans son sens. Il lui écrit que ses livres sont plus importants que ses autres travaux, qu’ils doivent avoir la priorité sur tout le reste. Truffaut est plein de respect pour la littérature et considère que le cinéma l’a trop souvent pillée.
Dans une lettre à Maurice Pons, après le tournage des "Mistons", Truffaut lui dit qu’il est impossible d’adapter et qu’il ne va pas reconnaître son livre...
Maurice Pons est venu sur le tournage et n’a pas arrêté de faire des remarques désagréables du style « mais ce vélo est tout rouillé… J’aurais préféré qu’il soit neuf ! », etc. Par cette lettre, Truffaut prépare en quelque sorte Maurice Pons au choc psychologique du film achevé parce qu’il sait très bien qu’il ne retrouvera pas son œuvre d’origine, même s’il a beaucoup utilisé le texte de la nouvelle en voix off… Il y a une différence qui sera réelle entre la nouvelle et le film. Truffaut ne fait que devancer l’inévitable déception de l’écrivain devant son œuvre adaptée et lui fournit les armes pour l’affronter.
François Truffaut lisant, photo Paris Match.
"Correspondance avec des écrivains" fait autant le récit des films que Truffaut a effectivement réalisés que celui des projets inaboutis…
J’aimais beaucoup l’idée que cet ouvrage permettrait de mettre en lumière la partie cachée de l’œuvre cinématographique, tous ces projets inachevés. Le premier, c’est Le Bleu d’outre-tombe d’après René-Jean Clot (Gallimard, 1956) que Truffaut va porter de 1959 à 1960. Jeanne Moreau y aurait interprété une maîtresse d’école dont les parents d’élèves et les collègues découvrent un jour le passé psychiatrique. Truffaut tenait beaucoup à ce projet qui aurait prolongé la peinture des milieux enseignants esquissée dans Les Quatre Cents Coups. Plusieurs événements vont empêcher le projet de voir le jour : le retard du montage de Tirez sur la pianiste, un accident grave du fils de Jeanne Moreau, etc.
Ensuite, il y aura un autre projet avec Elie Wiesel, au début des années 1960, Le Dernier Déporté. Truffaut acquiert tardivement une conscience politique, par le biais de rencontres. Son amie Helen Scott, qui dirige le bureau du film français à New York, puis Alain Chambon, un ancien déporté devenu ambassadeur au Brésil, lui parlent de la Shoah. Après avoir lu les premiers écrits d’Elie Wiesel sur la déportation, il lui commande un scénario original sur le thème du dernier déporté. Les deux hommes vont passer leur temps à s’écrire et à se donner rendez-vous sans jamais parvenir à se rencontrer. Finalement, Truffaut jette l’éponge : il confie à Wiesel qu’il aurait eu du mal à diriger des figurants de 60 kilos pour incarner des déportés de 30 kilos.
À cette époque, il y plusieurs films sur ce sujet qui sortent sur les écrans français, notamment L’Enclos d’Armand Gatti ou Kapo de Gillo Pontecorvo. Souvent, ils sont critiqués pour le travail de reconstitution des camps. Lorsqu’il était encore critique, Truffaut a été très marqué par sa découverte de Nuit et Brouillard d’Alain Resnais, d’après le scénario de Jean Cayrol. Il a peur de ne pas être à la hauteur.
Quelques années plus tard, comme on l’a déjà évoqué, Truffaut a eu envie - sans y parvenir - de confier l’adaptation du roman Le Roi Mathias 1er de Janus Korczak à Milan Kundera.
Tous ces exemples montrent que, durant toute sa carrière, Truffaut a brassé un grand nombre de projets qui n’ont pas vu le jour. Il travaillait régulièrement avec trois ou quatre scénaristes qui développaient des projets, en ignorant que d’autres étaient aussi en train de travailler pour lui. Et, à un moment donné, il sortait du chapeau un projet qui était en gestation depuis trois ou quatre ans.
Il y a une anecdote à ce sujet. Pendant le tournage d’Une belle fille comme moi, Truffaut profite d’un dimanche pour rendre visite à Jean Hugo au mas de Fourques, à Lunel, en compagnie de Jean Gruault, son scénariste pour les sujets historiques. Jean Gruault qui travaille à l’adaptation du Journal d’Adèle Hugo depuis plusieurs années est persuadé que ce sera le prochain film de Truffaut. Au milieu du repas, il découvre que L’Histoire d’Adèle H ne sera tourné que dans deux ou trois ans, après d’autres projets, et fond en larmes !
Truffaut avait un côté très secret. Il avait été très marqué par le fait qu’au début des années 1960, il avait mis quatre ans à trouver le financement nécessaire à la production de Fahrenheit 451. Quatre années durant laquelle Truffaut avait été contraint de mettre un peu sa carrière entre parenthèses et obligé de tourner dans l’urgence un scénario original, La Peau douce. Désireux de ne plus avoir à revivre le même type de désagréments, il va prendre soin, à partir de là, de faire travailler plusieurs scénaristes en parallèle, de manière à ne jamais être pris au dépourvu.
J’ai aussi remarqué que les projets d’adaptation qui arrivaient à terme étaient toujours des projets dont Truffaut était à l’origine. En fait, il n’arrive pas à s’approprier pleinement les pièces rapportées par ses collaborateurs (Marcel Moussy, Hélène Scott, etc.) et à les porter sur le long terme. Il lui manque l’impulsion d’origine, seule garantie de bonne finition !
Comme on le voit aussi dans "La Leçon du cinéma" (Denoël, 2021), Truffaut travaille en permanence, il ne s’arrête jamais…
Truffaut vit pour et par le cinéma. Quand il ne tourne pas, il écrit, notamment des lettres, parfois dix le même jour. Il pense toujours à la suite, il écrit pour la préparer. Dans une magnifique lettre à Jean-Louis Bory, datée de 1974, il dresse l’inventaire de tout ce qu’il va tourner dans les cinq années à venir. À sa mort, en 1984, il avait plusieurs projets au feu : La Petite Voleuse, que tournera Claude Miller, Nez de cuir d’après La Varende, où il aurait reformé le couple Gérard Depardieu-Fanny Ardant, etc.
En permanence, c’est une tête chercheuse. Il ne peut pas ouvrir une revue ou un livre sans se dire qu’il peut en faire quelque chose. C’est comme ça qu’il découvre l’existence du journal d’Adèle Hugo ou l’existence des enfants sauvages. Truffaut a une vie très rangée : il fait ses heures de bureau comme un fonctionnaire et se préserve beaucoup du monde extérieur. Quand quelqu’un essaye de le joindre au téléphone, sa secrétaire a pour consigne de répondre : « Écrivez-lui ! ».
Il refuse les cocktails, les vernissages et les avant-premières. C’est quelqu’un de très sauvage qui choisit l’écrit et la correspondance pour créer une sorte de distance entre lui et le monde. Il n’est jamais dévoré, pris de court, envahi par l’extérieur. Il s’est créé une carapace, une bulle qui le préserve : dans sa vie professionnelle, son secrétariat des Films du Carrosse, dans sa vie privée, son cercle familial.
L'Enfant sauvage, Les films du carrosse.
Parmi ces projets, il y a un film étonnant avec Pablo Picasso en personne !
C’est un projet curieux, mélangeant prises de vues réelles et séquences d’animation, qui arrive chez Truffaut par le biais de Ray Bradbury, l’auteur de la nouvelle adaptée. Mais Truffaut comprend très vite que cela va être trop dévorant et botte en touche. D’ailleurs, le projet ne se fera pas avec Picasso mais avec un acteur qui l’incarne. Après bien des vicissitudes, il sortira en 1969 sous le titre de The Picasso Summer. De l’avis même des critiques, c’est un film totalement raté.
Dans une lettre à Serge Rezvani, Truffaut écrit : « Si je savais écrire, je ne ferai pas le singe derrière une grosse Mitchell 300… »
Cela a toujours été un fantasme de Truffaut, qui se sentait comme un écrivain raté. Pour lui, le cinéma était très douloureux car il ne faut pas oublier que Truffaut était à la fois réalisateur et producteur de ses films. Il n’avait pas que la responsabilité esthétique sur ses épaules, il avait aussi la responsabilité économique. Or, la fabrication d’un film demande beaucoup d’argent, génère beaucoup de soucis et de responsabilités par rapport aux coproducteurs, aux techniciens et aux acteurs…
Truffaut était très impliqué dans ses productions et avait du mal à prendre le cinéma à la légère. Il se disait, à raison, qu’un écrivain avait plus de liberté, moins de contraintes. Il a toujours gardé cette idée en tête, malheureusement, dans les faits, il n’a écrit que deux livres : Hitchcock / Truffaut et Les Films de ma vie. Par contre, il a signé beaucoup de préfaces, il a initié beaucoup de projets de livres, par exemple un volume réunissant les écrits sur le cinéma de Jacques Audiberti ou un autre les critiques d’André Bazin. Dans les années 1970, il a aussi joué le rôle de conseiller éditorial pour son ami Gérard Lebovici et sa maison, les éditions Champ Libre.
À la fin de sa vie, Truffaut disait que le jour où il n’aurait plus la force de tourner, il deviendrait écrivain ou éditeur, qu’il retournerait au livre. Malheureusement, il est mort à 52 ans, sans avoir eu le temps de boucler la boucle…
Dans la préface, il est question d’une nouvelle écrite dans les années 1950...
La nouvelle a été publiée dans le magazine littéraire La Parisienne, en mai 1955, sous le titre Antoine et l’Orpheline. En fait, elle a surtout servi comme embryon à l’écriture du scénario des Quatre Cents Coups, d’abord appelé La Fugue d’Antoine. En 1987, alors que je commençais à m’intéresser sérieusement à Truffaut, j’avais eu le plaisir d’en découvrir une réédition dans une éphémère revue littéraire, N comme Nouvelles.
"Correspondance avec des écrivains, 1948-1984", François Truffaut. Edition établie par Bernard Bastide. Editions Gallimard, 528 pages. 24 €.
Pour aller plus loin :
La Leçon de cinéma : "Truffaut est un écorché vif, un être sensible, pas un intellectuel ou un théoricien"
Helen Scott, l'amie américaine de François Truffaut
"Les Mistons", l'été nîmois de François Truffaut
Le critique Truffaut "regardait les films en futur cinéaste"
Agnès Varda, la "liberté de ton, de mouvement, de création"
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