top of page

"Le Salaire de la peur", le prix du courage et de l'enfer

En 1953, Henri-Georges Clouzot obtient la palme d'or pour "Le Salaire de la peur", prélude à une carrière internationale, après un tournage catastrophique.

Quand, durant l’été 1951, Henri-Georges Clouzot démarre le tournage du Salaire de la peur, il est déjà un réalisateur reconnu mais dans le creux de la vague. Il a signé L’assassin habite au 21, Le Corbeau ou Quai des Orfèvres. Quelques années après, le metteur en scène à l’exigence légendaire et tyrannique se lancera dans un drame autour de la jalousie intitulé L’Enfer, dont le tournage inachevé sera une catastrophe. Mais pour Henri-Georges Clouzot et son équipe, le premier cercle de l’enfer s’ouvre dès le début de la création du Salaire de la peur.


Rien ne va se passer comme prévu. Si l’équipe débarque dans le Gard pour cette adaptation du roman de Georges Arnaud, dont l’action se situe initialement au Guatemala, c’est en partie grâce à Yves Montand. Traverser l’Atlantique coûte beaucoup trop cher. La production envisage donc d’aller en Espagne, mais Montand, compagnon de route du Parti communiste, refuse de franchir les Pyrénées tant que Franco étouffe son pays. Le film est donc tourné en France ; néanmoins, le dépaysement est total.

À la fin de l’été 1951, l’équipe s’installe à l’hôtel du Midi, sur le charmant square de la Couronne, à Nîmes. Pour la petite histoire, non plus cinématographique mais littéraire, l’établissement a abrité les dernières nuits d’amour entre Louise de Coligny-Châtillon et Guillaume Apollinaire, avant le départ au front du poète. Le village de Las Piedras, avec palmiers et cactus factices, est reconstitué à Saliers, en Camargue. Malheureusement, la météo est tropicale. Dès le mois de septembre, la pluie tombe de façon ininterrompue, comme souvent en cette saison. L’équipe est recluse à l’hôtel. Recluse mais pas vraiment confinée, si l’on en croit les rumeurs qui circulent à l’époque.


Et comme le disait le Président Chirac, « les emmerdes, ça vole toujours en escadrille ». Effectivement, le sort s’acharne : Vera, la femme de Clouzot, tombe malade, lui-même se casse la cheville, les figurants gitans se mettent en grève. Plus grave encore, deux soldats se noient en transportant du matériel sur les rives du Gardon… À la fin de l’automne, les caisses sont vides et le film loin d’être achevé. Il faudra attendre le printemps de l’année suivante pour que le tournage reprenne. De façon un peu plus apaisée, heureusement.

Cette fois, l’été est caniculaire. Le tournage se déplace dans les gorges du Gardon, près du pont Saint-Nicolas, pour immortaliser les trajets sur la route en lacets au milieu des falaises et notamment la chute de Montand et son camion dans un ravin, à La Baume. À l’époque, le souci écologique était moins présent. Au début des années 1990, une cinquantaine de véhicules, vestiges du Salaire de la peur, seront sortis des gorges. On retrouvera même le fameux camion portant encore le logo de la compagnie pétrolière SOC.


L’équipe part ensuite pour la bambouseraie de Prafrance, à Générargues, près d’Anduze. Créé à partir du milieu du XIXe siècle, par Eugène Mazel, le parc est idéal pour évoquer la jungle, avec sa végétation exotique. C’est dans cette Amazonie cévenole qu’est tournée une scène d’anthologie, celle où Charles Vanel et Yves Montand se retrouvent plongés dans une mare de pétrole. Par souci de réalisme, Henri-Georges Clouzot exige que les acteurs soient plongés dans une vraie flaque de mazout, où ils pataugent plusieurs jours. Finalement, pour éviter toute emphase, le réalisateur coupera une large partie de la séquence au montage. Mais la scène comme le film restent l’un des sommets d’un cinéma d’action à la française.

 

Une carrière internationale


Après avoir quasiment doublé son budget initial pour frôler les 200 millions de francs, le film Le Salaire de la peur est projeté au Festival de Cannes en avril 1953. Il y obtient la principale récompense, le Grand prix international. La Palme d’or ne sera officiellement créée que deux années plus tard, en 1955. La même année, il obtient l’Ours d’or au Festival de Berlin.


Charles Vanel, qui a commencé sa carrière à l’époque du cinéma muet, se voit remettre le prix d’interprétation à Cannes pour son rôle, qui initialement avait été proposé à Jean Gabin. Le Salaire de la peur est aussi le premier vrai grand succès pour l’acteur Yves Montand, qui triomphe depuis quelques années au music-hall. À l’époque, il forme déjà un couple célèbre avec Simone Signoret, qui tourne en parallèle Casque d’or et rejoint régulièrement son homme à Nîmes, en fin de semaine.


Dès la sortie du film, le succès est au rendez-vous. La critique applaudit et le public remplit les salles, avec sept millions de spectateurs. Le film fait le tour du monde, mais la vision très critique d’Henri-Georges Clouzot à l’égard du capitalisme et de la cupidité des hommes ne plaît pas à tout le monde. Outre-Atlantique, en pleine période maccarthyste, les Américains ne voient qu’un film amputé de ses trois premiers quarts d’heure. Néanmoins, le long-métrage reste une référence. Sam Peckinpah, qui l’adorait, en fait une citation dans son western La Horde sauvage, à travers une scène où un chariot plein d’explosifs doit traverser un pont. Et William Friedkin, l’une des figures du Nouvel Hollywood dans les années 1970, signera une nouvelle adaptation du roman de Georges Arnaud, sortie en France en 1977 sous le titre Le Convoi de la peur.


Avec Robert Altman, Michelangelo Antonioni et Jean-Luc Godard (si l'on tient compte de la Palme sur mesure attribuée au Livre d'image), Henri-Georges Clouzot est le seul réalisateur à avoir décroché la récompense suprême dans les trois plus grands festivals du monde. En effet, Clouzot avait déjà été récompensé d'un Lion d'or à Venise pour Manon en 1949.

Le Salaire de la peur est une adaptation d’un roman de Georges Arnaud, qui avait peu apprécié le film de Clouzot, pas plus qu'il n'avait aimé le film de Friedkin. Né en 1917 à Montpellier, l’écrivain à la vie trouble a été récemment le héros du livre La Serpe de Philippe Jaenada. Dans Le Salaire de la peur, il met en scène un village étouffant, perdu en Amérique latine. Contre une somme rondelette, quatre hommes, quatre aventuriers qui rêvent de s’échapper de cet enfer, acceptent de véhiculer à bord d’un camion brinquebalant un chargement de nitroglycérine, destiné à éteindre un incendie sur un puits de pétrole. Exploit courageux ou mission sans espoir ? Pour les chanceux qui n’ont pas encore vu le film, disons que la mission périlleuse ne va pas se passer comme prévu.


“Le Salaire de la peur” est disponible en DVD chez TF1 Vidéo, collection Héritage. Il est aussi disponible sur la plupart des plateformes VOD, TF1, Canal +, Orange ou La Cinetek.


Lire également :

"Le Mystère Picasso" ressort dans les salles et en DVD

Sur le tournage d'Othello avec Orson Welles

"Les Mistons", l'été nîmois de François Truffaut

Le péplum, "rempart contre l'inculture, la barbarie, le choc des civilisations"

Hamman et Baroncelli, les inventeurs des westerns camarguais

"Sans toit ni loi", un fait d'hiver signé Agnès Varda

 FOLLOW THE ARTIFACT: 
  • Facebook B&W
  • Twitter B&W
  • Instagram B&W
 RECENT POSTS: 
bottom of page